mercredi 15 octobre 2008

50 fois le produit mondial brut !

p a r D a n i e l R i c h a r d
Comment expliquer que le monde financier puisse s’écrouler aussi sûrement que deux tours un 11 septembre ?

En soulignant d’abord la mesure de sa démesure.
Les banques du monde se sont échangées, en 2005, des valeurs pour un montant équivalent à 50 fois le produit mondial brut (la somme des richesses créées cette même année par l’ensemble des pays). Soit quelque 2,02 millions de milliards de dollars. Vertige…
L’actuelle méfiance entre les acteurs a tendance à ralentir, à figer ces transactions et à asphyxier progressivement l’activité économique sur le marché des biens et des services.
Et que représente cette économie réelle face à l’infinie étendue de pognon ? Environ… 2% ! Arrêtons-nous deux secondes. Une taxe sur ces transactions interbancaires de 0,01% ramènerait assez de moyens pour solutionner dix fois le problème de la faim dans le monde. En le réglant une fois, on serait déjà content !

Un capitalisme d’endettés
L’activité financière (immatérielle, irréelle ?) se déploie sur trois « marchés » : celui des bourses (5%), celui des changes (27% environ) et celui des produits dérivés (…63%).
Les bourses, on voit bien. Les échanges de monnaies aussi. Mais les produits dérivés, c’est quoi ? De « nouveaux » instruments financiers qui se sont développés et multipliés au départ de la libéralisation des marchés financiers (merci Reagan, merci Thatcher !). Ils ont trois caractéristiques : leur valeur varie en fonction de l’évolution d’un produit (dit « sous-jacent »), il ne requiert pratiquement aucun investissement réel au départ de la transaction et son paiement (sa « réalisation ») s’effectue à une date ultérieure. Pour le dire autrement, les produits dérivés sont les nouveaux outils des nouvelles spéculations. Ils sont des contrats passés entre vendeurs et acheteurs qui fixent à un moment le prix d’une valeur à payer plus tard. Cette valeur peut être de la matière première ou plus souvent des actions, des obligations, des bons d’Etat, des contrats à terme, des indices boursiers, des titres…
C’est sur ce marché que se développent les bulles dont l’éclatement (l’adéquation entre les fantasmes financiers et la réalité économique) produit une crise. Nous en avons traversé des dizaines au cours des dernières décennies. L’actuelle semble atypique : structurelle, globale et durable. Son origine est double : une surproduction de capital et les contradictions internes du moteur de la mondialisation, l’économie américaine.
Aux USA, le recul du pouvoir d’achat des travailleurs a été compensé par un endettement généralisé des ménages (notamment…). En vivant à crédit, les Américains ont soutenu la consommation et donc la croissance de l’économie chinoise caractérisée par l’exportation de produits manufacturés bon marché et… l’exploitation des travailleurs chinois. Les Etats-Unis sont la seule économie à pouvoir vivre indéfiniment à crédit grâce à l’épargne du reste du monde (Japon, Chine, pays pétroliers du Golfe). Simplement parce que le dollar reste la monnaie dominante des échanges internationaux.

Explosion des profits privés
Depuis les années 80, la part du capital dans les richesses produites croît au détriment des revenus du travail. Les profits augmentent plus rapidement que la croissance économique. Dans le même temps, les investissements dans la modernisation des outils, dans la recherche et le développement, dans la formation se sont stabilisés. L’écart avec l’évolution des bénéfices alimente les marchés financiers avec une masse croissante de capitaux. En 2001, quand la baudruche des nouvelles technologies s’est brutalement dégonflée, une autre masse de capitaux a dû trouver de nouveaux débouchés. L’immobilier américain s’est avéré un oasis profitable. Des sommes folles ont été prêtées à de pauvres diables par des banquiers véreux qui savaient pertinemment qu’ils n’étaient pas solvables. Pas graves ? Quand les propriétaires pauvres ne pourraient plus faire face au remboursement de leurs emprunts à taux variable, la revente de leur toit rembourserait la mise et plus encore puisque l’immobilier était à la hausse. Et ceci n’était qu’une partie du calcul. En effet, ces emprunts pourris ont ensuite fait l’objet d’une titrisation : une technique qui permet aux organismes de crédits de transformer les créances en titres négociables sur le marché financier. L’objectif était de répartir les risques entre différents agents économiques. Leur dissémination a renforcé l’opacité du processus. Si bien qu’aujourd’hui, personne ne sait précisément où ces bombes à retardement se trouvent. Et comme le marché immobilier s’est retourné, les bonnes affaires sont devenues des crédits pourris.
La crise de solvabilité des établissements de crédits hypothécaires a ainsi migré vers le secteur bancaire. Les banques ne parvenant plus à se refinancer sur le marché interbancaire, une crise de liquidité d’abord a produit une crise du crédit qui infecte l’économie réelle, handicapant les entreprises, suscitant une récession et aggravant le chômage.

Pourquoi les Etats ont-ils été appelés à la rescousse ?
Ils n’ont pas joué au « valet noir ». Ils n’ont pas dans leurs avoirs de titres vérolés. Leur intervention restaure une forme de confiance en garantissant le sauvetage des banques menacées et permet ainsi aux capitaux de circuler à nouveau. Les pertes seront ainsi socialisées.

Daniel Richard

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