dimanche 19 juin 2011

[Un jeune homme brun]

Par Uri Avnery – 10 juin 2011

Le franchissement de la frontière par les réfugiés près de Majdal Shams a provoqué une certaine panique en Israël.

[MON HEROS] de l’année (pour le moment) est un jeune réfugié palestinien brun vivant en Syrie qui s’appelle Hassan Hijazi.
Il était l’un des centaines de réfugiés qui ont manifesté du côté syrien de la frontière du Golan, pour commémorer la Naqba – “catastrophe” – l’exode de plus de la moitié du peuple palestinien du territoire conquis par Israël dans la guerre de 1948. Des manifestants ont franchi la barrière, traversant un champ de mines. Heureusement, aucune mine n’a explosé, peut-être tout simplement étaient-elles trop vieilles.
Ils sont entrés dans le village druze de Majdal Shams, occupé par Israël depuis 1967, où ils se sont déployés. Les soldats israéliens ont tiré, tué et blessé plusieurs d’entre eux. Les autres furent attrapés et immédiatement refoulés vers la Syrie.
Tel Aviv vue depuis Jaffa - printemps 2010
Sauf Hassan. Celui-ci trouva un bus transportant des militants pacifistes israéliens et internationaux qui le prirent avec eux – peut-être se doutaient-ils d’où il venait, peut-être pas. Il n’avait bien sûr pas le type arabe.
Ils le déposèrent près de Tel-Aviv. Il poursuivit son voyage en auto-stop et finalement arriva à Jaffa, la ville où ses grands-parents avaient vécu.
Là, sans argent et sans connaître personne, il essaya de localiser la maison de sa famille. Il n’y arriva pas – l’endroit avait beaucoup trop changé.
Finalement, il parvint à contacter un correspondant de la télévision israélienne, qui l’aida à se rendre à la police. Il fut arrêté et refoulé en Syrie.
Vraiment un remarquable exploit.
[LE FRANCHISSEMENT] de la frontière par les réfugiés près de Majdal Shams a provoqué une certaine panique en Israël.
D’abord il y eut les récriminations habituelles. Pourquoi notre armée n’était-elle pas préparée pour un tel événement ? A qui la faute – au commandement de la zone nord ou au renseignement militaire ?
Derrière toute cette excitation il y avait le cauchemar qui hante les Israéliens depuis 1948 : que les 750.000 réfugiés et leurs descendants, quelque cinq millions de personnes aujourd’hui, se réveillent un jour et marchent sur les frontières d’Israël en provenance du nord, de l’Est et du sud, brisent les barrières et se déversent dans le pays. Ce cauchemar est l’image en miroir du rêve des réfugiés.
Durant les premières années d’Israël, ce fut un cauchemar éveillé. Au moment où Israël a été fondé, il y avait quelque 650.000 habitants juifs. Le retour des réfugiés aurait vraiment balayé le jeune État d’Israël. Plus tard, avec plus de 6 millions de citoyens juifs, cette peur a été refoulée à l’arrière plan – mais elle est toujours là. Des psychologues pourraient dire que cela représente les sentiments refoulés de culpabilité dans le subconscient national.
[CETTE SEMAINE], il y eut une répétition. Les Palestiniens tout autour d’Israël ont déclaré le 5 juin, Jour de la “Naksa”, pour commémorer le “revers” de 1967, quand Israël infligea une spectaculaire défaite aux armées d’Egypte, de Syrie et de Jordanie, renforcées par des éléments des armées irakienne et saoudienne.
Cette fois-ci, l’armée israélienne était prête. La clôture avait été renforcée et un fossé anti-char creusé devant elle. Quand les manifestant ont essayé de franchir la barrière – aux abords de Majdal Shams – ils furent visés par des tireurs d’élite. Quelque 22 personnes furent tuées, de nombreuses dizaines furent blessés. Les Palestiniens racontent que des gens essayant de porter secours aux blessés et de récupérer les morts furent aussi ciblés et tués.
Aucun doute, ce fut une tactique délibérée décidée à l’avance par le commandement militaire après le fiasco du jour de la Naqba, et approuvée par Benjamin Nétanyahou et Ehoud Barak. Comme il fut dit presque ouvertement, les Palestiniens devaient recevoir une leçon qu’ils ne devaient pas oublier, pour leur enlever de la tête toute idée d’action de masse non armée.
C’est l’effroyable rappel d’événements d’il y a dix ans. Après la Première intifada, au cours de laquelle de jeunes lanceurs de pierre et des enfants ont gagné une victoire morale ayant abouti aux accords d’Oslo, notre armée a conduit des exercices pour anticiper la seconde intifada. Celle-ci éclata après le désastre politique de Camp David, et l’armée était prête.
Naplouse - avril 2010
La nouvelle intifada démarra avec des manifestations de masse de Palestiniens non armés. Ils se sont trouvés face à des tireurs d’élite spécialement entraînés. A côté de chaque tireur se tenait un officier qui montrait du doigt les individus qui devaient être visés parce qu’ils ressemblaient à des meneurs. “Le type à la chemise rouge... Maintenant le garçon au pantalon bleu...”
Le soulèvement non armé s’effondra et fut remplacé par des attentats suicides, des bombes au bord de la route et autres actes “terroristes”. Avec eux notre armée était en terrain familier.
Je crains fort que nous soyons en train d’assister encore une fois à la même chose. De nouveau, des tireurs d’élite spécialement entraînés sont au travail, dirigés par des officiers.
Il y a pourtant une différence. En 2001 on nous disait que nos soldats tiraient en l’air. Aujourd’hui on nous dit qu’ils visent les jambes des Arabes. En 2001 les Palestiniens devaient sauter en l’air pour être tués, aujourd’hui, semble-t-il, ils doivent se baisser.
[TOUT CELA] n’est pas seulement meurtrier, mais aussi incroyablement stupide.
Depuis des décennies maintenant, pratiquement toute discussion sur la paix tourne autour des territoires occupés lors de la guerre de 1967. Le Président Mahmoud Abbas, le Président Barack Obama et le mouvement pacifiste israélien parlent tous des “frontières de 1967”. Quand mes amis et moi avons commencé (en 1949) à parler de la solution de deux-Etats, nous aussi, voulions parler de ces frontières. (Les “frontières de 1967” sont, en effet, simplement les lignes d’armistice acceptées après la guerre de 1948).
La plupart des gens, même dans le mouvement de paix israélien, ignoraient totalement le problème des réfugiés. Ils s’imaginaient qu’il avait disparu, ou voulaient le traiter après que la paix entre Israël et l’Autorité palestinienne sera obtenue. J’ai toujours alerté mes amis que ça ne pourrait pas marcher – cinq millions d’êtres humains ne peuvent pas simplement être laissés à la porte. Il ne sert à rien de faire la paix avec la moitié du peuple palestinien et d’ignorer l’autre moitié. Cela ne signifiera pas “la fin du conflit”, quoi qu’il soit établi dans un accord de paix.
Mais à travers des années de discussions, la plupart derrière des portes closes, on est parvenu à un consensus. Presque tous les dirigeants palestiniens ont accepté, soit explicitement, soit implicitement, la formule “une solution juste et acceptée du problème des réfugiés” de sorte que toute solution doit être soumise à l’approbation israélienne. J’ai souvent parlé de cela avec Yasser Arafat, Fayçal al-Husseini et d’autres.
En pratique, ceci signifie qu’un nombre symbolique de réfugiés seront autorisés à retourner en Israël (le nombre exact devant être fixé dans des négociations), les autres devant être réinstallés dans l’Etat de Palestine (qui doit être assez grand et viable pour que ceci soit possible) ou recevront une généreuse indemnité qui leur permettra une nouvelle vie là où ils sont ou ailleurs.
[POUR] rendre cette solution compliquée et pénible plus facile, chacun a été d’accord pour dire qu’il vaudrait mieux traiter la question vers la fin des négociations de paix, après qu’une confiance mutuelle et une atmosphère plus détendue auront été établies.
Et voilà que notre gouvernement arrive et essaie de résoudre le problème avec des tireurs d’élite – non pas comme un dernier recours, mais d’emblée. Au lieu de contrer les protestataires avec les méthodes non létales efficaces, il tue des gens. Ce qui, évidemment intensifiera les manifestations, mobilisera les masses de réfugiés et mettra carrément le “problème des réfugiés” sur la table, au centre de la table, avant même que les négociations aient commencé.
En d’autres termes : le conflit recule de 1967 à 1948. Pour Hassan Hijazi, le petit-fils d’un réfugié de Jaffa, c’est un résultat énorme.
Rien ne pourrait être plus stupide que cette ligne de conduite de Nétanyahou et Cie.
A moins que, bien sûr, ils soient en train de faire ceci consciemment afin de rendre toute négociation de paix impossible.

Article écrit en hébreu et en anglais le 10 juin 2011, publié le mardi 14 juin 2011 sur le site de Gush Shalom – Traduit de l’anglais “A Brown-Haired Young Man” pour l’AFPS : SW

Aucun commentaire: