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dimanche 19 juin 2011

[Un jeune homme brun]

Par Uri Avnery – 10 juin 2011

Le franchissement de la frontière par les réfugiés près de Majdal Shams a provoqué une certaine panique en Israël.

[MON HEROS] de l’année (pour le moment) est un jeune réfugié palestinien brun vivant en Syrie qui s’appelle Hassan Hijazi.
Il était l’un des centaines de réfugiés qui ont manifesté du côté syrien de la frontière du Golan, pour commémorer la Naqba – “catastrophe” – l’exode de plus de la moitié du peuple palestinien du territoire conquis par Israël dans la guerre de 1948. Des manifestants ont franchi la barrière, traversant un champ de mines. Heureusement, aucune mine n’a explosé, peut-être tout simplement étaient-elles trop vieilles.
Ils sont entrés dans le village druze de Majdal Shams, occupé par Israël depuis 1967, où ils se sont déployés. Les soldats israéliens ont tiré, tué et blessé plusieurs d’entre eux. Les autres furent attrapés et immédiatement refoulés vers la Syrie.
Tel Aviv vue depuis Jaffa - printemps 2010
Sauf Hassan. Celui-ci trouva un bus transportant des militants pacifistes israéliens et internationaux qui le prirent avec eux – peut-être se doutaient-ils d’où il venait, peut-être pas. Il n’avait bien sûr pas le type arabe.
Ils le déposèrent près de Tel-Aviv. Il poursuivit son voyage en auto-stop et finalement arriva à Jaffa, la ville où ses grands-parents avaient vécu.
Là, sans argent et sans connaître personne, il essaya de localiser la maison de sa famille. Il n’y arriva pas – l’endroit avait beaucoup trop changé.
Finalement, il parvint à contacter un correspondant de la télévision israélienne, qui l’aida à se rendre à la police. Il fut arrêté et refoulé en Syrie.
Vraiment un remarquable exploit.
[LE FRANCHISSEMENT] de la frontière par les réfugiés près de Majdal Shams a provoqué une certaine panique en Israël.
D’abord il y eut les récriminations habituelles. Pourquoi notre armée n’était-elle pas préparée pour un tel événement ? A qui la faute – au commandement de la zone nord ou au renseignement militaire ?
Derrière toute cette excitation il y avait le cauchemar qui hante les Israéliens depuis 1948 : que les 750.000 réfugiés et leurs descendants, quelque cinq millions de personnes aujourd’hui, se réveillent un jour et marchent sur les frontières d’Israël en provenance du nord, de l’Est et du sud, brisent les barrières et se déversent dans le pays. Ce cauchemar est l’image en miroir du rêve des réfugiés.
Durant les premières années d’Israël, ce fut un cauchemar éveillé. Au moment où Israël a été fondé, il y avait quelque 650.000 habitants juifs. Le retour des réfugiés aurait vraiment balayé le jeune État d’Israël. Plus tard, avec plus de 6 millions de citoyens juifs, cette peur a été refoulée à l’arrière plan – mais elle est toujours là. Des psychologues pourraient dire que cela représente les sentiments refoulés de culpabilité dans le subconscient national.
[CETTE SEMAINE], il y eut une répétition. Les Palestiniens tout autour d’Israël ont déclaré le 5 juin, Jour de la “Naksa”, pour commémorer le “revers” de 1967, quand Israël infligea une spectaculaire défaite aux armées d’Egypte, de Syrie et de Jordanie, renforcées par des éléments des armées irakienne et saoudienne.
Cette fois-ci, l’armée israélienne était prête. La clôture avait été renforcée et un fossé anti-char creusé devant elle. Quand les manifestant ont essayé de franchir la barrière – aux abords de Majdal Shams – ils furent visés par des tireurs d’élite. Quelque 22 personnes furent tuées, de nombreuses dizaines furent blessés. Les Palestiniens racontent que des gens essayant de porter secours aux blessés et de récupérer les morts furent aussi ciblés et tués.
Aucun doute, ce fut une tactique délibérée décidée à l’avance par le commandement militaire après le fiasco du jour de la Naqba, et approuvée par Benjamin Nétanyahou et Ehoud Barak. Comme il fut dit presque ouvertement, les Palestiniens devaient recevoir une leçon qu’ils ne devaient pas oublier, pour leur enlever de la tête toute idée d’action de masse non armée.
C’est l’effroyable rappel d’événements d’il y a dix ans. Après la Première intifada, au cours de laquelle de jeunes lanceurs de pierre et des enfants ont gagné une victoire morale ayant abouti aux accords d’Oslo, notre armée a conduit des exercices pour anticiper la seconde intifada. Celle-ci éclata après le désastre politique de Camp David, et l’armée était prête.
Naplouse - avril 2010
La nouvelle intifada démarra avec des manifestations de masse de Palestiniens non armés. Ils se sont trouvés face à des tireurs d’élite spécialement entraînés. A côté de chaque tireur se tenait un officier qui montrait du doigt les individus qui devaient être visés parce qu’ils ressemblaient à des meneurs. “Le type à la chemise rouge... Maintenant le garçon au pantalon bleu...”
Le soulèvement non armé s’effondra et fut remplacé par des attentats suicides, des bombes au bord de la route et autres actes “terroristes”. Avec eux notre armée était en terrain familier.
Je crains fort que nous soyons en train d’assister encore une fois à la même chose. De nouveau, des tireurs d’élite spécialement entraînés sont au travail, dirigés par des officiers.
Il y a pourtant une différence. En 2001 on nous disait que nos soldats tiraient en l’air. Aujourd’hui on nous dit qu’ils visent les jambes des Arabes. En 2001 les Palestiniens devaient sauter en l’air pour être tués, aujourd’hui, semble-t-il, ils doivent se baisser.
[TOUT CELA] n’est pas seulement meurtrier, mais aussi incroyablement stupide.
Depuis des décennies maintenant, pratiquement toute discussion sur la paix tourne autour des territoires occupés lors de la guerre de 1967. Le Président Mahmoud Abbas, le Président Barack Obama et le mouvement pacifiste israélien parlent tous des “frontières de 1967”. Quand mes amis et moi avons commencé (en 1949) à parler de la solution de deux-Etats, nous aussi, voulions parler de ces frontières. (Les “frontières de 1967” sont, en effet, simplement les lignes d’armistice acceptées après la guerre de 1948).
La plupart des gens, même dans le mouvement de paix israélien, ignoraient totalement le problème des réfugiés. Ils s’imaginaient qu’il avait disparu, ou voulaient le traiter après que la paix entre Israël et l’Autorité palestinienne sera obtenue. J’ai toujours alerté mes amis que ça ne pourrait pas marcher – cinq millions d’êtres humains ne peuvent pas simplement être laissés à la porte. Il ne sert à rien de faire la paix avec la moitié du peuple palestinien et d’ignorer l’autre moitié. Cela ne signifiera pas “la fin du conflit”, quoi qu’il soit établi dans un accord de paix.
Mais à travers des années de discussions, la plupart derrière des portes closes, on est parvenu à un consensus. Presque tous les dirigeants palestiniens ont accepté, soit explicitement, soit implicitement, la formule “une solution juste et acceptée du problème des réfugiés” de sorte que toute solution doit être soumise à l’approbation israélienne. J’ai souvent parlé de cela avec Yasser Arafat, Fayçal al-Husseini et d’autres.
En pratique, ceci signifie qu’un nombre symbolique de réfugiés seront autorisés à retourner en Israël (le nombre exact devant être fixé dans des négociations), les autres devant être réinstallés dans l’Etat de Palestine (qui doit être assez grand et viable pour que ceci soit possible) ou recevront une généreuse indemnité qui leur permettra une nouvelle vie là où ils sont ou ailleurs.
[POUR] rendre cette solution compliquée et pénible plus facile, chacun a été d’accord pour dire qu’il vaudrait mieux traiter la question vers la fin des négociations de paix, après qu’une confiance mutuelle et une atmosphère plus détendue auront été établies.
Et voilà que notre gouvernement arrive et essaie de résoudre le problème avec des tireurs d’élite – non pas comme un dernier recours, mais d’emblée. Au lieu de contrer les protestataires avec les méthodes non létales efficaces, il tue des gens. Ce qui, évidemment intensifiera les manifestations, mobilisera les masses de réfugiés et mettra carrément le “problème des réfugiés” sur la table, au centre de la table, avant même que les négociations aient commencé.
En d’autres termes : le conflit recule de 1967 à 1948. Pour Hassan Hijazi, le petit-fils d’un réfugié de Jaffa, c’est un résultat énorme.
Rien ne pourrait être plus stupide que cette ligne de conduite de Nétanyahou et Cie.
A moins que, bien sûr, ils soient en train de faire ceci consciemment afin de rendre toute négociation de paix impossible.

Article écrit en hébreu et en anglais le 10 juin 2011, publié le mardi 14 juin 2011 sur le site de Gush Shalom – Traduit de l’anglais “A Brown-Haired Young Man” pour l’AFPS : SW

mercredi 2 février 2011

[« Tirez sur les manifestants ! ». Médias israéliens et révolution égyptienne]

Par Michel Warschawski



Fouad Ben Eliezer (Parti travailliste) ne comprend pas ce qui est arrivé, et sur toutes les stations de radio il étale son embarras. Qu’est-il arrivé à son ami Hosni Moubarak ? Pourquoi n’a-t-il pas donné l’ordre aux militaires de tirer sur les masses et ainsi de mettre fin aux « émeutes » ?, tels sont ses propres mots. Compte tenu de sa relation amicale avec le dictateur égyptien, Ben Eliezer est devenu ces derniers jours un analyste éminent des affaires égyptiennes, seulement cette fois, il avoue, par une modestie qui lui est peu coutumière, que tout simplement il ne comprend pas : quelques centaines de morts de plus et tout reviendrait à la normale.
La vérité est que non seulement Ben Eliezer n’a aucune vision et ne comprend rien, mais en Israël tous les « analystes des affaires arabes » et « spécialistes sur les questions du Moyen-Orient » - tous des diplômés des services de renseignements militaires israéliens ou du Mossad – sont bien obligés d’admettre leur ignorance. Une fois encore, nous avons été surpris, comme nous sommes surpris à chaque fois : surpris par le franchissement du Canal de Suez en 1973, surpris par la résistance palestino-libanaise en 1982, par la ténacité du Hezbollah en 2006, par la victoire du Hamas aux élections palestiniennes et ainsi de suite.

Dans ses propos, Ben Eliezer est le reflet de la presse israélienne qui, immédiatement, a pris position : tous avec les forces de l’ordre, contre le mouvement populaire même si, comme en Tunisie, cela veut dire le peuple tout entier. Les masses arabes sont toujours l’ennemi, et les régimes, des partenaires. Le fait que ces régimes soient des régimes autoritaires, meurtriers et corrompus n’est pas du tout vu comme un inconvénient, mais comme le témoignage de leur capacité bienvenue à maîtriser leur population. Pour dire simple : alors que les masses arabes ne sont qu’une horde, un troupeau de sauvages surexcités, leurs dirigeants sont les garants de l’ordre même si, parfois, Israël est contraint d’aller leur faire la guerre.
Autre surprise, et cette fois pour les élites politiques et intellectuelles du monde entier, et pas seulement pour Ben Eliezer et nos « commentateurs » : les masses populaires, du Maroc à l’Iraq, de la France à la Bolivie, n’ont pas lu « La Fin de l'Histoire » Fukuyama, et si jamais elles l’ont lu, elles ont refusé de quitter le cadre de l’histoire : quand elles sont piétinées, poussées à la famine ou humiliées – tôt ou tard, elles se soulèvent et chassent les dictateurs corrompus et arrogants. Même si elle est retardée, la révolution finira par éclater. Pour s’en sortir, mais pas obligatoirement pour gagner, il n’est pas inconcevable que Moubarak écoute les conseils de la presse israélienne et du général Ben Eliezer, et qu’il ordonne aux militaires d’écraser le soulèvement dans le sang.
On peut déjà deviner quel sera le thème de la prochaine étape de la presse et de la campagne de propagande de nos journalistes experts : Al Qaïda. Les dictatures de Ben Ali et Moubarak sont justifiées car elles font barrage à l’Islam militant et derrière les manifestations populaires, on ne trouve pas moins que Ben Laden. Zvi Barel (Ha’aretz, 30 janvier) est l’un des rares journalistes à réfuter l’argument que les Frères musulmans seraient au centre du soulèvement égyptien. Il souligne que leur slogan n’est pas « Allah Akhbar » mais, « A bas le dictateur, A bas la corruption ». Ainsi, en Tunisie, le parti islamique Al Nahda n’a pas joué de rôle dans l’insurrection, ne serait-ce que parce qu’il a encore à se remettre de la répression cruelle de Ben Ali et de ses bandes.
Ce ne sont ni Al-Qaïda, ni les Frères musulmans qui sont derrière les masses en colère au Caire, à Rafah ou à Suez, mais trente années de régime autoritaire, d’oppression, de pauvreté. Tant que les journalistes et les politiciens israéliens n’arriveront pas à le comprendre, ils continueront à se faire surprendre à chaque fois que les masses (un mot « archaïque » depuis longtemps sorti de leur dictionnaire) prendront leur destinée entre leurs propres mains.
30 janvier 2011

Traduit de l’hébreu en anglais par AIC: http://www.alternativenews.org/english/index.php/blogs/michael-warschawski/3236-shoot-demonstrators-israeli-media-and-the-egyptian-revolution
Traduit de l’anglais par JPP pour: http://www.protection-palestine.org/

à lire sur www.lcr-lagauche.be

lundi 12 janvier 2009

"Combien de divisions"

par Uri Avnery de Gush Shalom
(mouvement de pacifistes israéliens)


Un crime effroyable a été commis à Leningrad, il y a soixante dix ans, pendant la seconde guerre mondiale.
Pendant plus de mille jours, un groupe terroriste, « l'armée rouge » a tenu en otage des millions d'habitants de la ville et a provoqué la réplique de la Wermacht allemande contre des lieux où se trouvait la population. Les allemands n'ont pas eu d'autre choix que de bombarder et de pilonner la population et d'imposer un blocus total, qui a causé la mort de centaines de milliers de personnes.
Quelque temps auparavant, le même crime a été commis en Angleterre. Le groupe Churchill s'est caché parmi la population de Londres, utilisant des millions de citoyens comme des boucliers humains. Les allemands ont du envoyer leur aviation, la Luftwaffe, et , à leur corps défendant, ont réduit la cité en cendres. Ils ont appelé cette opération « le Blitz ».
Voilà ce qu'on aurait pu lire dans les livres d'histoire si les allemands avaient gagné la guerre.
C'est absurde? Pas plus que ce que nos medias écrivent jour après jour, répétant jusqu'à la nausée : les terroristes du Hamas ont pris les habitants de Gaza en otages et se servent des femmes et des enfants comme de boucliers humains, ne nous laissant pas d'autre choix que de lancer des bombardements massifs, lors desquels, à notre grande tristesse, des milliers de femmes, d'enfants et d'hommes sans armes sont tués et blessés.
Dans cette guerre, comme dans toutes les guerres modernes, la propagande joue un rôle primordial. La disparité entre les forces, entre l'armée israélienne – avec ses avions, ses vedettes, ses drones, ses bateaux de guerre, son artillerie, ses tanks -et les quelques milliers de combattants du Hamas dotés d'armes légères, est de l'ordre de 1 pour 1000, voire de 1 pour 1000000. Sur le plan politique l'écart est peut-être encore plus grand. Mais, pour ce qui est de la propagande, il est presque infini.
Presque tous les medias occidentaux ont d'abord répété la ligne officielle de la propagande israélienne. Ils ont presque entièrement ignoré le versant palestinien de l'histoire, sans parler des manifestations quotidiennes du camp de la paix israélien. Le discours du gouvernement israélien ( « un état doit défendre ses citoyens contre les missiles qassams ») a été accepté comme la vérité vraie. Le point de vue de l'autre camp, que les qassams n'étaient que la réponse au siège qui affamait un million et demi d'habitants de la Bande de Gaza, n'était mentionné nulle part.
Ce ne fut qu'au moment où les images d'horreur venant de Gaza commencèrent à apparaître sur les écrans occidentaux que l'opinion publique mondiale se mit à changer. A dire vrai, les télévisions en Israël et en Occident ne montrèrent qu'au compte goutte les évènements effroyables qu'Aljazeera, la chaîne arabe, diffusait 24 heures sur 24, mais la photo d'un enfant mort dans les bras de son père terrifié a plus de pouvoir de conviction qu'un millier de belles phrases sortant de la bouche du porte- parole de l'armée israélienne. Et finalement, ce fut décisif.
La guerre – toute guerre – est faite de mensonges. Qu'on l'appelle propagande, ou guerre psychologique, on accepte qu'un pays en guerre a le droit de mentir. Quiconque parle vrai peut-être considéré comme un traître.
Le problème est que la propagande convainc d'abord le propagandiste. Et quand l'on s'est convaincu que le mensonge est la vérité et la falsification la réalité, on ne peut plus prendre de décision rationnelle.
Prenons l'exemple de l'atrocité la plus choquante de cette guerre, du moins jusqu'à aujourd'hui : le bombardement de l'école de l'ONU de Fakhura, dans le camp de réfugiés de Jabaliya.
Dès que le monde a connu cet incident, l'armée a « révélé» que les combattants du Hamas avaient lancé des obus de mortier à partir d'une position proche de l'entrée de l'école. Pour preuve, ils ont produit une photo aérienne qui montrait, en effet, l'école et le mortier. Mais il n'a pas fallu longtemps pour que le menteur officiel de l'armée admette que la photo datait d'un an au moins. Bref, une falsification.
Le menteur officiel déclara ensuite que « nos soldats avaient subi des tirs qui venaient de l'intérieur de l'école ». Un jour passa avant que l'armée ne doive admettre devant le personnel de l'ONU que c'était un autre mensonge. Personne n'avait tiré depuis l'école, il n'y avait pas de combattants du Hamas mais des réfugiés terrifiés.
Mais, cet aveu fit difficilement la différence. Le public israélien, pendant ce temps, fut totalement convaincu qu' « ils avaient tiré depuis l'intérieur de l'école », et les journalistes de la télévision firent comme si c'était un fait acquis.
Il en fut de même pour les autres atrocités. Tout bébé fut métamorphosé, par sa mort, en terroriste du Hamas. Toute mosquée bombardée devint une base du Hamas, tout appartement une cache d'armes, toute école un poste de commandement, tout bâtiment public « un symbole du pouvoir du Hamas ». Ainsi l'armée d'Israël préserva la pureté de « l'armée la plus morale du monde ».
La vérité est que les atrocités sont le résultat direct du plan de guerre. Elles reflètent la personnalité d'Ehud Barak, un homme dont la façon de penser et les actes ressortent à l'évidence de ce qu'on appelle « un désordre moral », un trouble sociopathique.
Le but réel ( si l'on exclut le gain de sièges lors des prochaines élections) est d'en finir avec la domination du Hamas sur la Bande de Gaza. Dans l'imagination des concepteurs, le Hamas est un envahisseur qui s'est emparé d'un pays étranger. La réalité, bien sûr, est tout à fait autre.
Le mouvement Hamas a remporté la majorité des votes lors d'élections éminemment démocratiques qui ont eu lieu en Cisjordanie, à Jérusalem Est, et dans la Bande de Gaza. Il a gagné parce que les Palestiniens sont arrivés à la conclusion que la stratégie pacifiste du Fatah n'avait permis d'obtenir rien de tangible d'Israël – ni un gel de la colonisation, ni la libération des prisonniers, ni aucun pas significatif vers la fin de l'occupation et la création d'un état palestinien. Le Hamas est profondément enraciné dans la population palestinienne – pas seulement parce qu'il est un mouvement de résistance combattant l'occupant étranger, comme l'Irgoun et le Groupe Stern l'avaient fait dans le passé – mais aussi parce qu'il est une organisation politique et religieuse qui s'occupent de services au public, sociaux, éducatifs et médicaux.
Pour la population, les combattants du Hamas ne sont pas un corps étranger, mais les enfants de chaque famille de la Bande et d'autres régions de Palestine. Ils ne se “cachent pas dans la population”, mais la population les voit comme ses seuls défenseurs.
Ainsi, toute l'opération est basée sur des présomptions fausses,. Faire de sa vie un enfer n'amène pas la population à se lever contre le Hamas, mais au contraire, la rassemble derrière lui, et renforce sa détermination à ne pas se rendre. La population de Leningrad ne se leva pas contre Staline, pas plus que les Londoniens ne se levèrent contre Churchill.
Celui qui a donné l'ordre de mener une telle guerre, avec de telles méthodes dans une zone si densément peuplée, savait qu'il allait provoquer le massacre épouvantable de civils. Apparemment ça ne lui faisait ni chaud ni froid. Ou, croyait-il, “ ils changeront leurs manières” et “ cela leur fera prendre conscience”, et dans le futur, ils ne résisteront pas à Israël.
La priorité des priorités pour les concepteurs était d'obtenir qu'il y ait le moins de morts possibles parmi les soldats, compte tenu du fait qu'une large partie de l'opinion favorable à la guerre pourraient changer d'avis si elle savait qu'il y avait des pertes. C'est ce qui est arrivé lors des deux guerres du Liban.
Ces considérations ont d'autant plus joué, que la guerre est une pièce maîtresse de la campagne électorale. Ehud Barak, que les sondages donnaient vainqueurs aux premiers jours de la guerre, savait très bien que ses pourcentages pourraient s'effondrer si les écrans se remplissaient de soldats morts.
Donc on a appliqué une nouvelle doctrine : éviter les pertes parmi nos soldats par la destruction totale de toute chose sur leur route. Les concepteurs étaient prêts à tuer non pas 80 palestiniens pour sauver un soldat israélien, mais 800. Eviter les morts de notre coté est l'ordre suprême, qui cause dans l'autre camps un nombre record de morts de civils.
Cela veut dire la décision consciente d'une guerre particulièrement cruelle – ce qui a été le talon d'Achille.
Une personne dépourvue d'imagination comme Barak ( son slogan électoral : “ Pas un type bien, mais un chef”) ne peut imaginer comment les gens qui ont une conscience partout dans le monde réagissent à des actes comme le massacre de toute une grande famille, la destruction de maisons sur la tête de ceux qui les habitent, les files de garçons et de filles dans leurs linceuls blancs attendant qu'on les enterre, les récits de la mort de gens vidés de leur sang parce que les ambulances ne peuvent arriver jusqu'à eux, la mort de personnels de santé et médecins allant sauver des vies, l'assassinat de chauffeurs de l'ONU lors du transport de vivres. Les photos des hôpitaux, avec les morts, les mourants et les blessés étendus par terre, emmêlés par manque de place ont choqué le monde. Aucun argument n'a la force de l'image d'une petite fille blessée étendue au sol, se tordant de douleur et hurlant “maman, maman !”.
Les concepteurs pensaient qu'ils pouvaient empêcher le monde de voir ça en en interdisant de force la couverture par la presse. Les journalistes israéliens, pour leur grande honte, ont accepté de se contenter des rapports et des photos fournies par le porte parole de l'armée, comme s'il s'agissait d'informations authentiques, tout en restant eux-mêmes à des kilomètres des évènements en cours. La presse étrangère aussi ne fut pas autorisée à pénétrer à Gaza, jusqu'à ce qu'à force de protestations, les journalistes aient droit à de petites excursions par groupe sélectionnés et contrôlés. Mais dans la guerre moderne, une telle conception aseptisée ne peut en exclure complètement d' autres – il y avait des caméras dans la Bande, au coeur de l'enfer, incontrôlables. Aljazeera a filmé à toute heure et a été vue dans toutes les maisons.
La bataille des écrans est une des batailles décisives de la guerre. Des centaines de millions d'arabes, de la Mauritanie jusqu'en Iraq, plus d'un milliard de musulmans du Nigéria jusqu'en Indonésie, voient ces images et sont horrifiés. Cela a un impact énorme sur la guerre. Beaucoup de ceux qui voient ça considèrent les dirigeants de l'Egypte, de la Jordanie et de l'Autorité Palestinienne comme des collaborateurs d'Israël qui perpètre ces atrocités contre leurs frères Palestiniens.
Les services de sécurité des régimes arabes ont enregistré une fermentation dangereuse dans leurs peuples. Hosny Moubarak, le leader arabe le plus menacé à cause de la fermeture du Passage de Rafah devant des réfugies terrorisés, commence à faire pression sur les décideurs à Washington, qui jusqu'à lors avaient toujours bloqué les appels à un cessez-le-feu. Ceux ci commencent à comprendre la menace qui pèse sur les intérêts vitaux américains dans le monde arabe et changent soudainement d'attitude – à la consternation des diplomates israéliens auto satisfaits.
Les gens qui ont des troubles du sens moral ne peuvent comprendre les motivations des gens normaux et doivent deviner leurs réactions. “Le pape, combien de divisions” se moquait Staline. “Les gens qui ont une conscience, combien de divisions ?“ pourrait bien se demander Barak.
A l'évidence, plusieurs. Pas énormément. Pas très réactives. Pas très fortes ni très organisées. Mais, quand les atrocités gonflent le nombre de protestataires et qu'ils se regroupent, cela peut décider du sort de la guerre.
Le manque à comprendre la nature du Hamas a entraîné le manque à comprendre les résultats pourtant prédictibles. Non seulement Israël ne peut pas gagner la guerre, mais le Hamas ne peut pas la perdre.
Même si l'armée israélienne pouvait réussir à tuer tous les combattants du Hamas jusqu'au dernier, le Hamas gagnerait pourtant. Les combattants du Hamas seraient des exemples pour la nation arabe, les héros du Peuple Palestinien, des modèles qui provoqueraient l'émulation pour chaque jeune du monde arabe. La Cisjordanie tomberait entre les mains du Hamas comme un fruit mur. Le Fatah sombrerait dans une mer de mépris, les régimes arabes seraient menacés d'effondrement.
Si la guerre se termine avec un Hamas toujours debout, exsangue mais invaincu, face à la toute puissante machine de guerre israélienne, cela sera une victoire fantastique, une victoire de l'esprit sur la matière.
Ce qui marquera la conscience du monde sera l'image d'un monstre assoiffé de sang, Israël, toujours prêt à commettre des crimes de guerre et incapable d'être retenu par quelque considération morale que ce soit. Ceci aura des conséquences graves sur notre avenir à long terme, notre place dans le monde, notre chance de faire la paix et d'obtenir le calme.
En fin de compte, cette guerre est un crime contre nous mêmes, un crime contre l'État d'Israël.

Le 10 janvier 2009.