jeudi 25 septembre 2008

Alitalia : vol au dessus d’un nid de rapaces.

Que la compagnie aérienne italienne aille mal, ce n’est pas neuf. Que des rapaces se pressent autour de sa (future) dépouille, finalement non plus. Mais il y a pourtant beaucoup d’innovation dans la manière qu’utilise le cartel Berlusconi/grands patrons pour ce qui pourrait s’avérer (pour eux seulement) « l’affaire du siècle »…

Un peu d’histoire
Point de départ : fin des années 1920, Alitalia fut créée par la société Fiat et, connue sous le nom de « Società Area Avio-Linee Italiane » avant de devenir, après la Seconde Guerre mondiale, Alitalia grâce au soutien de British European Airways, Trans World Airlines et les appareils d'aviation Fiat de l'armée de l'air italienne. C'est donc plus tard, en 1957 qu'Alitalia devint la compagne aérienne nationale italienne Aujourd’hui, l'État italien détient 49,9% d'Alitalia. La compagnie n'a pas gagné d'argent depuis 1999 et croulait en juillet sous une dette de près de 1,2 milliard d'euros.
Alitalia emploie 11.100 personnes dans le transport aérien, tandis que 8.300 autres travaillent dans les services de maintenance. Cette scission en deux sociétés est le résultat des restructurations antérieures, au cours des gouvernements Berlusconi. En 2004 les syndicats étaient parvenus à limiter la casse à 3.500 pertes d’emplois (1/3 de personnel navigant et 2/3 de personnel au sol) au lieu des 5.000 prévues.
Aujourd’hui, toute la presse, largement aux mains du « Cavaliere », se déchaine contre les syndicats et en particulier la CGIL (gauche), accusés de précipiter la faillite de la société par leur intransigeance.
Il suffit pourtant de recoller les fragments d’informations que livrent chaque jour cette même presse pour comprendre que ce sont les milieux d’affaires proches de Berlusconi qui ont minutieusement préparé la mise en coupe d’Alitalia.

1er acte : en avril, une offre de rachat d'Alitalia par Air France-KLM, qui avait la bénédiction du gouvernement de centre-gauche au pouvoir à l'époque, avait échoué faute d’accord avec les syndicats sur le nombre de pertes d’emplois. Silvio Berlusconi, alors dans l'opposition, avait clairement annoncé qu’il bloquerait ce scénario s'il gagnait les élections.

2ème acte : fin août, Berlusconi fait sa rentrée politique. Le 27 août La Stampa, quotidien du groupe Fiat, titre «Berlusconi est aux anges. L'opération nouvelle Alitalia, qui sera approuvée par le Conseil des ministres demain, est prête. Finalement, le groupe d'entrepreneurs de chez nous, sur lequel le centre gauche a ironisé pendant des mois, est prêt».
Au même moment sort le projet, baptisé "Phénix" qui prévoit de scinder Alitalia en deux sociétés. L'une viable intégrerait les activités rentables, et l'autre, lestée de toutes les dettes, (car Les nouveaux investisseurs ont refusé de prendre en charge la dette d'environ 1,2 milliard d'euros d'Alitalia qui devra être assumée par l'Etat –c’est le tiers des coupes dans le budget de l'école prévues par la loi de finance-) serait mise en faillite. C’est de nouveau près de 7.000 emplois qui pourraient disparaître si on tient compte des 4.000 contrats précaires/temporaires qui ne seront pas renouvelés.
Ce scénario contrevient à la loi Marzano sur la restructuration des grandes entreprises en crise. Le gouvernement de Silvio Berlusconi a tout prévu : le jeudi 28 août, il prend un décret-loi pour lever cet obstacle et ouvrir la voie à la CAI.
Dans ce pool d'investisseurs, on retrouve les grands noms de la finance et de l'industrie italiennes (les groupes industriels Piaggio, Air One, Benetton, Ligresti, Riva, Aponte, les fonds d'investissement -Findim, Clessidra, Equinox). Ils ont répondu présents à l'appel patriotique de M. Berlusconi qui, en pleine campagne électorale, avait refusé, pour des motifs plus politiques qu'économiques, le scénario d'une reprise du transporteur transalpin par Air France-KLM, sur laquelle travaillait le précédent gouvernement Prodi.
Le consortium envisage également une fusion avec Air One puis la recherche d’un partenaire étranger. Air France KLM s’était déjà identifié comme actionnaire minoritaire potentiel « si la profitabilité de la nouvelle compagnie était assurée ».
Ce plan de redressement concocté par Intesa Sanpaolo (dont les accointances avec Berlusconi sont évidentes, San Paolo appartient à la famille Agnelli) prévoit que la nouvelle Alitalia devrait renouer avec les bénéfices en 2011, c’est la principale condition émise par ses 16 nouveaux actionnaires qui ne pourraient se désengager de la société avant 2013. Un risque, sans doute, mais savamment calculé. . .
Et pour cela il faut frapper fort : le décret-loi du 28 août définit le cadre permettant aux grandes entreprises en difficulté placées sous administration extraordinaire d'accélérer certaines procédures, telles que les cessions d'actifs, de contrats et les suppressions de personnel. C’est une version très nettement améliorée de « la faillite assistée » inventée en Belgique au moment des problèmes de Verlica. En gros on purge tout le passif social et on socialise les pertes afin de mettre un tremplin sous les investissements des repreneurs, favorisant ainsi des plans sans lendemains. Ce scénario était fort bien résumé par un pilote « la Cai voleva fare l’affare del secolo, fare cassa sulle spalle dei lavoratori e su quelle dei contribuenti italiani » (La CAI veut faire l’affaire du siècle sur le dos des travailleurs et des contribuables italiens).

3ème acte : mi septembre, il faut faire passer la pilule. D’abord tenter d’obliger les syndicats à accepter un maximum de pertes d’emplois sous la menace de la faillite totale et aussi convaincre l’Union Européenne que la couverture par l’Etat Italien de la dette de 1,2 milliards n’est pas une aide déguisée à l’entreprise. Une nouvelle fois la presse se déchaine contre les syndicats (la CGIL en particulier, étant donné que la Cisl et la Uil avaient déjà accepté le plan), accusés d’être manipulés par la gauche dans l’opposition et de défendre les intérêts de « privilégiés » du système…

Il faut bien reconnaître que ce battage médiatique réussit partiellement et il est clair aussi que dans une société de l’envergure d’Alitalia (près de 20.000 employés) certaines catégories de personnel se positionnent sur des avantages corporatistes au détriment de l’intérêt de tous.
Mais peut-on reprocher à un syndicat de travailleurs d’avoir comme principale préoccupation de sauver le maximum d’emplois, les meilleures conditions de travail et de salaires pour ses adhérents? Que font-ils d’autre les nouveaux actionnaires quand ils montent des plans pour se garantir les meilleurs retours sur investissements ?
Et en matière d’avantages exorbitants, les proches de Berlusconi feraient bien de se taire. Ce n’est sans doute que quelques gouttes d’eau dans l’océan alitalien, mais les exemples cités par la presse italienne laissent rêveurs…
Les responsables politiques se sont toujours sentis chez eux chez Alitalia. Pilote à ses heures perdues, le député Luigi Martini –ancien footballeur de la Lazio dont le nom fut cité dans les scandales des paris truqués- (Alleanza Nazionale, droite extrême alliée de Berlusconi) avait besoin de faire 3 décollages et 3 atterrissages tous les 90 jours pour conserver sa licence. Alitalia le lui consentit... et lui paya un salaire par la même occasion.
Ministre de l'Intérieur du premier gouvernement Berlusconi, Claudio Scajola a obtenu la création d'une ligne Rome-Villanova D'Albenga, son collège électoral, qui se caractérise par le taux de remplissage le plus bas d’Europe!
Plus fondamentalement, la compagnie souffre d’une taille trop petite, d’une situation excentrée de l’Italie pour les lignes transatlantiques et de l’éclatement de ses activités sur deux plates-formes principales, Milan-Malpensa et Rome-Fiumicino, cette bipolarisation d’Alitalia à laquelle tiennent farouchement les milieux d’affaires milanais et la Ligue du Nord, alliée de Berlusconi.
Le plan de gestion de toute l’affaire est aux mains de Mediobanca. La fille de Berlusconi vient d’entrer dans son Conseil d’Administration !
Bref l’Italie, et pas seulement sa société d’aviation, est aujourd’hui dans la panade et va (ré)apprendre dans la douleur ce que donner une majorité à Berlusconi veut dire.
D’autant plus que la gauche semble s’être dissoute, émiettée, évaporée, envolée. Elle ne se rappelle même plus son nom, pensant qu’en diluant ses couleurs elle ramasserait les miettes que la droite arrogante lui laisserait. Mais la droite ne partage pas. Elle vole (au dessus de tout ça).

fRED

1 commentaire:

Marco a dit…

Tout ça a malheureusement un air de déjá vu. Les travailleurs de Sabena en savent quelque chose...

Mais le contexte italien, entrainé par le parrain Berlusconi, est encore plus puant.