vendredi 27 janvier 2012

[C’est l’année du Dragon]

C’est l’année du Dragon
Albert l’intempérant…

C’était un vieil homme, je pense que je l’ai toujours connu vieux. Chaque nuit il recomptait les étoiles, son monde… Il trainait sa moustache dans le quartier. Et se réchauffait là où il pouvait. Sur une bouche de métro, dans l’entrée d’un grand magasin, dans un musée, aux vernissages d’expo et aux bons vœux des politiciens. Un jour de janvier il y fit la rencontre de gens qui se plaignaient de l’exploitation, de la précarité, de l’austérité. Sur cette belle place, leurs paroles faisaient « tâche ». J’ai entendu sa voix qui surmontait le brouhaha : « Dans la mesure où le contrat de travail est « libre », ce que l’ouvrier reçoit est déterminé, non pas par la valeur réelle des biens qu’il produit, mais par le minimum de ses besoins et par le rapport entre le nombre d’ouvriers dont le capitaliste a besoin et le nombre d’ouvriers qui sont à la recherche d’un emploi. Il faut comprendre que même en théorie le salaire de l’ouvrier n’est pas déterminé par la valeur de son produit » lança-t-il au petit employé de Banque coincé dans son gros nœud (de cravate), un certain Rudy je crois, qui voulait lui couper la parole. Mon pépère ne se laissa pas démonter et enchaîna : «  je crois qu’il faut absolument veiller à ce que les jeunes puissent prendre part au processus de la production. Il le faut. Les vieux doivent être exclus de certains travaux – je nomme cela le travail sans qualification – et recevoir en compensation une certaine rente, puisque jadis, ils ont fourni, assez longtemps, un travail productif reconnu par la société ».
Ces mots un peu décalés eurent le don de fouetter la verve du guichetier noué  qui l’apostropha à nouveau : « … je peux comprendre par moment l’intempérance, ou la colère, l’indignation… ».
On le traitait d’ivrogne ? Dans son petit Littré (Emile) il a compris la définition de l’intempérance : « Intempérance de langue, trop grande liberté qu'on se donne de parler, soit en disant ce qui ne devrait pas être dit, soit en attribuant aux autres des actes ou des discours qui peuvent nuire à leur réputation. » L’e-Rudy et son accent pincé lui rappelaient quelqu'un…  un politicien qui s’était fait parachuter récemment dans le village ! Il voyait rouge, mon Albert.

[Sous les pavés, la grève] La semaine suivante il se rendit au village voisin, une grosse bourgade où un Dragon faisait régner la rigueur. A l’entrée du bourg il avisa un hangar à Zeppelin et s’y hâta pour se réchauffer. Des notables étaient là, attendant que la réception se termine pour se ruer sur le mousseux et ramasser les miettes du buffet. Dehors des gens dignes se serraient pour ne pas subir la morsure du froid. Ils menaçaient de se mettre en grève après le nouvel-an chinois si on ne les écoutait pas.  Albert leur tint à peu près le langage suivant : « Le capital privé tend à se concentrer dans quelques mains... Le résultat de ces développements est une oligarchie du capital privé dont la puissance colossale ne peut être réellement contrôlée même par une société politiquement organisée de façon démocratique. Ceci est vrai puisque les membres des organisations législatives sont choisis par des partis politiques, financés en grande partie, ou, en tout cas, influencés par des capitalistes privés qui, pour des raisons d’ordre pratique, séparent l’électorat de la législature. Ceci a pour conséquence que les représentants de la population ne protègent pas suffisamment efficacement les intérêts des parties sous privilégiées de celle-ci. De plus, dans certaines conditions, les capitalistes privés contrôlent inévitablement, directement ou indirectement, les sources principales d’information (presse, radio, enseignement). Il est donc extrêmement difficile, et, en réalité dans la plupart des cas tout à fait impossible, pour un individu de parvenir à des conclusions objectives et d’utiliser intelligemment ses droits politiques. »
Le Grand Dragon qui ramenait sa queue par là, se sentit visé et cracha sa colère : « Il est scandaleux de penser que les socialistes ont cédé. Penser cela, c’est créer une dégradation du climat au sein de la gauche. À force de dire des choses excessives, vous conduisez les citoyens vers l’abîme. » Intempérance, se dit Albert.
Eh oui ! nous en étions arrivés là : il était désormais scandaleux de penser…  et encore plus scandaleux de s’exprimer.
De ces deux expériences Albert se dit qu’il y avait des relations entre l’infiniment petit et l’infiniment grand. Et il observa les étoiles toute la nuit.

[L’abîme…] Albert dormait sur des cartons. Et des journaux. Mais il ne les lisait plus, ça lui donnait des aigreurs. Quand Laurette, lâcha une information assez étonnante : « La ministre des Affaires sociales Laurette Onkelinx a quant à elle souligné que le budget de la sécurité sociale (75,6 milliards d'euros) s'est clôturé avec un boni de 632 millions d'euros par rapport aux prévisions initiales. Grâce à cette amélioration, le gouvernement a pu réduire le montant de la dotation spéciale versée par l'Etat pour aider la sécurité sociale de 693 millions d'euros », elle lui passa sous le nez,  plus précisément sous le cul.
Il ne connut donc pas la bonne nouvelle. Quoi ? La Sécu était en Boni en 2011 et l’Etat avait même récupéré du fric de ce côté-là.  La sécu en équilibre ce n’est pas ce que prétendait le papillonnant Dragon… « Vous savez, je reste persuadé que les réformes que nous avons entreprises sont absolument indispensables. Objectivement, si on ne fait pas ça, il y a le danger… Un : le danger que les forces centrifuges l'emportent sur les forces centripètes. Deux : en termes de sécurité sociale, si vous voulez préserver les soins de santé, préserver notre jeunesse, lui donner un avenir, éviter que demain, les gens ne doivent cotiser à des niveaux insupportables… C'est notre responsabilité de réformer. » Un leitmotiv.
En 2007, le petit employé picard qui était alors Ministre des Affaires Sociales – je devrais le préciser à Albert- se félicitait aussi de la bonne santé de la Sécu. Il donnait donc de bons conseils à ses successeurs : "Grâce à notre gestion, le prochain gouvernement disposera d'un bon budget pendant deux ans au moins. Il peut donc maintenir la norme de croissance des soins de santé et la liaison des allocations au bien-être sans mettre les finances de la Sécu en péril. S'il touche à ces grands équilibres, ce sera un signe important. Les citoyens devront alors commencer à craindre ce gouvernement de centre-droit."
Ce ne fut pas un gouvernement Orange Bleue mais un gouvernement intérimaire (Verhofstadt III) dans lequel se retrouvaient notamment les socialistes… et puis la première « Crise des banques ». Et la dégradation économique généralisée. Des licenciements à la pelle, le nombre de chômeurs admissibles sur base d’un travail à temps plein a augmenté de près de 33.000 unités entre 2008 et 2010 (+11%). La Sécu accusait le coup mais gardait néanmoins le cap.

Dis-moi, Albert, tu crois que c’est raisonnable dans cette période de crise, quand on a tant besoin de la Sécu, de diminuer sans cesse ses recettes ? La diminution des « charges sociales » des entreprises est passée de 756 millions € en 1994, 1,325 milliards € en 1996, 6,3 milliards d'euros en 2008, 9,254 milliards € en 2010… Ce sont des milliards de salaires indirects qui sont passés de la poche (collective) des travailleurs dans celle des actionnaires/spéculateurs. Et la Sécu, contrainte à l’équilibre budgétaire, a du limiter ses dépenses. Tu comprends pourquoi les allocations décrochent et pourquoi ta pension est si basse ?
Allez Albert, réponds, nom de Dieu. Réveille-toi ! Albert…

                  L'esprit intempérant, dans le désir de tout savoir, va rechercher ce qu'il y a de plus secret 
                  dans la nature (SAINT-ÉVREMOND dans RICHELET)
fRED

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