dimanche 27 janvier 2008

C'est tout bénéfice!

La question du pouvoir d'achat est revenue à l’avant-scène ces derniers temps, en France et en Belgique notamment. Car les gens voient bien chaque jour combien il est difficile de faire face à l’augmentation des prix. Mais certains ne veulent pas entendre parler d’augmentations salariales…
Le patron des patrons flamands Urbain Vandeurzen a déclaré dans ses vœux, le 14 janvier 2008 : « Pour augmenter le pouvoir d’achat, il n’y a qu’une solution : c’est de tous travailler plus, plus dur et plus longtemps.»
Dans ses vœux aux "forces de la Nation", tout en revenant sur cette question, le président Nicolas Sarkozy a une nouvelle fois affirmé que la seule façon de l'améliorer était de travailler davantage. "J'ai dit que je dirai aux Français la vérité. La vérité, la voilà : promettre plus de pouvoir d'achat aujourd'hui sans contrepartie, c'est la certitude d'avoir encore un peu moins de pouvoir d'achat demain, sous le poids des prélèvements obligatoires qui augmenteront et d'une dette qui s'accumulera", a déclaré le chef de l'Etat. "Lorsque certains font croire aux Français qu'il serait possible de distribuer du pouvoir d'achat tout de suite, sans travail et sans réformes, je reconnais la démagogie qui a fait tant de mal à notre pays depuis trois décennies", a-t-il poursuivi. "Il n'y a pas de création de richesses, pas de redistribution possible, pas de pouvoir d'achat sans travail. Certains aujourd'hui feignent de ne pas le comprendre", a regretté le chef de l'Etat. "Ce que nous voulons, c'est qu'en travaillant davantage on puisse augmenter son pouvoir d'achat", a-t-il insisté. "Partout dans le monde, ils encouragent le travail, depuis des décennies en France on l'a découragé (...) nous voulons libérer le travail", a martelé le chef de l'Etat. Chez nous, la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) et le VOKA (patronat flamand) ont tous deux appelé à arrêter « l’hystérie salariale et la folie qui s’emparent des travailleurs grévistes » après des grèves en Flandre au cours des dernières semaines.
Travailler plus pour quoi ?
Pour le monde patronal comme pour la droite politique qui se fait écho de ses intérêts, le discours est trompeur le « travailler plus pour gagner plus» veut dire « vous devez travailler plus pour conserver notre compétitivité ». Un discours pratique car il permet d’éviter de parler des profits colossaux engrangés par les entreprises et de la répartition de ces richesses.
La FEB donne le ton dans sa dernière Newsletter : « Pas de pouvoir d’achat sans compétitivité. Tel était le message des négociateurs de la FEB lors de la rencontre qui a eu lieu la semaine dernière entre le Groupe des 10 et le gouvernement. Les syndicats réclament des mesures visant à renforcer le pouvoir d’achat des travailleurs et des allocataires sociaux pour faire face à l’inflation accrue. A ce sujet, la FEB a mis en garde contre une répercussion de ces exigences sur les entreprises via une augmentation des rémunérations brutes. En effet, un tel scénario éroderait la compétitivité des entreprises, entraînant ainsi la suppression d’emplois.»
Les faits sont là. Sur les 25 dernières années (1980-2005), le produit intérieur brut de la Belgique (la richesse produite chaque année) a augmenté de 62,5%. Les salaires ont augmenté de 38 %, mais la productivité, elle, a fait un bond de 57 %. C’est ce qui explique que le partage du revenu national entre les travailleurs et le capital est passé de 70 % - 30 % à 60 % - 40 %. Depuis le début des années 80, la part des salaires dans le PIB de la France a baissé de 9,3%. 9,3% équivalent à plus de 150 milliards d'euros : soit une douzaine de fois le trou de la Sécu en France! Un hold-up géant, renouvelé chaque année, au détriment des salariés. Depuis le début de la politique néolibérale en Belgique, faite d’austérité et de modération salariale, un gigantesque transfert de richesses s’est produit, des travailleurs vers les riches. En 1981, année de crise économique, les profits des entreprises représentaient 20 milliards de francs belges. Six ans seulement plus tard, ils pesaient déjà 167 milliards, soit 8 fois plus. Dix ans après, en 1997, les profits atteignaient 1.240 milliards de francs. Pendant cette même période (de 1981 à 1997), les prix ont augmenté d’environ 60 % sous l’effet de l’inflation. Les 1.240 milliards de francs de 1997 représentaient donc 775 milliards en francs de 1981. Les profits (inflation déduite) de 1997 étaient donc 4,5 fois plus élevés qu’en 1987 et... 39 fois plus élevés qu’en 1981.
Tout le monde est gagnant au jeu du bénéfice…
C’est sous ce titre que la FEB réagissait en 2006 à des critiques jugées « démagogiques » à propos de la hauteur des bénéfices.
« Ces derniers temps, certains milieux politiques et syndicaux stigmatisent les "bénéfices plantureux" des entreprises, qu'ils vont même jusqu'à qualifier de contraires à l'éthique. Comme elle l'a fait à la fin de l'année dernière en rétablissant la vérité à propos du Contrat de solidarité entre générations, la FEB s'en prend aujourd'hui à la démagogie qu'inspirent les bénéfices des entreprises. Les bénéfices récemment dévoilés par quelques grandes entreprises font couler beaucoup d'encre dans certains milieux politiques et syndicaux. A les en croire, ces "bénéfices monstres" manqueraient d'éthique. La FEB entend démonter ici le caractère démagogique de ces affirmations par le seul biais de chiffres et de faits. N'oublions surtout pas que les bénéfices constituent le moteur de notre bien-être et la condition indispensable à la création de nouveaux investissements et de nouveaux emplois.
Assertion : “Les entreprises établies en Belgique font de gros bénéfices” LES FAITS : Les bénéfices récemment rendus publics dans les médias sont l'apanage d'un nombre limité de grosses entreprises souvent cotées en bourse et actives au plan international. Il est un fait que leurs résultats 2005 sont globalement plus prospères que ceux des années antérieures. Mais, ces résultats sont généralement consolidés à l'échelle d'un groupe entier ; autrement dit, ils ont été réalisés à la fois sur le sol national et à l'étranger. Ils ne portent donc pas exclusivement sur des activités belges. Les chiffres communiqués ne donnent, de plus, aucun indice quant aux résultats obtenus par de nombreuses PME et entreprises familiales. C'est donc emprunter un raccourci fort hasardeux que d'affirmer que la rentabilité globale (de toutes les entreprises en Belgique) est florissante. Assertion : “Mieux encore : ces bénéfices sont gigantesques” LES FAITS : Ce n'est que depuis 2002 que le panorama global des résultats de nos entreprises enregistre une embellie. Cette amélioration succède toutefois à une période de régression pratiquement continue - depuis la fin des années 80 - de la part que représentent les bénéfices du monde économique belge dans notre bien-être. Sous l'effet de ce regain de forme, la rentabilité retrouve aujourd'hui une valeur proche de la moyenne des vingt dernières années. Dans cette perspective, il ne peut être question de bénéfices exagérément élevés. » [lire]
La même FEB écrivait pourtant un an plus tard, en juin 2007, un couplet un peu moins « alarmiste » : « La Belgique connaît actuellement un taux de croissance supérieur au rythme de long terme. Après avoir connu une année 2006 au-delà de toute espérance il y a encore quelques trimestres, l’économie belge devrait continuer à croître à un rythme élevé bien qu’inférieur à ce que nous avons enregistré précédemment. »
En effet, pendant la dernière décennie (1997-2006), les patrons n’ont pas vu fondre leurs profits. Tout au plus, à cause d’une croissance plus faible, le rythme d’augmentation a-t-il ralenti.
En 2003, les profits des entreprises étaient de 37 milliards d’euros ! Inflation déduite, on arrive ainsi à l’équivalent de 870 milliards de francs de 1981, soit plus de 43 fois le montant de 1981 ! Et puisque la FEB reconnaît que ces bénéfices connaissent une embellie depuis 2002, il y a fort à parier qu’en 2004, en 2005, en 2006 et en 2007, la progression a continué.
Tout le monde est gagnant, vraiment ? Alors, certains un peu plus que d’autres !
fRED

Aucun commentaire: