Récemment, j’ai eu l’occasion d’apprécier un concert de rébètiko, organisé par les Jeunesses Musicales. Ça faisait un petit moment que je voulais vous parler de cette musique qui me fait « vibrer »… C’est magique ? Non ! simplement cette complicité, cette connivence qui vous fait comprendre la tonalité exacte de la détresse (ou la joie) de votre égal. La voilà donc l’opportunité de faire découvrir le blues (ou le fado) des grecs, tant cette musique porte en elle toutes les (petites et grandes) souffrances du peuple grec. Expression populaire, donc souvent interdite, ne plaisant pas aux dictateurs, aux gens d’église et aux notables. Mais cette musique est-elle seulement grecque ? Et les grecs sont-ils d’accord sur son histoire ?
D’Anatolie au Pirée
Une première version, disons « linéaire », inscrit le rébètiko sur une ligne du temps allant de l’extrême fin du 19ème jusque 1920 et sa «catastrophe »… C’est dans les années 1920 que naîtrait, importé des ports et des quartiers grecs d'Asie Mineure, le rébètiko. Il arrive en Grèce suite au rapatriement de centaines de milliers de Grecs d'Asie mineure en 1922. Suite à cet « échange des populations » prévu par le traité de Lausanne, beaucoup de Micrasiates s'installent dans les grandes villes de Grèce (à Thessalonique, au Pirée) et à Syros dans les Cyclades, apportant avec eux leurs traditions musicales. Le rébètiko en garde ses influences de Smyrne et d’Anatolie mais épouse par ses thèmes la vie et les déboires de cette nouvelle population urbaine. Durant cette période, la thématique du rébètiko comporte principalement des chansons d’amour et d'autres liées à des comportements défiant la loi (consommation de drogues). Au départ l’influence smyrniote est telle qu’il est difficile de distinguer le rébètiko tragoudi du smyrneïko tragoudi.
Pour les seconds la naissance du rébètiko est plus urbaine et plus récente : étrangers au sein de leur propre patrie, confrontés au chômage, à la pauvreté et même à une forme de racisme, les rapatriés se réfugient dans leur musique qui prend alors son véritable essor. « Car le Rébètiko n'est pas simplement une chanson, mais aussi un mode de vie celui des Rébètes mot qui signifie (entre beaucoup d'autres significations) "rêveurs", rêveurs d'un monde meilleur. Des gens pauvres mais très dignes héritiers des bandits d'honneur de la guerre d'indépendance qui chantaient eux la chanson klephtique. Les Rébètes constituent une véritable culture en marge de la société grecque et revendiquent leur marginalité » nous dit Eleni Cohen sur son site.
« Ces deux mondes, celui du smyrneïko et celui du piraiotiko n'auraient jamais dû se rencontrer, mais les hasards de l'histoire en avaient décidé autrement pour le plus grand bien de ce que va devenir le rébètiko. » Oui, c’est dans cette chimie que réside la profondeur du rébètiko, son universalité.
En 1932 circulent en Grèce les premiers enregistrements de rebetika de Markos Vamvakaris. En 1936 Ioánnis Metaxás prend le pouvoir et il suspend, sine die, le Parlement et divers articles de la constitution. Le 4 août 1936, Metaxás était, dans les faits, dictateur. Il s'inspira alors des formes autoritaires du régime fasciste italien de Mussolini. Il interdit les partis politiques. Il fait arrêter les opposants : près de 15.000 grecs furent arrêtés et torturés durant les cinq ans de la dictature de Metaxás. Il déclara les grèves illégales et instaura la censure. Par nécessité, la discographie s’adapte aux nouvelles règles et toutes les références aux drogues, tekedes (l'endroit où les «rêveurs» fument le narguilé, chantent et dansent) disparaissent peu à peu des enregistrements.
Malgré tout on continue d’écrire des chansons à thématique sulfureuse jusqu’à l’invasion de la Grèce par les Allemands en 1941. 40.000 personnes moururent de faim au cours de la première année d'occupation par les Nazis tandis que 25.000 autres périrent dans la guérilla qui les opposa à la Wehrmacht. Et parfois derrière les mots «anodins» des rebetika il y a des messages que seuls les grecs peuvent «interpréter» ainsi en va t’il du fameux Sinefiasmeni Kiriaki, «Dimanche sous les nuages, tu ressembles à mon cœur...», le message de résistance à l'occupant nazi… Avec l’occupation cessent tous les enregistrements.
Bon là je vous parle d’un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître, c’est pas Zorba, ici on ne casse pas les assiettes après une bonne brochette/frites.
Fermez les yeux, apprenez le grec et revenez me voir pour les épisodes suivants.
fRED
Pour vous donner goût à vous laisser tenter, quelques liens…
- Rébètiko : Le film de de Costas Ferris (1983) d'une durée de 1h45 avec Sotiria Leonardou (Marika) et Nikos Kalogeropoulos (Babis), Musique de Stavros Xarchakos, Paroles de Nikos Gatsos, Ours d'argent 1984 au festival de Berlin – sur Google video-
- bibliographie du rébètiko (Eleni Cohen sur son site)
- Et ma chanson favorite Sinefiasmeni Kiriaki (je vous conterai son histoire dans ma prochaine livrée) « Pour écrire une telle musique -disait Tsitsanis dans une interview - il faut souffrir, il faut avoir faim. Aujourd'hui tout le monde a tout. Les disques sont produits industriellement. Alors pour enregistrer une chanson ça nous prenait un mois. Aujourd'hui ils en écrivent 10 par jour. Toutes ces facilités sont catastrophiques pour l'esprit, l'âme, l'imagination. »
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