samedi 7 juin 2008

Rebetiko -2-

"Quand je serai Premier ministre, tous ceux qui seront Premier ministre, tous vont mourir. Le peuple leur court après, pour tout le bien qu'ils font. Tous vont mourir, tous ceux qui seront Premier ministre. Je pose ma candidature pour être Premier ministre, pour paresser, manger et boire,… Et quand j'irai au gouvernement, je les commanderai tous! Je leur bourrerai le narghilé jusqu'à ce qu’ils soient tous défoncés."
Tous ceux qui seront Premier Ministre – Markos Vamvakaris

Déjà je vous ai parlé de la chanson rébètique, le petit extrait vous montre une de ses facettes, celle du rejet de l’autorité, mais elle en marque dans le même temps toutes les limites. En aucun cas il ne s’agit d’une contestation politique : « Le rébète est un outsider à tout point de vue aux yeux des autorités. Il aime les défier mais ne s’engage pas dans une action militante à leur encontre, même si ses chants manifestent le refus d’être soumis aux règles de la société ». (cahier des Jeunesses Musicales – 2008).
« Les Rébètes constituent une véritable culture en marge de la société grecque et revendiquent leur marginalité » (Eleni Cohen)
A partir de 1850, la population de Grèce se développe brusquement et les centres urbains se développent. C’est le résultat de la migration des paysans qui partent s’installer en ville, de l’arrivée massive des réfugiés grecs de la diaspora –de Russie notamment-, et plus tard en 1922, du « retour » des grecs d’Asie Mineure (plus d’un million dont 180.000 réfugiés grecs de Smyrne qui en compte plus de 300.000 alors qu’à l’époque Athènes a moins de 250.000 habitants).
La vie de ces gens déracinés est au cœur du rébètiko.

« Je suis diplômé de l’université du caniveau » Markos Vamvakaris
Le mouvement rébète, ou plus précisément cette « culture rébètique », est née de la pauvreté, pas d’une intention politique. Elle dit la détresse, le mal-vivre, les lamentations, les protestations d’une population propulsée dans les ghettos urbains baignés par la pauvreté, le déracinement, la prostitution, le chômage, la clochardisation, les pressions policières.
Dans les années 20-30, les travailleurs tentent de s’organiser, les gouvernements répondent par la répression. Le rébètiko est mêlé à cette réalité effervescente et s’en nourrit. Il déplore les inégalités, l’injustice… mais célèbre ce qui aide à s’en évader : le vin, l’amitié, le haschisch. Il chante l’amour, ses joies, ses amertumes. Mais derrière la métaphore de l’amour déçu se perçoit la déception causée par les injustices qui perdurent et une soif de dignité.
Marqués par ces conditions de vie très dures, les rébètes ont développé une mentalité et un mode de vie particuliers. Ils parlent un langage argotique qui leur est propre (le koutsavakika).
« A travers le Rebetiko, ils évoquent l'humaine condition avec pudeur mais sans fard. Et n'ont pas peur de se mettre eux mêmes en scène dans de petits tableaux qui parlent d'amour, où la femme peut être cruelle, de la drogue, de leur vie de misère, de l'abnégation de leur mère, de la "xenitia" ou douleur de l'expatriation, de la mort personnifiée souvent par Hadès ou Charon à laquelle ils opposent bravade ou résignation. Peu de chansons politiques, pas de chansons grivoises. »
Ils passent leur temps dans les fumeries (tékédes) plutôt qu’au boulot, auquel ils sont plutôt allergiques. Le haschisch a toujours été présent dans les chansons car intimement lié au mode de vie quotidien en Asie Mineure : sa consommation en Turquie musulmane a toujours été favorisée pour pallier l’interdit du vin. Pendant quatre cents ans la Grèce fut sous domination turque et les autorités, tant grecques que turques, firent du haschisch une substance très répandue et bon marché qui « offrait le double avantage d’être un peu moins nuisible que les autres drogues et surtout, contrairement à l’alcool, de rendre les consommateurs plus passifs que belliqueux, évitant ainsi d’éventuelles rébellions sociales » (Eleni Cohen)
Un couteau dans la poche, ils valsent souvent en prison où, malgré l’interdiction des instruments et des chants, ils composent, murmurent (mourmourika) et chantent en s’accompagnant du baglama, une version rudimentaire du bouzouki, réalisé avec des matériaux trouvés sur place et facile à cacher grâce à sa petite taille.

Dictature et Guerres
Mais les années noires sont à venir. En 1936, à l’annonce d’une grève générale, le Premier Ministre Metaxas, ancien Général, instaure une dictature. Comme les autres dictateurs de l’époque, c’est au mouvement ouvrier qu’il s’en prend en premier lieu, interdisant partis et syndicats. Mais aussi à la « décadence » de la Grèce. Son projet : discipliner la Grèce. Il insistait sur le concept de Troisième Civilisation Hellénique, combinant les splendeurs de la Grèce antique païenne et de la Grèce byzantine chrétienne. Il avait chargé son Organisation Nationale de la Jeunesse (EON) de diffuser cette idéologie.
Sa fille dira plus tard, dans une interview, qu’il « détestait la musique vulgaire et voulait retirer les traces orientales de la musique ». C’est clairement l’une des caractéristiques essentielle du Rébètiko… Cela se concrétise pour les rébètes par une censure et une répression accrues. La police reçoit l’ordre de casser les instruments typiques du rébètiko, bouzoukis et baglamas. Les rébètes sont pourchassés pour "vie dissolue et incitation à la débauche à travers leurs chansons". Toute référence au haschisch est interdite. On édite des listes d’œuvres qui « offensent la religion, la patrie, la morale et les us et coutumes des grecs ». Les tékédes sont fermées, ne persistent que des chansons (auto)censurées.

Metaxas meurt en début 1941, mais trois mois plus tard, en avril, les allemands sont dans Thessalonique (le 9) et à Athènes (le 27). L’occupation, les pillages faisant suite à la division du pays en trois zones, le blocus des importations, les réquisitions et l’hiver, provoquent une famine généralisée. En décembre 1941, chaque jour 300 personnes meurent de faim à Athènes. Et jusqu’en 1942, une charrette ramassait les cadavres dans la rue. L’armée allemande fait pendre de jeunes résistants sur l’Acropole.
Malgré ces conditions extrêmes, et en elles, naissent de nouvelles chansons qui circulent sous le manteau (ou seront publiées plus tard).
Je vous ai déjà parlé du « Sinefiasmeni Kiriaki » de Vassilis Tsitsanis qui lui fut inspiré par ces faits.
Une autre chanson, de Génitsaris évoque le « Saltadoros »; elle raconte comment les jeunes « mangkés » sautaient, au péril de leur vie, dans les camions de l’armée allemande pour y voler l’essence et « la reserva », roue de secours revendue au marché noir pour fabriquer des semelles de chaussures.

JE SAUTERAI

Ils sont jaloux ils ne veulent pas me voir habillé
Ils veulent me voir sans le sou pour être contents

Je sauterai, je sauterai pour leur prendre la réserve

Mais moi toujours je serai à l’aise car je vole l’essence à la tire
Dans une bagnole d’Allemand et toujours je me refais

Je sauterai, je sauterai pour leur prendre la réserve

L’essence et le pétrole nous cherchons à les obtenir
Parce que ça vaut beaucoup d’argent et ensuite nous faisons la fête comme des caïds

Saute lance la réserve, vas-y, lève-toi, fuis

Les Allemands nous pourchassent mais nous ne les entendons pas
Nous, nous sauterons jusqu’à ce que nous soyons tués

Je sauterai, je sauterai pour leur prendre la réserve

Génitsaris 1942

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