mardi 4 décembre 2012

«Les yeux… visez les yeux…»

La grève générale de Siliana vue par Taoufik Ben Brik. L'écrivain et humoriste tunisien se demande si cette ville est en train de devenir le Sidi Bouzid d'Ennahda?



Vendredi saint, 30 novembre. Siliana, chef lieu du centre ouest céréalier, en est à son troisième jour de grève générale. Une grève générale qui a ébranlé la Tunisie entière.
Même des bourgades habituellement «nonchalantes», Hammamet, Monastir, Djerba, ont manifesté avec brio et brouhaha leur soutien. Toutes les organisations et les partis d’opposition sont sur le pied de guerre. La presse est unanime. «Drame à huis clos», titre le journal La Presse, organe gouvernemental.

Répression aveugle
La Tunisie sous le choc. A «Dégage» au gouverneur de Siliana, neveu d'Hammadi Jebali, chef du gouvernement (même s’il le nie), la Securitate et bras de répression d’Ennahdha, a lancé une véritable expédition punitive contre ces «fauteurs de trouble», ces «contre-révolutionnaires», ces «nostalgiques de Ben Ali et Leila Trabelsi».
«Dégage n’a plus droit de cité, au temps d’un gouvernement légitime. Je dégage bien avant que le gouverneur dégage», menace grosso modo Jebali.
«Pour les beaux yeux d’un gouverneur, on a arraché les yeux aux jeunes manifestants de Siliana», dénonce le très bavard Habib Jouini, dit Zico, originaire de Siliana.
Carnage légitime. Silence, on aveugle en toute légitimité.
En trois jours, plus de 250 manifestants criblés de chevrotine, 22 touchés en pleins yeux.
«Toucher aux yeux c’est le summum de la cruauté. C’est l’instant où  l’humanité chavire dans les ténèbres», pour paraphraser Cormac McCarthy, le dernier géant de la littérature mondiale, toujours vivant. 
«Les yeux… visez les yeux…», ordonne un gradé à des policiers novices nouvellement recrutés et heureux de «casser» du Siliani.
«C’est comme si toute la police du pays qui a débarqué à Siliana», lâche Mounir Sakraoui, syndicaliste.
Du Kef, de Zaghouan, de Nabeul, de Jendouba, de Béja, de Tunis, blindés, garde nationale, brigade d’intervention rapide, ont rappliqué, en renfort, pour mater les insurgés. Tirs de balles réelles, bombes lacrymogènes, matraques, fusils de chasse, violation de domicile nocturne et collective, bastonnade, ratonnade, chasse à l’homme et chevrotine…
«Trente policiers cagoulés et enragés ont investi le bloc opératoire de l’hôpital et malmené des patients. Du jamais vu », rapporte Dr Hassen Manai.
Même le hammam des femmes a été pris d’assaut par une horde de tuniques noires.
Ô mon Dieu, pourquoi?
Un homme interpelle Dieu. Un homme se tourne vers Dieu et se plaint contre la cruauté de ses créatures. Un homme s’étale sur la caillasse, hurle sa douleur :
«ya rabi, ya rabi âlech, Ô mon Dieu, Ô mon Dieu, pourquoi… pourquoi».
Tout autour une foule bigarrée et survoltée reprend en chœur: «Ya rabi … ya rabi…» L’homme, Am Taieb, la soixantaine avancée, la tête dégarnie et la pauvreté qui se lit sur les yeux, pleure à chaude larme:
«Ils nous canardent avec des fusils de chasse… Ils nous prennent pour du gibier, ils nous gazent dans notre sommeil.»
Une femme âgée et tout de noir vêtue se lamente:
«Mon fils, Wildi, est bousillé… Ils n’a plus de dents, plus de z’yeux… Il priait à la mosquée… Ya rabi Alech…»
Pourquoi, Ô Dios. Siliana meurtrie, Siliana bafouée, Siliana profanée… Pourquoi? Pour rien. Sans motif. Sans casus belli. Pour une grève générale pacifique. Aucun lampadaire tombé, aucune vitre cassée, aucun établissement public envahi.
«Manifestation paisible et en bon ordre», dit Bilel Lounissi qui vient de perdre un œil…  «gratuitement».
«A cause de la bêtise animale des policiers», renchérit Ammar Adi, autre estropié.
«Ils insultent les femmes. Ils se déshabillent devant elles et nous montrent leur sexe. Ils pissent à même le sol, à l’intérieur de nos maisons. Ils tiennent les femmes devant leur mari, ouvrent de force leur bouche et leur crachent dedans, avec un torrent de mots orduriers», raconte, non sans dégoût, Khalti Mounira, une femme âgée qui a eu sa dose de chevrotine.
Théorie du complot
«On l’accuse d’avoir lu Mao Tsé Toung», ironise Jamel, son fils cadet, un numéro. Une Hogra qui me rappelle la démence des conquistadors espagnols et portugais dans Aguirre, la colère de Dieu de Werner Herzog, et les Révoltés du Bounty de Lewis Milestone.
Bien sûr, dans la tête de nos décideurs new-look, «made in Qatar», médisent les langues de pute, trotte toujours un complot. Pour eux, «preuve à l’appui», c’est Chokri Belaid et Hamma Hammami, deux figures de la gauche tunisienne, qui manipulent les Silianii, moyennant un peu de Bakchich.
Blessé dans son orgueil, comme tous les Silianii par ailleurs, Néjib Sebti le flegmatique secrétaire général de l’Union régionale des travailleurs tunisiens et néanmoins principal organisateur de l’insurrection, dénonce: 
«On veut même nous enlever la capacité d’organiser une grève générale. Ils veulent nous salir, nous présenter sous une image de gens mineurs téléguidé par des tuteures manipulables qu’on peut sadoyer à volonté…»
S’organiser, faire face à l’hostilité, déjouer l’adversité, les Silianii «l’ont tété depuis leur prime enfance et l’ont étudié comme si c’était des beaux arts.»
Les brigades rouges de Siliana
Arrière-petits fils de Takfarinas et d’Annibal Barca (C’est à Zama qu’ Annibal a croisé le fer pour la dernière fois avec les légions romaines), les Siliani ont stoppé avec brio l’hostilité de la police.
Toutes les bourgades du gouvernorat, Makthar, Gâafour, Bourada, Sidi Bourouis, Lakhwet, Laaroussa, Kisra, Rouhiya, Bargou, El Krib ont ouverts de mini-fronts pour desserrer l’étau sur Siliana et attirer la police et disperser leur force.
Toutes les routes qui mènent à Siliana sont parsemées de barrages de fortunes, faites de pierres, d’arbres et de carcasses de voitures calcinées. Barrages gardés, contre toute attente, par des gamins terribles, intransigeants qui prennent à cœur leur mission d’apprenti Jedi, de jeunes Padawan.
«Mieux que des révoltés à l’improviste, les Siliani se sont métamorphosés en de véritables hommes organiques à la Gramsci, structurant à merveille leur soulèvement politique», m’explique mon frère Jalel, porte parole de la Ligue ouvrière de gauche, parti trotskiste et proche ami du sous-commandant Marcos.
30 novembre, 11 heures, je sillonne l’interminable avenue de l’environnement, principale et unique artère de la ville, après trois heures de route cahoteuse, de panne et de négociations avec les gamins barragistes. Un air d’After Day règne sur le macadam.
Peuple de Siliana dégage!
Pas âme qui vive. Commerces fermés, voitures stationnées, polices démobilisées. On dirait un magnétophone débranché. Les Siliani ont décidé de se retirer de la ville, la laissant aux mains des envahisseurs.
«Le gouverneur refuse de déguerpir, c’est au peuple de Siliana de dégager.»
Un cortège funèbre, en guise de méga-marche, sur dix kilomètres en dehors de la ville, direction le cimentière de Sidi M’ssayed, pour enterrer deux cadavres exquis: Hammadi Jebali et son neveu de gouverneur. 

Un serpent de 30.000 têtes, ivre et fier qui chante a tue tête et danse sous le rythme endiablé de «Targ Essid», chant montagnard et belliqueux des insoumis de la Numidie profonde. Siliana indomptable.
Tard, dans la nuit lumineuse et précieuse de Siliana, El cartouche continue de faire des youyous et les pierres de prendre les policiers pour stand de tirs. Pour le retour, j’ai dû prendre des routes de traverse.
Tous les chemins qui mènent à Tunis sont transformés en champs de batailles. Les combats font rage. Dernière nouvelle du front Ouest: Bargou, Gâafour, El Krib proclament la grève générale…c’est l’entrée de la cinquième armée du général Patton. Hourra… Hourra…Hourra… Y viva La Révoluçion.

Taoufik Ben Brik

vendredi 16 novembre 2012

[Next Stop Lampedusa]


Next Stop Lampedusa from radioazioni on Vimeo.

Next Stop Lampedusa

Lampedusa, Avril, 2011. Hommes, femmes et enfants de la Tunisie, un pays libéré de quelques mois de la dictature de Ben Ali, en fuite d'une situation politique instable et toujours à la recherche d'un avenir meilleur en Europe, sont détenus sur l'île. Lampedusa devient par la volonté du gouvernement italien un "confinement" pour les migrants et les Tunisiens et pour ses propres habitants.
Les visages des survivants à la traversée du Méditerranée, le système d'accueil, les manifestations de Tunisiens qui crient en italien «Vive la liberté», tandis que les insulaires dans la solidarité difficile avec ces hommes et ces femmes qui fuient la pauvreté et la répression.
Les images nous entraînent dans le drame de ceux qui ont dû faire à un voyage, trop souvent, cependant, s'est vite transformée en cauchemar de la détention et la déportation.
Marwen, un garçon tunisien dit: « Au milieu de la mer, le bateau est devenu lourd, les gens se sont battus les uns les autres et se sont poussés dans l’eau, j’en ai vu mourir devant mes yeux, j’ai commencé à pleurer et j’étais triste parce que je n’arrivai pas à les regarder. J’ai commencé à pleurer et je me suis mis au marges ; j’ai vu des gens mortes ».
Abbas, un jeune homme dit: « Chaque jour, entre 8 e 10 bateaux partent de Tunis, mais seulement 3 ou 4 arrivent à destination, tous les autres disparaissent. Les autres meurent tous. »
Un pêcheur de l'île, un membre de Askavusa, explique très bien ce qui se passe sur l'île et l'Afrique du Nord: « Il y a deux problèmes principaux: l’un est certainement la vie d’une île et d’une population qui repose sur la pêche et le tourisme et voit menacé la saison; de l’autre il y a une intervention que nous ne pouvons pas ignorer... il y a un Maghreb qui évolue, qui change l’histoire et à ce point, dans un classement des priorités, il faut peut-être penser que nous sommes citoyens du monde et non pas seulement à notre portefeuille... ce serait bien. Il y a un vent qui vient du sud, il est inévitable. Le temps est gentilhomme et il envoie les factures... nous l’avons utilisé: le Maghreb est notre lieu de vacances, le lieu où nous avons fait les arrangements, le pétrole, nous baisons la main des dictateurs et maintenant les gens viennent frapper à la porte et il faut l’ouvrir »

samedi 27 octobre 2012

[Elargissons la brèche vers la grève générale en Europe !]


https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi-GkWpqz8kqpHmWCm95IrI_AmyV_4GuvzN9kS5l6DRLS-WFyvaz1YTJFJTKobRLX-W2PWpwdRqR-qFlA6PjumrATuIj2RDSlaw6VSdXvaxEisW0RmYVASOdg9tyjmhEOwhwJhfOAl27cnJ/s1600/austerite2.jpgOn sait que les deux principaux syndicats en Espagne, CCOO et UGT, ont appelé à une grève de 24 heures le 14 novembre pour s’opposer à l’austérité d’une brutalité inouïe imposée par le gouvernement Rajoy. Ce sera la deuxième grève de ce genre cette année. Elle est soutenue par des centaines d’associations de toutes sortes.
Le même appel a été lancé au Portugal par la CGTP. Pour rappel, le Portugal a connu récemment les manifestations les plus massives depuis la Révolution des Oeillets, en 1974-75.
De son côté, le principal syndicat du secteur privé en Grèce, la GSEE, appelle également à un arrêt de travail le 14 novembre. Ce sera la quinzième grève interprofessionnelle des travailleurs et travailleuses de ce pays contre les diktats de la troïka BCE/FMI/Commission.
Face à cette coordination horizontale de la riposte, la Confédération Européenne des Syndicats a finalement appelé à une journée d'action européenne le 14 novembre, sous "diverses formes : grèves, manifestations, rassemblements et autres actions".
La CES n’est pas un syndicat mais un groupe de pression qui accompagne la construction de l’UE capitaliste, fait du lobbying auprès de la Commission et organise de temps en temps une manifestation européenne sans lendemains. La dernière, à Bruxelles en 2010, avait pour slogan « pour l’emploi et la relance »…
Selon certaines informations, la décision chèvrechoutiste de la CES concernant le 14 novembre aurait été arrachée très péniblement, au terme de plusieurs heures de tractations.
Le décalage entre la dispersion nationale des luttes, d’une part, et la coordination européenne de l’offensive capitaliste, d’autre part, est une des raisons majeures qui poussent le mouvement ouvrier dans les cordes. Il est grand temps de réagir ensemble, car la classe dominante ne se contente plus d’attaquer les acquis sociaux : avec le Pacte budgétaire européen (TSCG, que la Belgique doit adopter prochainement !), elle est en train de mettre en place un régime européen despotique, dans lequel les parlements élus n’ont plus rien à dire. Dans ce régime, les syndicats seront soit broyés, soit transformés définitivement en courroies de transmission du néolibéralisme.
Il faut donc tout faire pour que les « diverses formes » évoquées par la CES se traduisent par les actions les plus radicales possibles, en fonction des rapports de forces : grèves et assemblées de sensibilisation dans le maximum de pays, de secteurs et d’entreprises, et manifestations combatives. Toute radicalisation du pseudo « mot d’ordre » de la CES sera un pas en avant vers une lutte européenne de plus en plus indispensable.
En Belgique, les directions interprofessionnelles de la FGTB, de la CSC et de la CGSLB discutent d’une manifestation de militant-e-s à Bruxelles devant les institutions européennes, couverte par un préavis de grève (en tout cas pour les affiliées et affiliés FGTB). Mais la section régionale de la FGTB (interprofessionnelle) de Liège-Huy-Waremme a décidé d’une grève de 24h, rejoignant ainsi les camarades espagnols, portugais et grecs. La CGSP-ALR de Bruxelles (secteur des administrations locales et régionales au sein de la Centrale des services publics de la FGTB) a fait de même. Les Jeunes FGTB et les Métallos Walllonie-Bruxelles appellent les travailleurs-ses à se mobiliser pour organiser une grève générale le 14 novembre (communiqué ci-dessous) ! Des groupes de gauche proposent une manifestation unitaire de lutte à Bruxelles. Bravo !

Elargissons la brèche, en Belgique et en Europe ! A l’exemple des syndicalistes espagnols, portugais et grecs, prenons des contacts de syndicat à syndicat, de secteur à secteur, d’entreprise à entreprise, entre filiales au sein des groupes ! Organisons la mobilisation !
Nous répétons notre invitation aux délégations syndicales à organiser des arrêts de travail dans les entreprises et à tenir des assemblées générales sur le lieu de travail pour informer sur l'offensive d'austérité tant en Europe du Sud qu'en Belgique et pour réfléchir, sans attendre, à un plan d’action coordonné vers une grève générale en Europe. C’est indispensable pour que la colère contre la misère et le chômage se transforme en lutte consciente pour une alternative.
Il ne s’agit pas seulement de solidarité avec les travailleurs et travailleuses du Sud de l’Europe, mais de lutte commune contre une même politique de destruction de l’emploi et des acquis sociaux, des services publics, des salaires. Une politique de classe délibérée, téléguidée par le patronat, en particulier par les sangsues du capital financier. Une politique qui sème la misère, le racisme, le sexisme, le nationalisme et fait le lit de la droite-extrême, voire de l’extrême-droite la plus nauséabonde.
Dans notre pays, plus de 10.000 licenciements se décident en un jour avec la fermeture de Ford Genk, de Dow à Tessenderlo, les licenciements chez HP ou Du Pont, ... En même temps, des mesures d’austérité ont déjà été imposées à la hussarde par le gouvernement Di Rupo, à hauteur de onze milliards d’Euros. Dès le mois de novembre, des milliers de chômeurs et de chômeuses commenceront à basculer dans une pauvreté encore plus insupportable. 4,5 milliards de mesures sont encore annoncées pour le budget 2013. Et ce n’est pas tout : alors que la collectivité a perdu 17 milliards dans le sauvetage des banques, la recapitalisation de Dexia menace d’encore alourdir la facture… Tout cela alors que les grandes entreprises ne paient pratiquement pas d’impôt !

Se laissera-t-on abattre un par un, ou nous battrons-nous ensemble, ici et avec le reste de la classe des travailleurs en Europe? Au-delà de la solidarité indispensable avec nos frères et sœurs d’Espagne, du Portugal, de Grèce et d’ailleurs, voilà nos raisons de nous battre à leurs côtés. Pas pour la « relance » du capitalisme (ce serait la destruction sociale et écologique), mais pour un programme anticapitaliste basé sur le partage des richesses, le partage du travail (sans perte de salaire), l’annulation de la dette illégitime, l’extension du secteur public par la création massive d’emplois socialement utiles et écologiquement responsables! Nous appelons également les salariéEs de la Poste en grève dans plusieurs régions, ceux de la SNCB dont le gouvernement vient d’amputer l’enveloppe de 72 millions d’euros et qui luttent contre la casse du service public, comme ceux de Ford, mais aussi d’Arcelor et les autres victimes de la violence capitaliste à unifier leurs luttes et à descendre dans la rue le 14 novembre pour montrer leur colère et leur détermination.
Entreprise par entreprise, secteur par secteur, pays par pays… nous sommes faibles, touTEs ensemble nous serons fortEs. Ensemble, nous pouvons faire en sorte que la peur change de camp. Ensemble, saisissons la chance qui s’offre le 14 novembre de commencer à modifier le rapport de forces. Ensemble, entamons le combat pour une autre Europe : sociale, généreuse, écologiste, démocratique.



Pour la Direction Nationale de la LCR-SAP,
Céline Caudron, porte-parole

mardi 4 septembre 2012

[Tunisie : la révolution continue !]

Tunisie : la révolution continue !


Entretien avec Abdessalem Hidouri* 
(30 août 2012)

Peut-on parler de "raz-de-marée islamiste" à propos de la victoire d'Ennahda aux élections d'octobre 2011 ?
C'était une victoire en termes de nombre d'élus : Ennahda a en effet obtenu 41 % des sièges. Mais un électeur sur deux n'est pas allé voter, et le mode de scrutin démultipliait le score des listes arrivant en tête. En termes de voix, seulement 18 % des électeurs ont en fait voté pour Ennahda.
Ces élections ont constitué une tentative de détournement du processus révolutionnaire. Elles ont été organisées par les forces qui voulaient bloquer le processus révolutionnaire, avec le soutien du patronat tunisien et international, de l'Union européenne, de la Banque mondiale, du Qatar, etc.
Maintenant, nombre de ceux qui ont voté pour Ennahda sont déçus par la politique du gouvernement. Ils demandent que le gouvernement Ennahda "dégage", car celui-ci est dans l'impasse : il n'a pas de programme permettant de résoudre les problèmes sociaux, économiques et politiques.

Comment le pouvoir se situe-t-il par rapport aux salafistes qui ont commis une série d'agressions ces derniers mois ?
Ennahda pratique un double langage. Dans les faits, les salafistes sont très liés à Ennahda, et en particulier au ministre Ennahda de l'Intérieur.
Les salafistes servent souvent de milices au pouvoir. Ils ont par exemple été utilisés comme hommes de main lors de plusieurs manifestations pour attaquer des militants politiques de gauche et des syndicalistes de l'UGTT.

Les luttes ont faibli à partir d'avril-mai 2011. Comment ont-elles évolué depuis ?
On assiste à une remontée des luttes depuis février 2012. La politique du gouvernement en place suite aux élections d'octobre 2011 est en effet dans la continuité de celle Ben Ali.
Comme avant le 14 janvier, les manifestants se battent pour des revendications sociales : l'emploi, la justice sociale, la fin des inégalités régionales, la défense des droits des femmes, etc. Des mobilisations ont également éclaté cet été pour le droit à l'eau, le droit à l'électricité, ainsi que pour la défense des droits des femmes. De nombreuses luttes ont également lieu dans les entreprises, comme par exemple à l'hôpital de Sfax où quatre syndicalistes ont été emprisonnés. Début septembre, les mobilisations devraient reprendre de plus belle.
Les syndicalistes participent pleinement aux mobilisations. Une véritable dynamique existe entre le syndicalisme et le reste du mouvement social. Le rôle de l'UGTT est décisif pour que cette articulation se développe.
Lorsque la LGO dit "la révolution continue", il ne s'agit pas d'un simple slogan. Cela se situe dans la continuité des luttes des jeunes, des syndicalistes, des femmes, etc. Les mobilisations qui ont eu lieu comme à Sidi Bouzid prouvent que le processus continue.

Comment les mobilisations sont-elles organisées ?
Le déclenchement de la révolution de 2011 a largement reposé sur des mobilisations spontanées.  Mais les organisations de gauche ont contribué à leur structuration, avec la constitution du Front du 14 janvier et les Comités de sauvegarde de la révolution.
Il en va de même aujourd'hui. Les manifestations de diplômés-chômeurs ont, par exemple, été rendues possibles par l'existence de l'UDC (Union des diplômés chômeurs). Les récentes mobilisations de Sidi Bouzid ont, par exemple, reposé sur le Comité local de protection de la révolution impulsé par le Front du 17 décembre, qui regroupe l'ensemble des organisations de gauche et nationalistes, ainsi que des militants indépendants.

Que penser des tentatives de regroupements autour des anciens politiciens bourguibistes et bènalistes au nom de la lutte contre les menaces que les islamistes font peser sur les libertés ?
Face au pôle islamiste, un second pôle tente de se structurer autour d'Essebsi, un ancien bourguibiste qui avait été Premier ministre en 2011 entre le 27 février et la fin de l'année. Des partis issus du centre ou de la gauche (dont notamment celui ayant pris la suite de l'ancien Parti communiste tunisien) se sont déclarés prêts à y participer.
Refusant de se laisser enfermer dans cette bipolarisation entre deux tenants du néo-libéralisme, la LGO avait appelé, le 29 mars 2012, à la construction d'un troisième pôle "dont le centre de gravité, le garant de son unité et de la cristallisation de sa force serait l’UGTT". (1)
Mais la direction de l'UGTT refuse de participer à la mise en place d'une alternative politique aux deux pôles dominants. Elle a préféré appeler, le 18 juin, à "un dialogue sérieux, structuré et permanent en vue de trouver un consensus sur les grandes questions suscitant des tiraillements entre les différents partenaires de la vie politique nationale" aux niveaux "économique, social et sécuritaire". (2)

Où en est le regroupement des forces de gauche ?
Un premier regroupement avait eu lieu, le 20 janvier 2011, entre les groupes d'origine marxiste-léniniste (dont le PCOT, et trois courants Patriote démocrates), les trotskystes de la LGO, des partis nationalistes (nassérien et baathiste) et d'autres forces de gauche. Ce Front constitué autour de quelques mots d'ordre immédiats avait rapidement éclaté.
Suite aux élections du 23 octobre des discussions ont eu lieu entre les forces qui avaient participé au Front du 14 janvier, auxquelles se sont jointes d'autres courants de gauche ainsi que des militants individuels. Elles ont abouti sur la décision de créer un nouveau front, sous le nom de "Front populaire du 14 janvier". (3)
L'accord intervenu porte notamment sur les points suivants :
- la nécessité de continuer la révolution,
- la volonté de développer le Front dans les régions pour organiser localement les mobilisations au niveau social, démocratique et politique,
- l'identification des forces hostiles à la révolution et à la classe ouvrière.
Les discussions continuent actuellement. Une conférence est en préparation pour proclamer la fondation de ce Front.

Notes :
(1) "Tunisie : pour un pôle ouvrier populaire autour de l’UGTT" (29 mars 2012) http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article24953
(2) "L’initiative de l’UGTT sur le lancement d’un conseil de dialogue national" (18 juin 2012) http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26202
(3) "Tunisie : le regroupement à gauche franchit une nouvelle étape" (18 août 2012) http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26107
"Rapprochements au sein de la gauche tunisienne" (19 juillet 2012) http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article25957

* Originaire de Sidi Bouzid, Abdessalem était un des coordinateurs des mobilisations parties de l'intérieur du pays qui avaient fait tomber les deux gouvernements mis en place après la chute de Ben Ali (Casbah 1 et 2). Membre du Bureau politique de la LGO, il a participé à l'Université d'été du NPA.

lundi 11 juin 2012

Appel unitaire de la gauche belge en solidarité avec le peuple grec contre l'austérité de la Troïka

Appel unitaire de la gauche belge en solidarité avec le peuple grec contre l'austérité de la Troïka

Par le biais des élections du 6 mai, le peuple grec a confirmé ce qu’il hurle depuis bientôt trois ans: « nous refusons de payer la crise des banques et des élites politiques ». Les deux partis traditionnels, Nouvelle Démocratie (droite) et PASOK (« socialiste »), ont été lourdement sanctionnés pour leur soutien et leur mise en oeuvre des mesures d’austérité extrêmement violentes imposées par la « Troïka » (FMI, UE, BCE). Loin de « sauver » la Grèce, ces mesures ne servent qu’à renflouer les banques allemandes, françaises, belges,… qui risquent gros en cas de défaut de paiement du gouvernement grec.
Mais ces mesures ont surtout servi à imposer des politiques antisociales au peuple grec : baisse drastique des salaires (plus de 25% en deux ans), fermetures d’hôpitaux et privatisations en tout genre, baisse de toutes les allocations sociales. Tout cela sans toucher aux fortunes des armateurs, de l'armée et de l'Eglise Orthodoxe. Pendant ce temps, le chômage a explosé pour atteindre 25%, et même 50% chez les jeunes. Aujourd’hui les suicides dus à la crise se multiplient et les cas d’enfants mal nourris qui s’évanouissent à l’école sont fréquents.
Le peuple grec a exprimé massivement et démocratiquement son refus de cette politique, en accordant près de 30% de ses voix à la gauche anti-austérité. Pourtant, l’UE et les médias ont accusé sur tous les tons les dirigeants de SYRIZA de bloquer une solution politique «raisonnable», qui consisterait à former un gouvernement d’union nationale pour prolonger et donc accentuer la politique de misère que la Troïka proclame être la seule possible ! les classes dominantes européennes sont maintenant inquiètes : la Grèce devient « ingouvernable », cela veut dire en fait qu’aucun gouvernement prêt à se soumettre aux exigences de la Troïka ne bénéficierait d’une majorité au parlement ! Les dirigeants du PASOK et de ND, et leurs collègues européens, notamment du gouvernement allemand mais aussi le belge Karel de Gucht (Open VLD), commissaire européen au commerce, ont lancé une campagne de propagande tous azimuts pour maintenir le pillage de la société grecque en faveur de la « bancocratie » européenne et mondiale. La menace d’expulser la Grèce de la zone euro se fait de plus en plus concrète.
Tous ces apôtres de l’austérité démontrent donc que la volonté du peuple leur importe peu. C’est la dictature des marchés à tout prix qui règne. Pour satisfaire leurs maitres européens et banquiers, le PASOK et ND ont déjà matraqué, gazé et enfermé des milliers de Grec-que-s qui tentent de leur rappeler ce que signifie le mot démocratie. C’est à coups de matraques et dans le sang qu’on pousse les Grec-que-s à la misère. Ces politiques et la répression qu’elles entrainent font aussi le lit du racisme et du fascisme. Les résultats du parti nazi Aube Dorée et de l’extrême droite renforcent encore le besoin de soutenir le peuple grec dans sa résistance pour des solutions justes et solidaires. Les « bancocrates » sèment la haine et la peur mais le peuple refuse de céder à leur répression.
C’est en Grèce que se joue l’avenir des peuples européens, la Commission et les banques essayent déjà d’imposer les mêmes « solutions » à l’Italie, à l’Etat Espagnol et au Portugal. Si nous ne les arrêtons pas, la Belgique suivra. Toute l’Europe se voit confrontée à des degrés divers à ce même diktat de l’austérité, chez nous menée par le gouvernement Di Rupo (PS). C’est pourquoi une victoire contre cette politique en Grèce donnera du courage et de l’espoir à tous les peuples européens dans leur lutte contre l’Austérité.
Nous, militantes et militants en Belgique, issus des mouvements sociaux, des syndicats, de partis politiques de la gauche, déclarons soutenir le peuple grec dans ce moment historique, contre le chantage indigne des dirigeants européens.
- Nous refusons de laisser le peuple grec isolé face aux attaques d'austérité.
- Nous sommes solidaires de la lutte du peuple grec contre les politiques d'austérité ainsi que de son aspiration à un gouvernement qui appliquera ses revendications, comme l'annulation immédiate des programmes d'austérité de l'UE et le FMI, l'audit de la dette et l'annulation de la dette illégitime.
- Nous condamnons l'attitude et le chantage de l'UE et des gouvernements qui dénie au peuple grec son droit démocratique de choisir sa politique sociale et économique, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'eurozone.
- Nous appelons dans ce sens à une convergence des résistances au-delà des frontières, pour rejeter l'austérité et le défaitisme, pour triompher de la droite extrême et pour construire une autre Europe au service des besoins sociaux de toutes et tous et des nécessités environnementales.
Sur base de ces mots d'ordre, nous appelons, comme plusieurs organisations
[1], à la manifestation « Ni en Grèce, ni en Belgique, ni nulle part! » de ce mercredi 13 juin, au départ de la Bourse de Bruxelles à 18h, vers l'ambassade de Grèce 


Premiers signataires :
Baptiste Argouarc'h - Freddy Bouchez (coordinateur de l’ASBL CEPRé, militant FGTB Centre) - Yannick Bovy (réalisateur, militant syndical et associatif) - Céline Caudron (Ligue Communiste Révolutionnaire) - Alixe Constant (Théâtre des Rues) - Marie-Françoise Cordemans  - Jean Delval (Théâtre des Rues)- Nuray Dogru - Guy Fays (secrétaire régional, FGTB Namur) - José Garcia (syndicat des locataires) - Sophie Heine (politologue a l'ULB et à l'Universite d'Oxford) - Dalila Larabi (animatrice au Bureau wallon des Femmes du CEPAG) - Mattheu Lietaert (docteur en sciences politiques et co-réalisateur de "The Brussels Business") - Herman Michiel (Ander Europa) - Silvio Marra (ex-délégué FGTB aux Forges de Clabecq) - Céline Moreau (Jeunes FGTB) - François Polet (Centre Tricontinental –Cetri) - Hamel Puissant (animateur-formateur en Education permanente) - Jean-François Ramquet (secrétaire régional interprofessionnel FGTB Liège-Huy-Waremme) - Gérald Renier (section bruxelloise des Etudiants FGTB) - Danièle Ricaille (Théâtre des Rues) - Herman Van Laer (afgevaardigde ABVV Evonik Degussa) - Felipe Van Keirsbilck (secrétaire Général de la CNE) - Jean Vogel (professeur ULB) - Thomas Weyts (Socialistiche Arneiderspartij)
[1] Ander Europa ; Attac ULB ;  Centrale Nationale des Employés (CNE) ;  Centre Tricontinental (CETRI) ; Comité Mapuche Belgica (COMABE) ; Comac ; Comité d'Action contre l'Austérité de l'asbl Cepré (Centre d'Education Populaire Régional) ; Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde (CADTM) ; Comités Action Europe ; Egalité ; Etudiants FGTB Bruxelles ; Etudiants de Gauche Actifs - Actief Linkse Studenten (EGA - ALS) ; Fédérations bruxelloise et liégeoise du Parti Communiste ; Initiative de Solidarité à la Grèce qui Résiste ; Jeunes Anticapitalistes (JAC) ; Jeunes FGTB ; Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) ; Ligue Communiste Révolutionnaire / Socialistische Arbeiderspartij (LCR-SAP ; Parti Humaniste ; Parti Socialiste de Lutte - Linkse Socialistische Partij (PSL - LSP) ; Rood! ; Socialisme 21 ; Syriza Belgique ; Théâtre des rues ; Vie Féminine Bruxelles ; Vonk/Unité Socialiste ; Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB) ; Links en Ecologisch Forum (LEF) ; PTB/Pvda ; ATTAC Bruxelles 2 ; Vrede VZW ; Section du Parti de la Rifondazione Comunista de Bruxelles "E. Berlinguer" ; Parti Communiste Wallonie-Bruxelles ; Ligue Communiste des Travailleurs (LCT) ; ZINTV ; Izquierda Unida Bélgica

mercredi 30 mai 2012

Ni en Grèce, ni en Belgique, ni nulle part!

Συγκέντρωση αλληλεγγύης στον ελληνικό λαό ενάντια στη λιτότητα, την τραπεζοκρατία και την Τροικα, στις 13 Ιούνη στις Βρυξέλλες.
Στις 13 του Ιούνη οι δρόμοι των Βρυξελλών θα πλημμυρίσουν ελπίδα!
ο ΣΥΡΙΖΑ Βελγίου συμμετέχει σε αυτή τη συγκέντρωση και υπογράφει το κάλεσμα, το οποίο ξεκίνησε από πρωτοβουλία Βέλγικων οργανώσεων.
ΛΑΟΙ ΤΗΣ ΕΥΡΩΠΗΣ ΕΝΩΘΕΙΤΕ!
Ni en Grèce, ni en Belgique, ni nulle part! 
Van Rompuy, Di Rupo, De Gucht, nous refusons votre austérité!





Manifestation 
ce mercredi 13 juin, à 18h, 
au départ de la Bourse vers l'ambassade de Grèce
  • Nous refusons de laisser le peuple grec isolé face aux attaques d'austérité.
  • Nous sommes solidaires de la lutte du peuple grec contre les politiques d'austérité ainsi que de son aspiration à un gouvernement qui appliquera ses revendications, comme  l'annulation immédiate des programmes d'austérité de l'UE et le FMI, l'audit de la dette et l'annulation de la dette illégitime.    
  • Nous condamnons l'attitude et le chantage de l'UE et des gouvernements qui dénie au peuple grec son droit démocratique de choisir sa politique sociale et économique, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'eurozone. 
  • Nous appelons dans ce sens à une convergence des résistances au-delà des frontières, pour rejeter l'austérité et le défaitisme, pour triompher de la droite extrême et pour construire une autre Europe au service des besoins sociaux de toutes et tous et des nécessités environnementales.
Premières organisations signataires (au 29/05):
Ander Europa
Comités Action Europe
Comité d'Action contre l'Austérité de l'asbl Cepré (Centre d'Education Populaire Régional)
Comité pour l'Annulation de a Dette du Tiers-Monde (CADTM)
Egalité
Initiative de Solidarité à la Grèce qui Résiste
Jeunes Anticapitalistes (JAC)
Jeunes FGTB
Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC)
Ligue Communiste Révolutionnaire/Socialistische Arbeiderspartij (LCR-SAP)
Parti Communiste de Bruxelles
Parti Humaniste
Théâtre des rues
Vonk/Unité Socialiste
Pour soutenir la manifestation en tant qu'organisation, écrire à anti.austerite@gmail.com

samedi 19 mai 2012

Syriza ou la percée magistrale d’une expérience unitaire unique et originale

 Syriza ou la percée magistrale d’une expérience unitaire unique et originale
Épouvantail pour « ceux d’en haut », espoir pour « ceux d’en bas », SYRIZA fait une entrée fracassante sur la scène politique de cette Europe en crise profonde.
par  Yorgos Mitralias
Après avoir quadruplé sa force électorale le 6 mai, SYRIZA ambitionne maintenant non seulement de devenir le premier parti de Grèce aux élections du 17 juin, mais surtout de pouvoir former un gouvernement de gauche qui abrogera les mesures d’austérité, répudiera la dette et chassera la Troïka du pays. Ce n’est donc pas une surprise si SYRIZA intrigue fortement au delà de la Grèce, et si pratiquement tout le monde s’interroge sur son origine et sa vraie nature, ses objectifs et ses ambitions.
Cours d'économie, Place Syntagma.
Cependant, SYRIZA n’est pas exactement un nouveau venu dans la gauche européenne. Né en 2004, la Coalition de la Gauche Radicale (SYRIZA) aurait due attirer l’attention des politologues et des médias internationaux ne serait-ce que parce qu’elle était, dès ses débuts, une formation politique totalement inédite et originale dans le paysage de la gauche grecque, européenne et même mondiale. D’abord, à cause de sa composition. Formée de l’alliance de Synaspismos (Coalition), un parti réformiste de gauche de vague origine eurocommuniste ayant de représentation parlementaire, avec une douzaine d’organisations d’extrême gauche, qui couvrent presque tout le spectre du trotskisme, de l’ex-maoïsme et du « movimentisme », la Coalition de la Gauche Radicale constituait déjà à sa naissance une exception à la règle qui voulait –et continue à le vouloir- que les partis plus ou moins traditionnels à la gauche de la social-démocratie ne s’allient jamais avec les organisations d’extrême gauche !

jeudi 17 mai 2012

[A gauche, le débat enfin ouvert ?]


A gauche, le débat enfin ouvert ?
Le 1er mai 2012 fera date pour la gauche en Belgique. Dans des échos publiés la veille et dans son discours le 1er mai face aux militants rassemblés devant la FGTB carolo, le Secrétaire Régional, Daniel Piron, a exprimé avec force et clarté ce que des centaines de militants syndicaux ne cessent de se répéter depuis des années : le syndicalisme est orphelin, ses « relais politiques naturels » le Parti Socialiste et (dans une moindre mesure) Ecolo, ont achevé leur conversion au libéralisme économique et se contentent dès lors « d’accompagner » le capitalisme et de soigner ses crises à répétition avec de la poudre de perlimpinpin.
Ce que vivent chaque jour les travailleur(se)s et leurs déléguéEs, c’est l’extrême sauvagerie de ce système inhumain : restructurations, licenciements, durcissement des conditions de travail, exclusion, racisme et précarité à tous les étages, mise en concurrence des travailleurs, chômage massif, politiques d’austérité, attaques contre les conquêtes sociales, contre les services publics, etc.… ne sont que le résultat de la course au profit qui est le fondement même du système. Daniel Piron le proclame « Il nous faut, et je sais, chacun d’entre nous, chacun d’entre vous, convaincus, mettre ce système capitaliste aux oubliettes de l’histoire.  Ce système ne peut être réformé. Il doit disparaître. » 
C’est au nom de toutes les composantes de la FGTB de Charleroi (la 2ème régionale de la FGTB wallonne en nombre d’affiliés) qu’il ajoute : « Combien de temps allons-nous encore, Camarades, nous laisser tondre la laine sur le dos ? Quel est le déclic dont nous avons besoin pour que la peur change de camp ? »
Après avoir passé en revue  les dérobades, reculs (sinon trahisons) des sociaux-démocrates, estimant « qu’à force de composer, on se décompose, on se dilue.  Et pour l’instant, c’est la gauche qui se dilue dans la droite » le responsable de la FGTB a lancé un appel sans ambigüité : « Aujourd’hui, camarades du PS, la politique du moindre mal ne passe plus chez nos militants. La phrase magique « ce serait pire sans nous » fait offense à leur intelligence. (…) Ce que nous lançons comme appel, c’est un appel à rassembler à gauche du PS et d’ECOLO.  Il y a là des forces vives, actives, militantes et anticapitalistes porteuses d’espoir pour le monde du travail. Je sais que cela ne sera pas chose facile, mais si chacun peut faire un pas vers l’autre, PTB, LCR, PSL, PC, gauche chrétienne peut-être, gauche du PS et d’ECOLO s’il en reste, sûrement, nous pourrons certainement , nous l’appelons de toutes nos forces, renouer avec l’espoir pour le monde du travail. (…) Et ce, en toute indépendance syndicale s’entend. »
Un simple discours de 1er mai ? Non, car Daniel Piron précise immédiatement : « Mais se contenter de l’affirmer du haut de cette tribune ne suffit pas.  Faut-il encore nous en donner les moyens et le relais politique pour concrétiser notre objectif. »
Et d’insister sur la méthode : « Mais l’indépendance syndicale n’est pas synonyme d’apolitisme.  Et chacun sait l’importance d’un relais politique. Nous n’agirons toutefois nullement dans la précipitation.  Loin de nous cette idée de construire cette force à gauche du PS et d’ECOLO dans les prochains jours ou prochaines semaines. Un travail en profondeur reste à mener d’abord avec nos militants même si nous sommes convaincus qu’ils partagent notre vision. C’est eux qui l’ont générée. Après les élections communales, sur base du programme de la FGTB, nous interpellerons les forces de gauche (…) et nous mesurerons à quel niveau elles partagent nos valeurs et nos objectifs. »
Chacun doit prendre ses responsabilités
Si ces déclarations ont été chaleureusement applaudies par les centaines de militant(e)s syndicaux(ales)  présent(e)s à Charleroi, il faut bien constater que cet appel n’a pas encore reçu l’accueil qu’il est en droit d’attendre au sein des différentes composantes de la gauche. Le PS minimise : « on est habitué à ces crises cycliques ».
Du côté de certains pontes syndicaux, coincés dans leurs vieilles habitudes aux accents « sous-régionalistes », on n’hésite pas à ressortir les vieilles rengaines sur le thème « l’important c’est de rassembler »... Critiquer le PS un matin et se « rassembler » avec lui dans l’Action Commune Socialiste le lendemain ? De faux arguments d’unité pour éviter de  répondre aux questions clés. « Le Soir » du vendredi 4 mai donnait le ton de ces pseudo-arguments et tirait déjà une conclusion provisoire « Retour au début : en définitive, il ne se passera peut-être pas grand-chose de neuf à la gauche de la gauche, même s’il se passe indéniablement quelque chose à Charleroi… »[1]

Peu d’échos aussi du côté des petites organisations de la gauche pourtant  si promptes à s’autoproclamer « incontournables ». A titre d’exemple, du côté du PTB, la page Facebook du parti à Charleroi est restée muette et le site national se limitait jusqu’au 4 mai à dire quelques mots, assez flous, sur la prise de position de la FGTB-Charleroi « (qui) nourri de grands doutes quant à la volonté du PS », escamotant la proposition pourtant adressée clairement au PTB dans le discours de Daniel Piron. D’une semaine à l’autre, la différence est troublante : les dirigeants du PTB qui avaient si bien courtisé Bernard Wesphael ont fait bien peu de cas de la proposition d’une organisation comptant plus de 100.000 affiliés… D’autres, trop occupés à la préparation des listes pour les élections communales, semblent  empressés de tourner cette page du 1er mai 2012 : n’est-il pas plus simple de se cantonner  à une intervention  propagandiste abstraite sur la nécessité de « construire un parti des travailleurs » que de mettre la main à la pâte ?

Au boulot !
Le discours de 1er mai de la FGTB Charleroi a un immense mérite : il ouvre, enfin, le débat à gauche autrement que par le petit bout de la lorgnette. Ce que propose la FGTB Charleroi est d’une autre nature que les habituels « cours sur l’unité » qui s’ouvrent avant chaque scrutin et se referment aussitôt après… A Charleroi, mais aussi dans les autres régions, ce n’est pas tous les jours que, des rangs syndicaux, monte une analyse et surtout des propositions pour sortir de l’impasse dans laquelle la social-démocratie a conduit les travailleurs. Je ne doute pas que des responsables syndicaux sincères  mettront de côté leurs particularismes et leurs (petites) divergences, pour enrichir ce débat crucial pour le mouvement ouvrier.  Si c’est le cas les « petits réflexes des petits appareils » apparaîtront pour ce qu’ils sont : anecdotiques…
Personnellement je pense que les militantEs (et les organisations, bien entendu) doivent sortir de leur torpeur et saisir cette main tendue par l’organisation syndicale. Dans le texte qu’il a publié, Freddy Bouchez a totalement raison d’écrire « Celles et ceux qui aujourd’hui, dans ou à l’extérieur du mouvement syndical, prennent des initiatives pour concrétiser cette recomposition à gauche sont à soutenir. Nous devons nous engager avec eux pour que ce nouveau parti anticapitaliste devienne réalité. »[2]
J’espère que dans d’autres régions, au sein des organisations syndicales, dans les milieux associatifs et chez tous les « indignés », des militants vont s’approprier ce chantier et se (re)mobiliser. Je pense à tous ceux qui en décembre 2011 ont râlé comme pas possible quand le PS les a ignorés en faisant passer en trombe les mesures sur les fins de carrière. Je pense aux militants que Rudy Demotte a traités « d’intempérants » et à ceux que Di Rupo a accusé de « conduire le peuple vers l’abîme » (lors de la présentation de leurs « bons » vœux…). Je pense aux travailleurs sans emploi et particulièrement aux jeunes qui vont se faire jeter par dizaines de milliers d’ici quelques mois. Je pense à tous ces militants qui ont contribué au succès de la grève du 30 janvier et aux actions du 29 février et qui savent que, comme en Grèce, en  Espagne et au Portugal, les politiques d’austérité drastique sont passées grâce aux « socialistes ». Qui savent que sans se dégager de cette impasse politique, le mouvement syndical est condamné à subir de lourdes attaques ou devenir, au mieux, un rouage du système.

Freddy Mathieu


[1] Le Soir 04/05/2012 « Le PS écorché sur son flan gauche » page 4