lundi 26 décembre 2011

[Tunisie : un an après le début du printemps]


Tunisie : un an après le début du printemps
26 décembre 2011 par Alain Baron

Quiconque affirmant le 1° janvier 2011 que deux semaines plus tard Ben Ali aurait fui le pays se serait heurté, pour le mieux, à l’incrédulité générale. 
  • A l’époque, le « miracle tunisien » était présenté par les institutions financières internationales comme le modèle économique à suivre.
  • La droite occidentale et leurs comparses sociaux-libéraux (1) fermaient les yeux sur les emprisonnements et les tortures d’un régime dans lequel ils voyaient un « rempart contre l’islamisme », ainsi qu’une occasion de participer au pillage du pays.
Le 14 janvier, les mobilisations populaires ont finalement contraint Ben Ali à s’échapper vers la très intégriste Arabie saoudite, d’autant plus ravie de l’accueillir qu’il avait emporté avec lui une partie de son butin.
Il serait présomptueux de prétendre pouvoir résumer en une page l’année tumultueuse qu’a traversée la Tunisie. Il est néanmoins possible d’essayer de retracer l’enchaînement des évènements.

Un démarrage douloureux
Tout a commencé le 17 décembre 2010, à Sidi-Bouzid, par le geste désespéré de Mohamed Bouazizi qui résume les souffrances de tout un peuple : celle des jeunes ne trouvant, au mieux, que des petits boulots malgré la scolarisation massive, celle de l’arbitraire policier et mafieux, celle du chômage de la misère frappant particulièrement les régions de l’intérieur, celle résultant de la ruine de l’agriculture vivrière suite aux accords de libre-échange spécialisant la Tunisie dans un nombre limité de produits d’exportation, etc.

jeudi 1 décembre 2011

[Plan d’action syndical : apprendre le grec!]


Plan d’action syndical : apprendre le grec!

Ce 15 novembre, au Heysel, les organisations syndicales ont donné le coup d’envoi de la mobilisation contre les plans concoctés par les partis qui négocient la formation d’un gouvernement. Six à sept mille participants: le Front Commun se félicite de ce succès mais, s’agissant en majorité de délégués et du cadre permanent des trois organisations, il est bien difficile d’en tirer déjà des indications de la mobilisation réelle que les dirigeants sont prêts à poursuivre. Anne Demelenne a annoncé une grande manifestation le 2 décembre et "n’a pas exclu" une grève générale fin décembre (le 19?).
A plusieurs reprises, la question grecque est venue sur le tapis. Il est vrai que nous avons quelques similitudes avec la Grèce: 10 millions d’habitants, un parti social-démocrate (le PASOK) au pouvoir menant une offensive contre les classes populaires et appelant la droite à terminer le boulot avec lui (en Grèce c’est même l’extrême-droite, qui a voté tous les plans d’austérité au parlement!)… Il n’est sans doute pas inutile pour nous d’essayer de tirer des leçons de ce qui s’est passé là-bas.

Mobilisation sans précédent
Ce jeudi 1er décembre devant le parlement
Depuis les manifestations et les émeutes de décembre 2008 – qui faisaient suite à la mort d'un adolescent de 15 ans tué par balle par la police, mais étaient surtout révélatrices du désenchantement de toute une jeunesse, la "génération 600 €," la Grèce a connu de grands mouvements: pratiquement un arrêt de travail généralisé tous les deux mois, des manifestations de plus en plus nombreuses (15 en 18 mois, dans plus de 70 villes), une radicalisation de la jeunesse et de pans entiers de la société. Les 19 et 20 octobre, il s’agissait du cinquième arrêt de travail généralisé depuis le début de l’année, et du deuxième arrêt de 48 heures depuis la fin juin. Poussées par cette dynamique, les directions syndicales, malgré leurs lourdeurs et leurs liens avec le PASOK, ont contribué à ces mobilisations, tout en espérant s’en servir pour "négocier" avec le pouvoir quelques "aménagements" des mesures d’austérité.
Cette mobilisation croissante n’a pourtant pas suffi (pour le moment) à contrecarrer l’offensive coordonnée de l’UE, du FMI et de la BCE. Pour quelles raisons?

mercredi 30 novembre 2011

[Un réel appauvrissement des pensionnés, des travailleurs et des chômeurs]

 Un réel appauvrissement des pensionnés, des travailleurs et des chômeurs
Par Peter Veltmans
 
Après plus de 500 jours, il se peut qu’il n’y ait toujours pas de gouvernement. Après les questions communautaires, c’est maintenant le budget qui agite les trois familles politiques traditionnelles. Les négociations traînent en longueur depuis des semaines. Au moment d’écrire ces lignes (1), on nous annonce une énième journée « cruciale » de négociation. On attend de voir si le PS, le SPa, le CD&V, le CDh, l’Open VLD et le MR réussiront à arracher un accord. Une chose est sûre pourtant : la classe des travailleurs va payer le prix fort pour ce budget.
Le cadre européen
Ce budget a pour cadre « L’Europe » en lieu et place des rapports de forces politiques belges. Le Traité de Maastricht (1993) a tracé le cadre d’une Union économique et monétaire (la future « Zone euro ») qui allait de pair avec l’imposition d’une discipline budgétaire aux Etats-membres. En 1997, on y a ajouté le Pacte de Stabilité et de Croissance. Un jugement de la Cour européenne de Justice du 13 juin 2004 stipule que les Etats-membres qui transgressent les normes de ce Pacte de Stabilité peuvent se voir imposer une amende par la Commission européenne. Une telle amende trouve encore son meilleur point de comparaison avec les réparations que le Traité de Versailles a imposées à l’Allemagne après la Grande Guerre.

jeudi 10 novembre 2011

LA FGTB CENTRE MOBILISE

COMMUNIQUE DE PRESSE 
LA FGTB CENTRE MOBILISE 
DES CE LUNDI 14 NOVEMBRE 2011




La FGTB Centre mobilise plusieurs centaines de militants ce 14 novembre 2011 pour contrer les plans d’austérité annoncés.
Nous refusons que les dérives du néo-libéralisme soient une nouvelle fois payées par les travailleurs et les allocataires sociaux qui sont les victimes d’une crise provoquée par la politique, irresponsable, du tout au profit. Cela signifie que nous disons non à l’AUSTERITE pour les travailleurs et les allocataires sociaux. Parce que l’austérité fait partie du problème, pas de la réponse. 
En effet, les mesures annoncées toucheront dans une large mesure les pensionnés au travers des non assimilation, les prépensionnés (les conditions de départ vont rendre celles-ci impossibles), les chômeurs au travers d’une dégressivité de leurs allocations, les jeunes au travers du stage d’attente, les services publics par des risques de privatisations qui auront un coût pour les utilisateurs. 
La remise en question de l’indexation automatique des salaires et des allocations sociales figure également à l’agenda. En ce qui concerne les responsables de la crise, aucun effort n’est envisagé. Au contraire, ils continueront à bénéficier et profiter : 
- des intérêts notionnels pour 4,5 milliards 
- des subsides fiscaux pour 10 milliards 
- de la fraude fiscale : 20 milliards Outre les 24 milliards payés par la collectivité pour sauver les banques 
Une politique qui organise l’inégalité entre les citoyens, entre les revenus, cause inévitablement des injustices. 
Nous ne voulons pas d’une société dans laquelle seuls les plus forts auraient des chances, alors que le risque de pauvreté parmi les plus faibles est très élevé. 
Actuellement, la Belgique limite les dégâts dans ce domaine et nous ne voulons pas qu’une politique antisociale remette ceci en cause comme ce fût le cas en Grèce. 
La FGTB Centre clamera haut et fort ce lundi 14 novembre 2011 au siège des partis qui négocient pour la formation du gouvernement fédéral qu’elle n’acceptera pas et qu’elle combattra l’appauvrissement général des citoyens. 
Plusieurs centaines de militants partiront de Soignies et de La Louvière vers Bruxelles : Départs à 8 h 30 : - Chaussée de Jolimont à Haine-Saint-Paul (face Maison du Peuple à la FGTB/Centre) - Parking du Cora à La Louvière

samedi 5 novembre 2011

[Tunisie : un électeur potentiel sur deux n’est pas allé voter]

Tunisie : un électeur potentiel sur deux n’est pas allé voter
 
par Hassane ZERROUKY (*)
3 novembre 2011

Plus de 51 % 
des Tunisiens en âge de voter sont restés à la maison. Sur 7,5 millions d’électeurs potentiels, seuls 3,7 millions se sont rendus aux urnes. De quoi relativiser 
le triomphalisme des islamistes d’Ennahda.
« Le taux de participation pourrait dépasser les 60 %  », s’enthousiasmait Kamel Jendoubi, le président de la commission électorale, dimanche 23 octobre, à la mi-journée. Les reportages de la presse et des télés arabes, françaises et anglo-saxonnes, montrant de longues files d’attente devant les bureaux de vote, accréditaient l’image d’un engouement populaire massif pour ces premières élections libres, neuf mois après la chute du dictateur Ben Ali. Un succès populaire loué par Barack Obama, pour qui ce scrutin «  a changé le cours de l’histoire  ».
La réalité est tout autre. En fait, la participation n’a été que de 48,91 %. Plus de 51 % des Tunisiens en âge de voter sont restés à la maison. Sur un nombre total d’électeurs potentiels de 7 569 824, seulement 3 702 627 électeurs se sont rendus aux urnes. 
les files : surtout le résultat de la désorganisation...
De ce fait, les 1 535 000 voix obtenues par le parti islamiste Ennahdha lui accordant 90 sièges sur les 217 à pourvoir ne représentent que 20,28 % de l’électorat. Autrement dit, l’ampleur du succès électoral des islamistes est à relativiser. «  Il y a un peuple qui a voté et un autre, celui qui a fait la révolution, a boycotté les urnes  », résume l’avocat Jalal Zoghlami. «  Les 18-35 ans, la frange jeune, politisée des quartiers populaires de Tunis et des villes de l’intérieur, celle qui a occupé la place de la Casbah en janvier-févier, n’a pas voté. Pour ces jeunes, la Constituante n’était pas la priorité. Il fallait consolider les acquis de la révolution, ils n’ont pas été écoutés, mais ce n’est que partie remise. Quant à l’usage du religieux par Ennahdha, les progressistes le savaient. Au lieu d’axer leur message sur les problèmes des Tunisiens, ils se sont focalisés sur la seule menace islamiste  », ajoute-t-il.
Les partis de gauche – Congrès pour la république (CPR, 30 sièges, 13,82 %), Ettakatol (Forum pour le travail et les libertés, 21 sièges, 9,68 %), le Parti démocrate progressiste (PDP, 19 sièges, 8,76 %), le Pôle démocratique moderniste (5 sièges, 3 %), le PCOT (3 sièges, moins de 3 %), le Mouvement des démocrates socialistes (MDS, 2 sièges moins de 3 %), le Mouvement des patriotes démocrates (2 sièges) – totalisent 80 sièges, soit 1,4 million de voix.
L’universitaire et économiste Salah Hamzaoui, proche du Parti communiste ouvrier tunisien (PCOT), n’est pas surpris. «  Plus de 115 partis et listes, avec des numéros différents selon les circonscriptions, des promesses de toutes sortes, ont créé un désarroi chez des gens qui n’ont jamais voté librement. Le bulletin de vote était une vraie affiche avec une multitude de noms et de sigles divers. Alors, ils ont renoncé.  » Selon lui, «  c’était voulu. En accordant l’agrément à autant de partis et de listes, le ministère de l’Intérieur, aux mains d’un ancien du régime de Ben Ali, a fait délibérément dans la confusion. Au lieu de refuser ce fait, les progressistes ont sombré dans le démocratisme sous prétexte qu’on ne peut refuser que des Tunisiens créent des formations ou se présentent aux élections sous l’étiquette d’indépendants, arguant qu’à l’issue du scrutin, n’émergeront que cinq à six formations politiques  ».
Cette confusion a probablement favorisé l’arrivée surprise en troisième position d’une liste indépendante, El Arridha Chaabia (Pétition populaire pour la justice et le développement) de Hachemi Hamdi, avec 19 sièges. Ce milliardaire, surnommé le Berlusconi tunisien, propriétaire de la chaîne télévision satellitaire Al Mustaqila, est un ancien d’Ennahdha, entré en conflit avec son chef, Rached Ghannouchi. C’est, dit-on, un proche de Leila Ben Ali. «  Hachemi Hamdi est l’homme des Saoudiens, alors que Ghannouchi est celui des Qatariens. L’Arabie saoudite et le Qatar se livrent une guerre d’influence via Ennahdha et Al Arridha  », soutient un observateur.
«  Ennahdha, proche de l’AKP turc. C’est du pipeau  !  » assure Fateh, militant associatif. En effet, le premier ministre turc, lors de sa visite à Tunis en juin dernier, a quelque peu refroidi les nahdhaouis en se prononçant pour le respect de la laïcité en vigueur en Turquie. «  Il existe une tendance pro-AKP au sein d’Ennahdha. Mais elle est minoritaire. Pour la faire émerger, il faudrait un puissant mouvement de la société civile  », assure une universitaire pour qui c’est la tendance ultra-conservatrice proche des Frères musulmans égyptiens qui domine. Quant à Souad Abderahim, l’élue non voilée d’Ennahdha, «  ce n’est qu’un alibi moderniste  », prévient-elle. Âgée de quarante-sept ans, Souad Abderahim, pharmacienne et femme d’affaires, est la représentante type de ces milieux néo-libéraux auxquels Ennahdha, sous l’influence du Qatar, a voulu donner des gages. «  Pas que le Qatar  », s’insurge Jalal Zoghlami. «  Trois mois avant les élections, sous l’égide de la Banque mondiale, des marchés financiers, de Washington et Paris, un projet dénommé Programme du jasmin (al moukhatat el yasmin, en arabe) a été mis au point, avec un volet politique prévoyant un partage des pouvoirs après les élections, accepté par Ennahdha. Ce plan prévoit de confier la présidence de la République à Beji Caid Essebsi (actuel premier ministre), les ministères de l’Économie, des Finances, de la Défense, la direction de la Banque centrale de Tunisie, à des technocrates. À charge pour Ennahdha de s’entendre avec d’autres partis pour les autres ministères.  »
Reste que le Congrès populaire pour la république (CPR) de Moncef Marzouki qui, selon les sondages ne devait arriver qu’en quatrième position, n’était pas prévu dans ce plan. Il risque, de ce fait, de jouer les trouble-fête et fausser les calculs établis. À l’évidence, en dépit de la victoire d’Ennahdha, l’avenir politique de la Tunisie semble plus compliqué qu’il n’y paraît.
Hassane Zerrouky

* Paru dans l’Humanité : http://www.humanite.fr/monde/un-ele...

mercredi 26 octobre 2011

[Tunisie : Que dire ? Que faire ?]

[Tunisie : Que dire ? Que faire ?]
expo face à l'ambassade de France - Tunis
 Pour la deuxième fois en 9 mois le peuple tunisien a surpris les « commentateurs » de la vie sociopolitique tunisienne. Si les sondages donnaient Ennahdha (1), le parti islamiste, arrivant en tête aux élections pour l’Assemblée Constituante, personne n’avait prévu l'ampleur de ce succès. Et surtout, personne n’avait prévu une telle déroute pour les listes qui, se réclamant du « modernisme » tels le PDP et le Pôle Démocratique et Moderniste, s’étaient érigés en « rempart » contre l’islamisme…  Comment expliquer ces résultats ?

Premier constat : les chiffres. Les grandes tendances des résultats sont constatées partout dans des proportions relativement identiques, tant à l’intérieur de la Tunisie -dans les grandes villes comme dans les régions les plus reculées- que dans les votes à l’étranger.
Deuxième constat : le  religieux. L’ampleur du résultat d’Ennahdha ne peut pas être dissocié des bons résultats (du moins si on tient compte des prévisions) d’autres listes. Ceux du CPR et de  Ettakatol/ FDTL qui tous deux ont toujours ménagé Ennahdha quand le PDP et le PDM en faisaient leur cible privilégiée. Mais il faut aussi classer dans la même veine les résultats surprenants d’une deuxième liste marquée comme « islamiste », celle d’ Hechmi Hamdi, ancien dissident d’Ennahdha, tête de liste d’Al Aridha Al Chaabia. Il se paie même le luxe de se classer devant Ennahdha dans la circonscription de Sidi Bouzid et deuxième à Kasserine, villes symboles de la révolution ! Propriétaire de Al-Mostakilla, chaîne de télévision émettant par satellite depuis Londres où il réside, l’homme a des moyens. Il y a quelques mois encore, Hechmi Hamdi ne cachait pas son admiration pour Leila Ben Ali ; sur sa télé il ventait ses mérites : « elle fait sa prière 5 fois par jour et son livre de chevet est le coran ». Au final son parti emporterait 25 sièges, même si des contestations sont encore pendantes en raison de suspiscion de financements « occultes » de sa campagne…
On voit donc se dessiner un arc de forces politiques dont l’épicentre est Ennahdha mais qui n’est pas uniquement composé de partis faisant référence à la religion. Leurs traits commun : ils ne remettent pas en cause le cadre de l’économie libérale et ils étaient peu ou pas présents dans la phase révolutionnaire de décembre 2010/janvier 2011. Des caractéristiques qui les rendent « fréquentables » pour l’Europe et les Etats-Unis. En fait, ils bénéficient de leur réputation d’opposants réprimés par Ben Ali.
Troisième constat : le langage. À la différence des « partis d’intellos » se réclamant de la modernité, les forces qui sortent en tête du scrutin ont su tenir un langage simple, populaire. On peut ne pas aimer ces méthodes souvent populistes, mais elles ont parlé au quotidien des citoyens. Bien plus que des concepts qui restent éloignés et abstraits… Hechmi Hamdi promet des soins gratuits et deux cents dinars (100 euros) pour chacun des 500.000 chômeurs du pays en contrepartie de jours de travail communautaire. C’est de la démagogie mais cela parle aux plus démunis.
L’essentiel de la gauche radicale, elle, a mis les luttes sociales entre parenthèses pour se consacrer à la lutte électorale, désincarnée du quotidien, et a été incapable d’unir ses forces…
Quatrième constat : les mecs.  Malgré la règle de la parité totale pour la présentation des listes électorales, l’Assemblée constituante sera celle des hommes. Sur 1517 listes présentées, seulement 110 étaient menées par des femmes. A noter également que la moyenne d’âge chez les candidatEs est moins élevée que chez les hommes, Etant donné l’éparpillement, les femmes auront donc peu d’occasions de faire entendre leur voix. Paradoxe, c’est Ennahdha qui relève la moyenne grâce à ses élus en nombre suffisant dans chaque circonscription. L’Assemblée constituante sera néanmoins majoritairement masculine et agée à 95% de plus de 30 ans dans un pays qui compte 50% de femmes et 55% de moins de 30 ans.
Cinquième constat : le fric. Même habitués aux campagnes coûteuses en Europe, on ne pouvait qu’être frappés par la démesure des moyens développés par certains partis. Tracts en surabondance,  meetings et shows à l’américaine, caravanes de voitures « customisées », bus aux sonos gonflées,  distributions de gadgets, de fleurs, d’autocollants, et de colis alimentaires dans les régions les plus pauvres, tout y est passé. La campagne officielle, relativement courte, a été précédée d’une déferlante de publicités sur toutes les chaînes de télévision, au point que les annonceurs commerciaux traditionnels se sont mis à « faire dans l’électoral » pour vendre leur camelote.
Question flouze, Ennahdha avait déjà fait fort, dès fin avril : trois mois à peine après sa sortie de l’illégalité elle s’offrait un siège rutilant à Tunis, un bâtiment précédemment occupé par Tunisie Télécom, au loyer estimé à 20.000dt mensuels (2).
Mais d’où vient tout cet argent ? Visiblement ce n’est pas le financement public des partis (7500 dt -3800€- dont la deuxième moitié sera libérée sur présentation de pièces probantes…) qui permet de telles frasques ! Une hypothèse parmi tant d’autres : le monde des affaires recycle dans la « démocratie »(3)  l’argent qu’il « concédait » précédemment aux mafieux qui gardaient les portes de son gigantesque casino… Et par ailleurs la Tunisie, de par sa position géostratégique est fort convoitée par des pays et des milieux influents…

Tous les grands problèmes restent
La victoire d'Ennahdha ferme une séquence, celle dans laquelle les classes dominantes ont mené une « contre-révolution démocratique » afin de se doter d'une alternative politique : moins encombrante et moins vorace que l'ex-dictateur en fuite, ayant une légitimité « populaire » et surtout l’aval des puissances impérialistes.
Mais rien n’est joué. Le remembrement opéré ne règle aucun des grands problèmes qui ont conduit le peuple tunisien dans le tourbillon révolutionnaire. Au contraire même, il les rend plus aigus : comment le nouveau gouvernement, malgré sa confortable majorité, pourra t’il tenir les innombrables promesses que ses leaders ont faites ? Les bailleurs de fonds, les puissances étrangères et les dépeceurs qui rodent autour de l’économie Tunisienne vont réclamer des « retour sur investissement (3)» qui se traduiront inévitablement par plus de disparités régionales, plus de précarité, plus de pauvreté… Et il ne suffira plus de répondre « ce n’est pas le moment de… »
Les luttes sociales qui n’ont pas cessé depuis décembre 2010, même si elles sont fort éparpillées, pourraient reprendre de plus belle. Au lendemain des élections, le Président du bureau politique d’Ennahdha déclarait « Si la Constituante n’honore pas ses engagements le peuple y répondra par le slogan ‘ Dégage !’». Son parti et le gouvernement qu’il va former pourraient en faire les frais…
Au sein de l’UGTT, qui tient un congrès crucial en décembre, les militants de gauche doivent se doter d’un objectif commun : la faire rompre de manière radicale avec la politique de « collaboration » avec le (nouveau) gouvernement et  retrouver ses réflexes de classe. Appuyer résolument les luttes auxquelles la bureaucratie avait mis une sourdine pendant la campagne pour la Constituante. Tracer des convergences entre les travailleurs pour améliorer leurs conditions de travail et les jeunes chômeurs pour leur garantir une protection sociale digne.

Freddy MATHIEU

(1)     Pour ne pas alourdir ce texte limitons-nous aux sigles des partis et reportons-nous au dossier « Qui sont les (nombreux) partis politiques tunisiens » sur le site Tunisie Libre de Rue 89 - http://blogs.rue89.com/tunisie-libre/2011/09/06/qui-sont-les-nombreux-partis-politiques-tunisiens-220493
(2)     100000 dinars pour connecter 26 sites d’Ennahdha à la fibre optique ? http://hazemksouri.blogspot.com/2011/05/100000-dinars-pour-connecter-26-sites.html
(3)     En référence à l’appel des milieux d’affaires « Invest in democracy »… (investindemocracy.net/)

[Tunisie : voter rue Lénine...]

jeudi 20 octobre 2011

[Continuer la révolution, il n’y a pas le choix…]

Continuer la révolution, il n’y a pas le choix…
Tunis le 20 octobre 2011
...dans la Medina, les images de Kadhafi circulent
Malgré les efforts considérables déployés pour convaincre les tunisiens d’aller aux urnes, c’est aujourd’hui le colonel Kadhafi qui tient la vedette. Dans la médina, la nouvelle de sa capture s’est répandue comme une trainée de poudre. Sur leur GSM, des jeunes repassent sans cesse le film d’AlJazeera montrant le corps du dictateur voisin sorti de son égout.



Une « Constituante » peut en cacher une autre…
Dans les premières semaines du gouvernement provisoire qui a suivi la fuite du dictateur tunisien Ben Ali, la revendication de l’élection d’une assemblée constituante était incontestablement une revendication juste et populaire, au même titre que la dissolution du RCD, le départ du gouvernement de tous ceux qui avaient eu des responsabilités sous Ben Ali (et en particulier Mohamed Ghanouchi ancien et nouveau premier ministre…).
On mesure aujourd’hui combien la contre offensive du régime a été pernicieuse…
Dissous le RCD ? Officiellement, oui. Mais parmi les quelques 115 partis qui ont reçu leur visa après le 14 janvier, une vingtaine au moins sont constitués d’anciens RCD.
Écartés les anciens RCDistes ? Il y a plus d’un fait troublant qui montrent  que les hommes de Ben Ali sont encore bien présents aux postes les plus influents. Ainsi, lors de la visite de l’actuel premier ministre, Béji Caïd Essebsi, aux Etats-Unis (3-7 octobre), on a pu noter la présence de Mohamed Nouri Jouini, ancien ministre de la Planification et de la Coopération Internationale, dans la délégation tunisienne à Washington. Son passé ne fait pourtant pas de doute : En 1996, il travaille pour la présidence de la République ; un an plus tard, il devient conseiller auprès du président Zine el-Abidine Ben Ali. Il devient secrétaire d'État auprès du ministre du Développement économique, chargé de la Privatisation, le 24 janvier 2001; il conserve son poste jusqu'à sa nomination au poste de ministre du Développement et de la Coopération internationale en septembre 2002. Suite à la révolution de 2011, il conserve de nouveau son poste, en tant que ministre de la Planification et de la Coopération internationale, dans les deux premiers gouvernements de Mohamed Ghannouchi. Commentant cette présence « officielle » à Washington, le président de l'Association des économistes tunisiens, a souligné « que l’objectif de cette visite est de soutenir la transition économique, l’emploi, ainsi que l’investissement en Tunisie, en particulier dans le domaine des affaires. En ce qui concerne la présence de Mohamed Nouri Jouini, (…) le but était d’inciter les américains à investir dans notre pays, puisqu'il a des relations fortes aux Etats Unis, où il a effectué ses études pendant de longues années. » D’autre part, il a indiqué « que le positionnement géographique stratégique de la Tunisie peut servir les intérêts géopolitiques des USA dans la région, leur permettant d'atteindre plus facilement le marché libyen en cas de coopération avec la Tunisie. A noter également, selon certaines sources, en marge de cette visite des contacts conjoints des autorités américaines avec des représentants du parti islamiste Ennahda et des proches du premier ministre tunisien en vue de « faciliter » les relations futures au sein du prochain gouvernement ; un accord aurait été discuté consistant à ce qu’on laisse à Béji Caïd Essebsi son poste de Premier ministre, en contrepartie, les USA (et l’Europe) continueraient leur soutien  financier à la Tunisie.
En mai déjà, le parti Ennahda avait été invité aux Etats-Unis où il avait donné des gages aux représentants du Département d’Etat et même rencontré  l’ex-candidat républicain à la présidence, le sénateur John McCain.

Visites et voyages
La visite suivante du premier tunisien fut pour la Libye… Au cours de cette visite, la première depuis la révolution, M. Béji Caïd Essebsi  était accompagné par une importante délégation composée de six ministres ainsi que de la présidente de l'organisation patronale UTICA. Nul doute que le message américain est arrivé à destination entre de bonnes mains.
Dans les jours qui ont suivi ce fut le tour de l’ancien premier ministre belge, Guy Verhofstadt, de venir parler « affaires » à Tunis, en tant que président du groupe parlementaire de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE). Le grand duduche du parlement européen a même déclaré qu’il allait « aider » la Tunisie : “Réticente au début envers la révolution tunisienne, l’UE veut aujourd’hui se rattraper et apporter l’aide nécessaire pour assurer un passage vers la démocratie”, a déclaré Guy Verhofstadt. “Nous croyons en l’avenir d’une Tunisie démocratique et ouverte”, a encore souligné le président de l’ADLE qui a mis en relief “la richesse du pays le plus européen de l’Afrique du Nord”, fort d’un taux d’instruction élevé, d’un esprit ouvert au monde extérieur et d’un statut respectueux de la femme.


Ramona
Au fond, depuis des mois, tous autant qu’ils sont ,nous répètent les mêmes rengaines : réussir la révolution c’est réussir les élections. Et à ceux qui rappellent que les objectifs premiers de la révolte de l’hiver 2010-2011 qui a chassé le dictateur, sont «Travail, liberté, dignité nationale», ils répondent que ce n’est pas le moment de revendiquer, l’important c’est de rassurer les investisseurs. C’est de reprendre de plus belle le pillage économique de la Tunisie, avec, en corollaire, l’intensification de la précarité.
Aux femmes qui craignent que les compromis avec les islamistes ne se fassent sur leur dos, en enclenchant la marche arrière sur le statut de la personne, le pouvoir tout autant qu’Ennahda font miroiter le code électoral qui impose la parité sur les listes de candidats. A Washington, le premier ministre a déclaré : « le principe de la parité entre les hommes et les femmes sur les listes électorales est une décision d’avant-garde qu’aucun autre pays n’a prise, même parmi les plus avancés dans le monde ». Mais avec plus de 1.600 listes (dans 112 partis -60%- et des coalitions indépendantes-, plus de 11.000 candidats et seulement 5% des têtes de listes pour les femmes, celles-ci ne risquent pas de peser plus lourdement sur le projet de Constitution qui sortira de la nouvelle assemblée. Tout au plus remplissent-elles aujourd’hui le rôle d’attrape-voix…
-Tunis, station Le Passage - 20 octobre-
Les jeunes quant à eux peuvent être rassurés : les rapeurs vedettes, les blogueurs de choc, et les zartistes de combat se mobilisent aussi pour leur chanter « Ramona » et les inciter à voter. Pour qui, pour quoi, ramone par-ci, ramone par-là…

Répression et soumission
Mais derrière ce nouveau « vernis démocratique », les vieilles habitudes du benalisme sont toujours visibles : la répression continue, les militants sont inquiétés, des partis toujours réprimés (dont la Ligue de la Gauche Ouvrière qui s'est vu une première fois refuser le visa (1), officiellement car elle a le même programme qu'un autre parti -c’est vrai que 113 au lieu de 112…). Les travailleurs qui se battent pour leurs droits, pour leurs emplois, les jeunes diplômés qui mènent campagne pour obtenir des jobs, sont traités « d’égoïstes », sont mis au banc des accusés. Les familles de ceux qui sont morts -ou ont été blessés- pour la révolution, attendent toujours que justice soit faite. Les tortionnaires, les criminels, sont toujours à l’abri de poursuites. Idem pour le clan mafieux. Et même Ben Ali et consorts, dont l’argent détourné à tout le loisir de se dissimuler étant donné le peu d’empressement du gouvernement provisoire de s’attaquer aux symboles de la corruption.
D’ailleurs, comme avant sous Ben Ali, le gouvernement provisoire s’est empressé de rembourser les dettes odieuses du dictateur et dans cette campagne, cette question cruciale pour un pays qui a fait une révolution au nom de la « dignité nationale », est totalement escamotée. Tous les partis qui prétendent « compter » dans la prochaine république semblent bien incapables d’ouvrir les livres de compte de la dictature.  De toutes les manières, c’est le peuple qui  paye l’addition.
-comment camoufler la réalité...-
L’organisation des élections pour la constituante participe d’une vaste offensive idéologique pour camoufler ces réalités.
La LGO appelle finalement au boycott de ces élections en ces termes : « Ces forces contre révolutionnaires se sont mises d’accord sur l’organisation d’élections contraires aux mots d’ordre de la révolution pour étouffer les aspirations des masses populaires à l’émancipation, et de ce fait elles s’emploient à légitimer une opération électorale illusoire alors que les masses populaires n’accordent aucun intérêt à ces élections car ne répondant pas à leurs revendications en matière de droit au travail, de développement, de justice sociale, mais aussi la rupture avec les politiques répressives et les choix socio-économique impopulaires. »
Le nombre de listes en présence est sensé donner l’impression que les citoyens tunisiens ont le choix. Mais au fond, il n’y a qu’un choix qui leur permettra de finir ce qu’ils ont commencé en décembre 2010 : continuer la révolution.
-à la Kasbah, les affiches électorales ont remplacés les grafitis...-

Freddy Mathieu










(1) Dernière minute : la LGO vient finalement de recevoir son habilitation.

samedi 15 octobre 2011

15 octobre 2011 : grande victoire pour les Indignés

15 octobre 2011 : grande victoire pour les Indignés
par Eric Toussaint (CADTM) depuis Madrid

Depuis février 2003, c’est la première fois qu’un appel à une action internationale à une date déterminée rencontre un tel écho. En Espagne, d’où l’action est partie près de 500 000 manifestants ont défilé dans les rues d’environ 80 villes différentes dont 200 000 ou plus à Madrid. Des actions se sont déroulées dans 5 continents. Plus de 80 pays et près d’un millier de villes différentes ont vu défilé des centaines de milliers de jeunes et d’adultes qui protestent contre la gestion de la crise économique internationale par des gouvernements qui courent aux secours des institutions privées responsables de la débâcle et qui en profitent pour renforcer les politiques néolibérales : licenciements massifs dans les services publics, coupes claires dans les dépenses sociales, privatisations massives, atteintes aux mécanismes de solidarité collective(systèmes publics de pension, droits aux allocations de chômage, convention collectives entre salariés et patronat,…). Partout le remboursement de la dette publique est le prétexte utilisé pour renforcer l’austérité. Partout les manifestants dénoncent les banques.
En février 2003, il s’était agi de la plus grande mobilisation internationale pour tenter d’empêcher une guerre : l’invasion de l’Irak. Plus de 10 millions de personnes s’étaient rassemblées dans d’innombrables manifestations autour de la planète. Depuis lors, la dynamique du mouvement altermondialiste né au cours des années 1990 s’était progressivement estompée sans s’épuiser tout à fait. Ce 15 octobre 2011, un peu moins d’un million de personnes ont manifesté mais il s’agit néanmoins d’une énorme victoire car c’est la première grande manifestation réalisée en 24 heures autour de la planète contre les responsables de la crise capitaliste qui fait des dizaines de millions de victimes.
La crise financière et économique qui a démarré aux Etats-Unis en 2007 s’est étendue principalement en Europe à partir de 2008. La crise de la dette qui était le lot des pays en développement s’est déplacée vers les pays du Nord. Elle est interconnectée à la crise alimentaire qui frappe d’importantes régions des pays en développement depuis 2007-2008. Sans oublier la crise climatique qui affecte principalement les populations du Sud de la planète. Cette crise systémique s’exprime également au niveau institutionnel : les dirigeants des pays membres du G8 savent qu’ils n’ont pas les moyens de gérer la crise internationale, ils ont dès lors réuni le G20. Celui-ci démontre depuis 3 ans qu’il est incapable de trouver des solutions valables. La crise recèle une dimension de civilisation. Sont remis en cause pêle-mêle le consumérisme, la marchandisation généralisée, la non prise en compte des impacts environnementaux des activités économiques, le productivisme, la recherche de la satisfaction des intérêts privés au détriment des intérêts, des biens et des services communs, l’utilisation systématique de la violence par les grandes puissances, la négation des droits élémentaires des peuples comme celui de Palestine… Souvent c’est le capitalisme qui est au centre de la remise en question.
Aucune organisation centralisée n’a convoqué cette mobilisation. Le mouvement des Indignés est né en Espagne en mai 2011 dans la foulée des rébellions tunisienne et égyptienne des mois précédents. Il s’est étendu à la Grèce en juin 2011 et dans d’autres pays européens. Il a franchi l’Atlantique Nord depuis septembre 2011. Évidemment une série d’organisations politiques radicales et de mouvements sociaux organisés soutiennent le mouvement mais ils ne le conduisent pas. Leur influence est limitée. Il s’agit d’un mouvement largement spontané, jeune en majorité, avec un énorme potentiel de développement qui inquiète fortement les gouvernants,les dirigeants des grandes entreprises et toutes les polices de la planète. Il peut s’éteindre comme un feu de paille ou mettre le feu aux poudres. Personne ne le sait.
Le 15 octobre 2011, l’appel à la mobilisation a surtout réuni des manifestants dans les villes des pays du Nord et n’a pas épargné les centres financiers de la planète, ce qui est très prometteur. Le mouvement des Indignés a déclenché une dynamique très créative et émancipatrice. Si vous n’en faites pas encore partie, cherchez à le rejoindre ou à le lancer s’il n’existe pas encore là vous vous vivez. Interconnectons-nous pour une authentique émancipation. 


mercredi 12 octobre 2011

Boycottons les élections du 23 octobre qui fauchent la révolution !

Déclaration de la Ligue de la gauche ouvrière (Tunisie) 
Boycottons les élections du 23 octobre qui fauchent la révolution ! 
Continuons la lutte pour un gouvernement ouvrier et populaire ! 
Le gouvernement Mebaza/Essebsi continue tranquillement de mettre en œuvre sa politique libérale répressive et d’appauvrissement contre les masses laborieuses, tendant à maintenir le système d’exploitation, de corruption et de trahison nationale ; un système basé sur l’endettement et l’hypothèque du pays au capital international provenant d’institutions monétaires et de pays comme la France et les États-Unis d’Amérique.
Cette politique ne mène qu’à plus d’appauvrissement, à la marginalisation des masses populaires et à l’approfondissement du gouffre déjà énorme entre les classes et les régions. Sinon comment expliquer la course engagée entre les parties de la trahison — symboles de gouvernement et chefs de parti — pour visiter leurs maîtres en Amérique et en Europe, comme l’ont fait la réaction religieuse, le Parti démocrate progressiste et le Forum démocratique pour le travail et les libertés… Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’ils adoptent et défendent le projet économique et social s’attachant au plan jasmin et au G8; ce projet ravageur de l’économie du pays et des intérêts des masses populaires a été également honteusement approuvé par, entre autres organisations, l’Union générale des travailleurs tunisiens représentée par la bureaucratie syndicale.
Ces forces contre révolutionnaires se sont mises d’accord sur l’organisation d’élections contraires aux mots d’ordre de la révolution pour étouffer les aspirations des masses populaires à l’émancipation, et de ce fait elles s’emploient à légitimer une opération électorale illusoire alors que les masses populaires n’accordent aucun intérêt à ces élections car ne répondant pas à leurs revendications en matière de droit au travail, de développement, de justice sociale, mais aussi la rupture avec les politiques répressives et les choix socio-économique impopulaires. Qui plus est, cette mascarade électorale va conduire à un gouvernement absolument incapable de satisfaire les exigences populaires nées du processus révolutionnaire depuis son déclenchement.
Un gouvernement issu de cette combinaison de conspirateurs — même à composante diversifiée de parties réactionnaires, libéraux, RCDistes et d’opportunistes — ne sera qu’un gouvernement hostile au peuple et à ses intérêts, un instrument répressif et un serviteur servile à ses maîtres américains et européens.
Les conditions nécessaires pour l’élection d’une assemblée constituante populaire et démocratique ne sont pas réunies. Le gouvernement et les organismes qui chapeautent l’opération électorale se sont compromis avec le colonialisme et sont foncièrement anti-populaires : les assassins des martyrs de notre peuple ne sont pas encore jugés ; les médias sont dirigés au service des traîtres ; le pouvoir judiciaire n’est pas indépendant et est contrôlé par les corrompus en plus de la mainmise du capital national et étranger sur la vie politique ; l’escalade de la répression et la multiplication des arrestations et des procès, l’enrôlement forcé des jeunes dans l’armée ; l’interdiction des forces révolutionnaires de l’activité politique et la justification ’’légale’’ du retour du gang RCDiste ; la non-récupération de l’argent pillé et le non-jugement de la mafia et des symboles de la corruption.

Pour ces raisons et considérant la mainmise des forces contre révolutionnaires et des conspirateurs sur le processus électoral et l’absence des conditions nécessaires pour une élection démocratique d’une assemblée constituante, les militantes et les militants de la Ligue de la gauche ouvrière appellent les masses populaires et les forces patriotiques et révolutionnaires à continuer le processus révolutionnaire.
  • Boycottons les élections du 23 octobre ; non à leur conseil de la conspiration et de la trahison ! 
  • Oui pour continuer la révolution jusqu’au renversement du régime ! 
  • Que les masses imposent leur souveraineté populaire ! 
  • Pour un gouvernement ouvrier et populaire afin d’atteindre les objectifs de la révolution!
Ligue de la gauche ouvrière

Tunis, 9 octobre 2011
les six mois de la révolution partie 3/3

dimanche 25 septembre 2011

[Tunisie : la révolution mise en péril]

Tunisie : la révolution mise en péril









Ahlem Belhadj, Nizar Amami et Jalel Ben Brik, responsables de la Ligue de la gauche ouvrière (LGO), analysent la situation en Tunisie à l’approche des élections.

Le conflit entre une partie de la police et le gouvernement

Beaucoup d’opacité règne sur les motivations réelles des policiers qui ont, le 5 septembre, éjecté de son poste le militaire qui dirige la Garde nationale. Une seule chose est claire : il s’agissait pour eux de remettre en cause la suprématie de l’armée.
Le discours du 6 septembre

C’est la première fois que l’actuel Premier ministre fait un discours avec à ses côtés le chef d’état-major de l’armée, qui est le symbole des outils de répression en Tunisie. Ils ont sans doute voulu que la population en déduise que la situation sécuritaire du pays était grave, à tel point que des conflits existent entre les corps de répression. Béji Caïd Essebi n’a pas hésité pas à parler de « rébellion » ainsi que de « putsch » et de « coup d’État » au sein de la police. Cela lui a permis ensuite d’annoncer sa volonté de faire un usage rigoureux du décret de janvier 1978 qui permet d’emprisonner des personnes sans recourir aux tribunaux, ainsi que d’interdire toute manifestation, rassemblement sit-in, grève, etc.
Le but du pouvoir est certainement de préparer le terrain à la possibilité d’imposer un régime répressif, militaro-policier-bureaucratique face à deux scénarios possibles :

- une situation comparable à celle de l’Algérie après la victoire électorale des islamistes en 1991 ;
- une accélération du mécontentement social et un début de rejet du vieux et arrogant Premier ministre.
Au passage, Essebsi a perdu son sang froid. Il a traité les policiers rebelles de singes, et annoncé l’interdiction de leur syndicat. Il s’est en fait couvert de ridicule : juste après son discours, sa voiture a été saccagée par des policiers rassemblés devant le siège du gouvernement.
Les sit-in de policiers

À la suite du discours du Premier ministre, des policiers ont organisé pendant plusieurs jours des sit-in devant le ministère de l’Intérieur. Au-delà de la protestation contre les propos injurieux d’Essebsi, leur attitude s’explique sans doute par la combinaisons de plusieurs facteurs.
D’abord, comme beaucoup de salariés, de nombreux policiers sont dans une situation proche de la pauvreté. Simultanément, ils se sentent haïs par la population car ils sont depuis des années en première ligne dans la confrontation directe avec tout ce qui bouge.
Ensuite, de nombreux policiers souhaitent être débarassés de responsables formés sous Ben Ali par les États-Unis et la France.
Enfin, des nostalgiques de Ben Ali ont très certainement su exploiter ce malaise, en particulier des policiers ayant des démêlés avec la justice pour leurs méfaits passés.
Les élections du 23 octobre

Il ne faut pas se faire d’illusions sur les élections à l’Assemblée constituante : la presse et la magistrature ne sont pas indépendantes, l’influence de l’argent des capitalistes tunisiens et étrangers est considérable.
L’Assemblée constituante sera contrôlées par des partis ne s’opposant pas au capitalisme international. Elle aura une orientation proche de celle des gouvernements de Turquie et du Qatar, et entretiendra de bons rapports avec les USA et la France.
Du temps de Ben Ali, nous avions un gouvernement policier d’une seule couleur politique mettant en place la politique néolibérale. Après les élections nous aurons un gouvernement menant la même politique économique, mais comportant plusieurs couleurs politiques : conservateurs religieux, politiciens de droite, sociaux-libéraux, etc.
Face aux partis voulant en finir avec la légitimité révolutionnaire au profit d’une prétendue légitimité institutionnelle, il est important d’affirmer la primauté de la légitimité révolutionnaire et de la lutte.
La LGO avait appelé pour cette raison à la formation d’un front antilibéral et anti-impérialiste. Elle s’est adressée essentiellement aux composantes de la gauche ayant participé au Front du 14 Janvier, ainsi qu’à des forces plus petites. Mais le sectarisme et le narcicisme des uns, ainsi que la tentation d’alliances avec le centre gauche des autres ont fait échouer ce projet. La LGO sera donc seule dans cette campagne avec le double handicap d’être une organisation de petite taille et de ne pas avoir obtenu son visa. Elle participera néanmoins à ces élections dans trois circonscriptions sur 24 par le biais de la liste indépendante « Continuons la révolution ! »


Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 116 (22/09/11)

jeudi 15 septembre 2011

Des élections en Tunisie et après  ?

Des élections en Tunisie et après  ?

9 septembre 2011

Le 23 octobre prochain, les Tunisien·ne·s seront appelés aux urnes pour élire leur Assemblée Constituante. Alors que le climat social et politique reste en ébullition, les principales forces politiques semblent vouloir stériliser la charge de transformations sociales et politiques portées par la révolution tunisienne. Pour en parler, nous nous sommes entretenus avec notre camarade Anis Mansouri, membre du Comité de soutien aux luttes populaires dans le monde arabe [Rédaction de « solidaritéS » (Suisse)].

Stéfanie Prezioso – Comment décrirais-tu la situation sociale en Tunisie à la veille des élections  ?
Anis Mansouri – Elle s’est beaucoup dégradée. Le nombre de chômeurs·euses ne cesse d’augmenter, et le marché de la «  débrouille  » se développe constamment. La loi qui est entrée en vigueur le 2 septembre dernier ne va malheureusement guère arranger les choses. Celle-ci interdit en effet aux chômeur-euses d’installer un stand dans les rues sans autorisation préalable. Certes, le marché parallèle soutenu par la mafia politico financière de Belhassan Trabelsi s’est particulièrement développé ces derniers temps. Mais cette loi va inévitablement toucher aussi le peuple qui meurt de faim et qui cherche à s’en sortir. De plus, les indemnités pour les chômeurs·euses décidées par le gouvernement provisoire n’ont été versées que durant quelques semaines et les licenciements se multiplient. Enfin, la production de céréales et de fruits et légumes est en forte baisse alors que les prix ne cessent de monter. Aujourd’hui, certains produits manquent même sur les marchés. Pourtant, pas un mot dans la campagne électorale qui commence sur cette situation difficile.
Est-ce que face à cette situation, les mobilisations sociales se sont amplifiées ces derniers temps  ?
L’Union des diplômé·e·s chômeurs·euses (UDC) est au cœur des mobilisations. Elle vient d’organiser à Sousse une rencontre nationale à laquelle ont assisté environ 500 étudiant·e·s et chômeurs-euses diplômés. Emancipation sociale et politique et développement équitable des régions, voilà leurs revendications. Le 15 août dernier, les mobilisations promues par la gauche syndicale, les avocats et l’UDC ont atteint leur apogée. A cette date, en effet, certains représentants de l’ancien régime ont été amnistiés et libérés avec la complicité de l’appareil judiciaire et de l’actuel premier ministre. Cette mobilisation a rassemblé à Tunis une dizaine de milliers de manifestant·e·s. La bureaucratie syndicale aux ordres du gouvernement a essayé d’absorber cette colère en organisant une manifestation isolée dans un coin de Tunis à l’appel également des partis libéraux et des islamistes ; moins d’un millier de personnes y ont participé. Cette mobilisation du 15 août dernier a dû essuyer les tirs de la police touchant à mort un manifestant n’appartenant à aucune organisation politique. Ailleurs en Tunisie, les mobilisations se sont poursuivies devant les sièges de l’UGTT (Union générale tunisienne du travail), à Sfax, Sousse, Monastir… Les mobilisations sociales sont donc toujours d’actualité même si la campagne électorale semble ne pas vouloir en tenir compte.
Venons-en justement à cette campagne, quelle est l’importance à ton avis de cette élection ?
L’opportunité de participer ou non aux élections a fait l’objet d’un débat. En effet, la revendication populaire d’élire une Assemblée constituante, portée par un mouvement de masse qui a fait chuter le deuxième gouvernement provisoire, a été détournée. L’Assemblée constituante a été vidée de son sens puisque ce qui est largement proposé aujourd’hui, par la frange libérale de la bourgeoisie tunisienne ou par Ennahda, ce sont de vagues réformes politiques et institutionnelles. Les fondements de la révolution sociale sont totalement occultés. Néanmoins, la gauche anticapitaliste a décidé de participer à ces élections parce qu’elles font partie du processus révolutionnaire et surtout parce qu’elles donnent l’opportunité de faire un tri par rapport aux projets de société qui seront présentés dans la campagne. Elles permettront aussi de proposer un programme de transition vraiment militant et de démontrer que tout ne se jouera pas à l’intérieur de la Constituante nouvellement élue, mais aussi et peut-être surtout à l’extérieure de celle-ci.
Le 3 septembre dernier, 104 listes ont été déposées, mais un seul parti est donné favori. Qu’en penses-tu  ?
En fait, il existe aujourd’hui en Tunisie plus de 117 partis, certains ne sont pas encore reconnus, d’autres regroupent des associations citoyennes, la situation politique est en ébullition.
Néanmoins on peut distinguer trois pôles qui se disputent la place dans ces élections. Tout d’abord, le pôle des libéraux, qui ne représente pas uniquement la frange démocratique mais aussi les anciens du RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique) relookés [le parti de Ben Ali aujourd’hui dissout et interdit NDR]. Ce pôle est aujourd’hui en tractation avec les différentes instances internationales monétaires et les gouvernements occidentaux ; il reconnaît la dette et entend préserver les accords d’association avec l’UE. Il se dit en outre prêt à s’allier avec Ennahdha quitte à faire quelques concessions aux acquis dits modernistes, essentiellement à ceux qui touchent aux droits des femmes. Ce premier pôle est sans doute l’un des favoris de ces élections.
Le second pôle est constitué par les islamistes eux-mêmes qui prônent un double discours sensément ouvert et démocratique (parmi les listes qu’ils présentent, quatre sont menées par des femmes) mais qui vise de fait à restaurer les valeurs d’un islam politique obscurantiste et passéiste dans la vie politique de la Tunisie.
Le troisième pôle est porté par les différentes composantes de la gauche, essentiellement la gauche anticapitaliste, ce qui reste du Front 14 janvier. Malheureusement, il ne trouve pas la bonne articulation entre démocratie politique et démocratie sociale. De plus, un certain sectarisme et un manque d’ouverture semble caractériser ce troisième pôle. Il est souvent plus facile de collaborer avec des citoyen·e·s et des associations de quartiers qu’avec des militant·e·s.
Quels vont être les objectifs de campagne de ce dernier pôle  ?
Il est essentiel pour ce troisième pôle de placer au centre du débat quelques éléments clés qui vont faciliter le tri entre différents projets de sociétés. Ils peuvent être résumés ainsi  : 1. La liquidation de l’héritage de l’appareil répressif. 2. Un programme de développement équitable entre les régions. 3. L’égalité entre les citoyen-nes et la suppression des exceptions dites culturelles apposées à la signature de conventions internationales, comme celles relatives aux droits humains et à l’égalité entre les sexes. 4. La gratuité de tous les services, transports, santé et communication. 5. L’annulation de la dette et des accords d’association. 6. La concrétisation de la démocratie directe. Sans un débat autour de ces questions capitales, la campagne risque de se cristalliser autour de quelques réformes institutionnelles sans véritable contenu social et politique. Aujourd’hui, le vent ne nous est pas favorable. Pensons notamment au fait que la Ligue de la gauche ouvrière est à ce jour toujours interdite. De plus, les dernières mobilisations sociales se sont soldées par des morts, la police tirant sur la foule.
Enfin, les divisions suicidaires au sein de la gauche risquent de faire capoter tout entrée en matière sur des éléments qui constituent le cœur de la révolution tunisienne. Les mobilisations doivent être poursuivies inlassablement, dans la rue, pour amener le débat sur ces questions fondamentales. On ne peut pas considérer que l’Assemblée constituante est le sommet au-delà duquel le processus révolutionnaire ne peut aller. Selon moi, l’Assemblée constituante est un minimum, et le peuple tunisien ne s’est pas révolté pour obtenir le minimum.
Propos recueillis pour solidaritéS par Stéfanie Prezioso