Avec la crise internationale déclenchée à l'été 2008, tous les dogmes néolibéraux ont été battus en brèche et la supercherie qu'ils représentaient a été mise à jour. Ne pouvant nier son échec, le Fonds monétaire international (FMI) prétend avoir abandonné les politiques néolibérales connues sous le nom de « consensus de Washington ». Bien que discréditée, cette institution profite pourtant de la crise internationale pour revenir sur le devant de la scène.
Alors que la situation économique se détériore rapidement, les grands argentiers du monde s'efforcent de garder la main et de donner à un FMI délégitimé le rôle du chevalier blanc qui va aider les pauvres à faire face aux ravages de cette crise. Or c'est tout le contraire qui se passe. Les principes défendus par le FMI depuis les années 1980 et combattus par le CADTM depuis sa création sont toujours de mise. Les gouvernements qui signent un accord avec le FMI pour se voir prêter des fonds, doivent appliquer toujours les mêmes recettes frelatées qui aggravent la dégradation des conditions de vie des populations.
Sous la pression du FMI dirigé par Dominique Strauss-Kahn, plusieurs pays confrontés aux effets de la crise s’en sont pris aux revenus des salariés et des allocataires sociaux. La Lettonie a imposé une baisse de 15% des revenus des fonctionnaires, la Hongrie leur a supprimé le 13e mois (après avoir réduit les retraites dans le cadre d’un accord antérieur) et la Roumanie est sur le point de s’engager aussi dans cette voie. La potion est tellement amère que certains gouvernements hésitent. C’est ainsi que l'Ukraine a récemment jugé « inacceptables » les conditions imposées par le FMI, notamment le relèvement progressif de l'âge de mise à la retraite et la hausse des tarifs du logement.
Il est temps de dénoncer le double langage du FMI et de Dominique Strauss-Kahn, qui, d’une part, demandent à la communauté internationale d’augmenter les efforts pour atteindre des objectifs de développement du millénaire déjà bien tièdes et, d’autre part, forcent les gouvernements ayant recours à leurs services à baisser les salaires dans la fonction publique. Il s'agit là de l'exact opposé d'une politique destinée à faire véritablement face à la crise en défendant l'intérêt de ceux qui en sont victimes.
Le soutien apporté à cette politique par Didier Reynders, néolibéral impénitent, au nom du gouvernement belge, privera encore plus l’Etat belge des moyens nécessaires pour combattre la crise. Après avoir dilapidé les caisses de l’Etat pour venir en aide aux banquiers voyous et faillis, Didier Reynders veut renforcer les moyens du FMI qui préconise au gouvernement belge de s’attaquer à l’indexation des salaires et des allocations sociales à l’évolution du coût de la vie[1]. En réalité, Didier Reynders est heureux de voir le FMI apporter de l’eau au moulin de la droite qui souhaite depuis des années mettre fin à l’index alors que celui-ci constitue un rempart social très important pour protéger une large majorité de la population. Il se frotte aussi les mains de voir le FMI féliciter le gouvernement belge pour la manière dont il a sauvé les banquiers en octobre 2008. A l’heure où Didier Reynders est de plus en plus mis en cause sur la scène nationale, ce coup de pouce du FMI tombe à pic.
Pour répondre à la crise des années 1930, le président états-unien Franklin Roosevelt avait été amené par la mobilisation sociale à réduire le temps de travail tout en augmentant les salaires, les allocations sociales et les droits des travailleurs, notamment en garantissant le droit de syndicalisation. Avec le New Deal, Roosevelt avait mis en place une réforme fiscale qui augmentait les prélèvements sur le capital. Le libéral Didier Reynders et le socialiste Dominique Strauss-Kahn sont bien loin d’avoir la carrure de Franklin Roosevelt et continuent coûte que coûte de s’attaquer aux victimes de la crise.
Pourtant depuis sa création en 1944, l’obligation de favoriser le plein emploi figure explicitement dans les missions du FMI qui agit donc en violation de ses propres statuts.
Le FMI et Didier Reynders démontrent qu’ils sont des instruments dociles au service de ceux-là mêmes qui ont provoqué la crise financière actuelle. Dans cette période de grande déstabilisation monétaire (comme les variations énormes de parité entre le dollar et l’euro depuis un an), le FMI se révèle incapable de proposer la mise en œuvre d’une taxe de type Tobin-Spahn qui réduirait les variations des cours de change en combattant la spéculation et qui permettrait de réunir enfin les fonds nécessaires pour éradiquer la pauvreté et libérer le développement. Alors que le parlement belge a adopté en juillet 2004 une loi favorable à l’instauration d’une telle taxe, Didier Reynders ne met pas cette question à l’ordre du jour des réunions du FMI ou d’Ecofin car, en réalité, il est opposé à ce type de mesure.
La crise financière et économique mondiale souligne la faillite de la déréglementation des marchés financiers et de l’abandon du contrôle sur les mouvements de capitaux, prônés par le FMI et activement soutenus par Didier Reynders.
Tournant le dos à la politique symbolisée par Didier Reynders, l’Etat doit mettre en œuvre un vaste plan de création d’emplois : rénovation et construction de logements, transports publics, enseignement, santé… Il faut nationaliser Fortis (voire Dexia également) et récupérer le coût du sauvetage effectué en 2008 sur le patrimoine des grands actionnaires et des administrateurs. Nous aurions ainsi un instrument public pour financer des projets socialement utiles, respectueux de la nature, générateurs d’emplois et de revenus, tout en garantissant l’épargne des particuliers. L’Etat doit aussi entamer des poursuites légales notamment contre les grands actionnaires et les administrateurs responsables du désastre financier, afin d’obtenir à la fois des réparations financières (qui vont au-delà du coût immédiat du sauvetage) et des condamnations à des peines de prison si la culpabilité est démontrée. Il faut une nouvelle discipline financière. Il faut ouvrir les livres de compte des entreprises à des audits externes (notamment aux délégations syndicales) et lever le secret bancaire. Il faut règlementer tous les produits financiers. Il faut interdire aux particuliers et aux entreprises d’avoir quelque actif ou transaction que ce soit avec ou dans un paradis fiscal. Il est nécessaire de lever un impôt de crise sur les grandes fortunes. Alors que le capital s’est taillé la part du lion dans le revenu national au cours des 25 dernières années, il faut augmenter fortement la part qui revient aux salaires. L’aggravation de la crise remet à l’ordre du jour des propositions écartées durant la longue nuit néolibérale:
- l’arrêt des privatisations et de la déréglementation pour, au contraire, promouvoir les biens et services publics;
- le transfert d’entreprises privées vers le secteur public, comme la production et la distribution de l’énergie en Belgique, ce qui permettrait de favoriser les énergies renouvelables et de sortir du nucléaire;
- la réduction radicale du temps de travail avec maintien du salaire et embauche compensatoire. Cela permettrait d’améliorer les conditions de travail, de créer de l’emploi de qualité et d’assurer le financement des retraites en augmentant le nombre de cotisants sans allonger l’âge du départ à la retraite.
Eric Toussaint, docteur en sciences politiques, est président du CADTM Belgique (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, http://www.cadtm.org/). Il est coauteur avec Damien Millet du livre 60 Questions 60 Réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, CADTM/Syllepse, novembre 2008.
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