mardi 26 novembre 2013

[Pauvres de nous]


 Pauvres de nous 



La députée bruxelloise Carla Dejonghe (Open VLD) va tenter de vivre un mois avec 180€. Elle est maintenant à mi-parcours dans son épreuve. Après Gérard Depardieu qui a tenté de « vivre comme un belge », pour la version russe de « Mission impossible », un nouveau pas a donc été franchi par les concepteurs de séries télé.
Vous me direz que c’est de la com. Pour faire parler d’elle juste avant une campagne électorale. Soit dit en passant ses 180€ seront-ils considérés comme des dépenses électorales ? M’enfin « vivre comme un pauvre » ce n’est jamais venu à l’idée de beaucoup de personnalités publiques…
La pauvre…
En attirant ainsi l’attention sur la situation de pauvreté, de précarité, l’élue bruxelloise est bien dans l’air du temps où l’on considère les pauvres, la pauvreté comme « des problèmes », une forme d’anormalité voire de déviance. Il y a d’ailleurs toute une série de lois et règlements pour lutter contre la pauvreté : l’interdiction de mendier à tel endroit tel jour, l’interdiction de faire les poubelles des grands magasins, la règlementation stricte de la cohabitation pour réduire les frais…


La richesse…
Et pourtant le problème c’est la richesse. Et même plus précisément la répartition des richesses.
Savez-vous que dans les statistiques, chaque habitant de notre petit pays –même les bébés- a, en moyenne, un revenu disponible de plus de 2.700€ par mois[1] (près de 14.000€ par mois pour une famille avec 3 enfants)? Dans la réalité, tous ceux qui jouent au « Come Povero » toute leur vie, sont plus d’1,5 million à être pauvres, soit près de 15% de la population, disposant de maximum 878 € par mois (1.844 €/mois pour un ménage de 2 adultes et 2 enfants).
Alors il est grand temps d’inventer de nouveaux jeux, grandeur nature, et d’y inviter « poliment et fermement » les nantis à y participer. Ça sera rigolo. Des exemples : le premier Ministre « empêché » 6 mois par an parce qu’il doit courir derrière un camion d’Hygea[2] pour ramasser les ordures ménagères dans sa « bonne ville de Mons », ne doutons pas qu’il fera le maximum-maximorum pour honorer sa tâche… Ou encore Maggy De Block remplaçant au pied levé un « mineur étranger non-accompagné » dans un centre Fedasil[3]. Chez les possédants, il y aura aussi du sport : comme « bonus » Bellens et Cie recevraient au choix, soit un séjour d’une saison à la plonge dans les cuisines d’un Club de vacances à Bodrum, soit un CDD d’un an comme ouvrier-ière de la confection au Bangladesh ou dans la construction en Chine. Évidemment cela marchera aussi dans l'autre sens : si vous avez le sens de la formule, vous pouvez déjà postuler pour écrire des tweets toute l'année 2014 qui commenceraient invariablement par "mes pensées vont aux familles des victimes..." (11.477 euros nets par mois).

fRED

[1] Le PIB de la Belgique (c’est-à-dire le total des valeurs monétaires créées dans l’année) s’est élevé à 355 milliards € en 2011. Ca veut dire quoi, ça ? Ca veut dire que si ces richesses étaient réparties entièrement entre les 10.951.000 personnes vivant en Belgique, le revenu annuel disponible pour chacun-e, s’élèverait à 32.417€ par personne et par an, ou 2.700€ par mois. Soit, à titre d’exemple, 13.500€/mois pour une famille de 3 enfants…
[2] http://www.hygea.be/topleft/tout-savoir-sur-l-hygea/quelques-chiffres.html
[3] http://fedasil.be/sites/5042.fedimbo.belgium.be/files/03_arrete_royal_du_1er_avril_2007_-_argent_de_poche.pdf

mardi 19 novembre 2013

[on n’y mettrait pas des chiens]



« Il y a un lit superposé, un matelas par terre le long de la fenêtre, recroquevillé sur les deux bouts. Les murs sont tout abîmés, pleins d’humidité avec la peinture qui s’écaille et le radiateur qui ne fonctionne pas. Les draps de lit sont noirs parce qu’on ne les change qu’une fois par mois et les occupants ont été privés de papier de toilette… ».
Ca se passe à Forest, dans un « établissement vétuste et délabré », où 650 personnes ont trouvé refuge.
Pourquoi donc être partis se réfugier à Forest, « dans des conditions aussi épouvantables » ? « C’est une vie quotidienne inhumaine et dégradante : on n’y mettrait pas des chiens et tout homme normalement constitué ne résisterait pas plus de 24 heures sans péter un câble. » comme en témoigne l’ex-sénatrice CDH Clotilde Nyssens (1). Et pourquoi pas dans une commune socialiste, toute proche, Saint-Josse-ten-Noode,  dont le Bourgmestre, Monsieur Emir Kir, se serait empressé de les libérer de cet enfer comme il a procédé avec les 250 pauvres bougres tombés aux mains de l’ignoble GESÙ ?

(1) La Libre 19/11/2013 -ici-


P.S. : on nous apprend que Forest est aussi une commune « socialiste »… mais où va-t-on?

fRED

lundi 16 septembre 2013

[...moi je plaide pour la révolution]



"Si vous regardez le différentiel entre la part des salaires et celle des capitaux dans le PIB, vous constaterez que le conflit de classes et de castes, il est plus réel que jamais, même s’il est moins visible, plus feutré. Tôt ou tard, les citoyens ne supporteront plus cette humiliation, ce stress qu’on leur impose. La force du désespoir, cela a du sens. Quand on ne sait plus que faire, qu’on a une famille à nourrir, une maison à rembourser, les études des enfants à payer, on a juste le choix entre la révolution ou le suicide. Et moi je plaide pour la révolution."

Elio Di Rupo in revue « Politique », décembre 2009 - http://politique.eu.org/spip.php?article997


总是说真话,即使它有什么可说的。它更加智能化。毛泽
[Il faut toujours dire la vérité, même quand on n'a rien à dire. C'est plus intelligent. Mao Tsé Toung]

« Le Premier ministre Elio Di Rupo a tiré un bilan "très positif" de sa courte visite en Chine, couronnée par l'annonce du prêt, pour une durée exceptionnelle de 15 ans, de deux pandas géants au parc animalier de Pairi Daiza et celle de l'autorisation accordée à Umicore pour construire une nouvelle usine à Changsha (province de Henan), lors d'un entretien avec l'Agence Belga.
Les rencontres avec les dirigeants d'entreprises chinois du Dalian Wanda Group et de Huawei ont également été l'occasion de mettre en exergue les entreprises belges et le climat propice aux affaires en Belgique. Ainsi, le Premier ministre a évoqué la société Barco, leader dans la technologie audiovisuelle, avec le patron du Dalian Wanda Group, actif dans le divertissement et l'hôtellerie notamment.
Le patron de Huawei a annoncé son intention de renforcer sa présence en Belgique, par le rachat d'une entreprise à Gand.
Lors d'une réception jeudi midi en présence d'investisseurs belges et chinois, Elio Di Rupo a rappelé le fonds de 100 millions d'euros mis en place par la China Investment Corporation, en collaboration avec la Belgique, pour favoriser les investissements chinois en Belgique. »

vendredi 13 septembre 2013

[le Quotidien du Peuple en ligne]

La Chine est deuxième au classement du nombre de milliardaires dans le monde

( le Quotidien du Peuple en ligne )

La liste des personnes les plus riches 2013 de Forbes compte 122 milliardaires sur la partie continentale de Chine, 39 à Hong Kong et 26 à Taïwan.
Le géant des boissons Zong Qinghou, directeur de Hangzhou Wahaha Group Co Ltd, a repris le titre de l'homme le plus riche du continent chinois. Il est classé à la 86e position sur la liste de Forbes avec une fortune nette de 11,6 milliards de dollars, en hausse de 60 places par rapport à l'année dernière. Il est le seul milliardaire de la partie continentale de Chine dont la valeur nette dépasse 10 milliards de dollars cette année.
M. Zong, qui est également député à l'Assemblée populaire nationale (APN, la législature suprême de Chine), semblait imperturbable face à son statut.
«Je suis un homme qui gagne de l'argent en vendant de l'eau, et tout ce qui concerne mon entreprise et moi-même est transparent, donc je ne me sens pas du tout de pression», a déclaré Zong lors d'une conférence de presse avant l'ouverture de la session annuelle de l'APN à Beijing.


vendredi 30 août 2013

La Syrie, la gauche et le piège des alternatives infernales

La Syrie, la gauche et le piège des alternatives infernales
Par Mauro Gasparini et Daniel Tanuro 
le Vendredi, 30 Août 2013 

On partira de cette citation, lue dans La Libre Belgique: "Le pouvoir syrien est en butte à une révolte populaire déclenchée début 2011. Cette dernière s'est militarisée et a dégénéré en guerre civile qui a fait plus de 100.000 morts selon l'ONU" (28/8/2013).
A propos de "médiamensonges", en voici un beau! En effet, ce n'est pas la révolte populaire qui s'est militarisée, mais la dictature qui a tenté -et tente toujours- d'écraser la révolte populaire - pacifique au départ -avec ses tanks, ses avions de combat, ses missiles et ses armes chimiques, et en jouant la carte confessionnelle. Elle est déjà responsable directement de plus de 80% des victimes du conflit, des centaines de milliers de prisonniers, de blessés, et de 1,5 à 2,5 millions de réfugiés et quatre millions de déplacés (chiffres du HCR) dont un tiers est en situation critique pour sa survie.
La nuance est plus qu'importante. Car parler d'une "révolte populaire qui se militarise" d'elle-même pour déboucher quasi naturellement sur une "guerre civile" contribue à disqualifier les luttes des peuples contre leurs despotes, à présenter ces luttes comme une menace, et en fin de compte à renforcer des préjugés racistes sur "les Arabes  (ou les musulmans) violents". Tellement "violents" et "sauvages" qu'il faudrait des dictatures pour les mater… Cette lecture néo-orientaliste a d'autant plus d'écho que l’Occident est soumis depuis deux décennies à une déferlante politique et médiatique raciste et islamophobe.

mercredi 21 août 2013

[Trotsky, un passeur du siècle]

Le 20 août 1940, l’agent stalinien Ramón Mercader assénait un coup mortel à Léon Trotsky dans son refuge mexicain de Coyoacán. À l’occasion de cet anniversaire, il faut repenser l’horizon de notre lutte socialiste et sauvegarder la mémoire que l’infamie prétend parfois inhumer. L’article de Daniel Bensaïd ci-dessous a été écrit il y a dix ans pour l’hebdomadaire Rouge. Sa lecture garde toute sa validité.

Trotsky, un passeur du siècle
Pourquoi cet assassinat ? Si on laisse de côté la personnalité perverse de Staline, il faut repartir des derniers combats de Trotsky, c’est-à-dire, toute la période mexicaine durant laquelle il mène principalement trois grandes luttes dans une phase d’effondrement de l’espérance.
Il veut d’abord empêcher toute confusion possible entre révolution et contre-révolution, entre la phase initiale d’Octobre 1917 et le Thermidor stalinien. Il le fait notamment en organisant dès son arrivée au Mexique (janvier 1937), au moment du deuxième procès de Moscou, la commission d’enquête internationale présidée par le philosophe américain John Dewey. Cinq cents pages de documents démontent le mécanisme de la falsification, des amalgames politiques. Le deuxième combat est la compréhension des enchaînements vers une nouvelle guerre, dans une phase où allaient s’exacerber les chauvinismes et s’obscurcir les enjeux de classe. Enfin, le troisième combat, lié aux précédents, c’est celui de la fondation d’une nouvelle internationale, – proclamée en 1938, mais projetée au moins cinq ans auparavant, dès la victoire d’Hitler en Allemagne – qu’il ne concevait pas comme le rassemblement des seuls marxistes-révolutionnaires, mais comme un outil tourné vers les tâches du moment. C’est dans ce travail que Trotsky a pu, à ce moment, se vivre comme « irremplaçable ».

Temps des défaites
Il se trompe dans ses pronostics, lorsqu’il fait un parallèle entre les évènements qui ont suivi la Première Guerre mondiale et ceux qui pourraient résulter de la deuxième. L’erreur réside dans le fait que les mouvements ouvriers se trouvent alors dans des situations très différentes. Dans la Seconde Guerre mondiale se cumulent beaucoup de facteurs ; mais ce qui est majeur, c’est sans doute, la contre-révolution bureaucratique en URSS dans les années 1930. Avec un effet de contamination sur l’ensemble du mouvement ouvrier et sa composante la plus révolutionnaire. Il y a une sorte de quiproquo, dont la désorientation de beaucoup de communistes français devant le pacte germano-soviétique est la plus parfaite illustration. Mais se rajoutent des défaites majeures, comme la victoire du nazisme en Allemagne et du fascisme en Italie, la défaite de la guerre civile espagnole, l’écrasement de la deuxième révolution chinoise. Une accumulation de défaites sociales, morales et même physiques, que nous avons du mal à imaginer. Mais on ne peut jamais considérer que tout est joué d’avance.
Une des erreurs importantes de Trotsky, c’est d’avoir imaginé que la guerre signifierait de manière inéluctable la chute du stalinisme, comme la guerre franco-allemande de 1870 avait signifié l’arrêt de mort du régime bonapartiste en France. Nous sommes en 1945 au moment du stalinisme triomphant, avec ses aspects contradictoires. Tout cela est très bien illustré dans le livre de Vassili Grossman, Vie et destin, autour de la bataille de Stalingrad. À travers les combats, on y voit la société s’éveiller, et même échapper en partie à l’emprise bureaucratique. On peut envisager l’hypothèse d’une relance de la dynamique d’Octobre. Les vingt ans écoulés depuis les années 1920 sont un intervalle court. Mais ce que dit le livre de Grossman ensuite est imparable. Staline a été sauvé par la victoire ! On ne demande pas de comptes aux vainqueurs. C’est le gros problème pour l’intelligence de cette époque.
Les implications théoriques sont importantes. Dans sa critique du totalitarisme bureaucratique, si Trotsky voit très bien la part de coercition policière, il sous-estime le consensus populaire lié à la dynamique pharaonique, même au prix fort, conduite par le régime stalinien. C’est là un point obscur qui mériterait d’être repris.
Cela dit, après la guerre, il y a des responsabilités spécifiques des partis. Dans le cadre du partage du monde – la fameuse rencontre Staline Churchill, où ils se partagent l’Europe au crayon bleu –, il y a eu des poussées sociales importantes, ou pré-révolutionnaires ; en France, avec des forces en partie exsangues, mais davantage en Italie et en Grèce. Et là, on peut franchement parler de trahison, de subordination des mouvements sociaux aux intérêts d’appareils. Cela ne veut pas dire automatiquement une révolution victorieuse, mais une dynamique de développement et une culture politique du mouvement ouvrier à coup sûr différentes. Ce qui ménage d’autres possibilités. Il faut quand même rappeler le fameux « il faut savoir terminer une grève » du secrétaire général du PCF Maurice Thorez, où l’attitude du PC italien au moment de l’attentat contre Togliatti. Mais le pire et le plus tragique ont été la défaite de la révolution espagnole et le désarmement de la résistance et de la révolution grecque. Puis, le vote stalinien au projet de fédération balkanique, pourtant la seule solution politique, et qui le demeure, face à la question des nationalités dans les Balkans.

Le nécessaire et le possible
Au total, le destin tragique de Trotsky illustre la tension entre le nécessaire et le possible. Entre la transformation sociale répondant aux effets d’un capitalisme pourrissant, et les possibilités immédiates. On trouve cela déjà en lisant la correspondance de Marx. Quant à l’apport théorique et stratégique, il est considérable. Notamment dans l’analyse du développement inégal et combiné des sociétés, en commençant par la Russie dès 1905, ou la perception des modalités actuelles de l’impérialisme. Mais là où il est irremplaçable, malgré des lacunes, c’est dans l’analyse du phénomène inédit à l’époque, et difficilement compréhensible, de la contre-révolution stalinienne. De ce point de vue, Trotsky est un passeur. Ce qui ne signifie pas une référence pieuse ni exclusive. Nous avons au contraire pour tâche de transmettre une mémoire pluraliste du mouvement ouvrier et des débats stratégiques qui l’ont traversé. Mais dans ce paysage et ce passage périlleux, Trotsky fournit un point d’appui indispensable.
Daniel Bensaïd (1946-2010)