dimanche 25 septembre 2011

[Tunisie : la révolution mise en péril]

Tunisie : la révolution mise en péril









Ahlem Belhadj, Nizar Amami et Jalel Ben Brik, responsables de la Ligue de la gauche ouvrière (LGO), analysent la situation en Tunisie à l’approche des élections.

Le conflit entre une partie de la police et le gouvernement

Beaucoup d’opacité règne sur les motivations réelles des policiers qui ont, le 5 septembre, éjecté de son poste le militaire qui dirige la Garde nationale. Une seule chose est claire : il s’agissait pour eux de remettre en cause la suprématie de l’armée.
Le discours du 6 septembre

C’est la première fois que l’actuel Premier ministre fait un discours avec à ses côtés le chef d’état-major de l’armée, qui est le symbole des outils de répression en Tunisie. Ils ont sans doute voulu que la population en déduise que la situation sécuritaire du pays était grave, à tel point que des conflits existent entre les corps de répression. Béji Caïd Essebi n’a pas hésité pas à parler de « rébellion » ainsi que de « putsch » et de « coup d’État » au sein de la police. Cela lui a permis ensuite d’annoncer sa volonté de faire un usage rigoureux du décret de janvier 1978 qui permet d’emprisonner des personnes sans recourir aux tribunaux, ainsi que d’interdire toute manifestation, rassemblement sit-in, grève, etc.
Le but du pouvoir est certainement de préparer le terrain à la possibilité d’imposer un régime répressif, militaro-policier-bureaucratique face à deux scénarios possibles :

- une situation comparable à celle de l’Algérie après la victoire électorale des islamistes en 1991 ;
- une accélération du mécontentement social et un début de rejet du vieux et arrogant Premier ministre.
Au passage, Essebsi a perdu son sang froid. Il a traité les policiers rebelles de singes, et annoncé l’interdiction de leur syndicat. Il s’est en fait couvert de ridicule : juste après son discours, sa voiture a été saccagée par des policiers rassemblés devant le siège du gouvernement.
Les sit-in de policiers

À la suite du discours du Premier ministre, des policiers ont organisé pendant plusieurs jours des sit-in devant le ministère de l’Intérieur. Au-delà de la protestation contre les propos injurieux d’Essebsi, leur attitude s’explique sans doute par la combinaisons de plusieurs facteurs.
D’abord, comme beaucoup de salariés, de nombreux policiers sont dans une situation proche de la pauvreté. Simultanément, ils se sentent haïs par la population car ils sont depuis des années en première ligne dans la confrontation directe avec tout ce qui bouge.
Ensuite, de nombreux policiers souhaitent être débarassés de responsables formés sous Ben Ali par les États-Unis et la France.
Enfin, des nostalgiques de Ben Ali ont très certainement su exploiter ce malaise, en particulier des policiers ayant des démêlés avec la justice pour leurs méfaits passés.
Les élections du 23 octobre

Il ne faut pas se faire d’illusions sur les élections à l’Assemblée constituante : la presse et la magistrature ne sont pas indépendantes, l’influence de l’argent des capitalistes tunisiens et étrangers est considérable.
L’Assemblée constituante sera contrôlées par des partis ne s’opposant pas au capitalisme international. Elle aura une orientation proche de celle des gouvernements de Turquie et du Qatar, et entretiendra de bons rapports avec les USA et la France.
Du temps de Ben Ali, nous avions un gouvernement policier d’une seule couleur politique mettant en place la politique néolibérale. Après les élections nous aurons un gouvernement menant la même politique économique, mais comportant plusieurs couleurs politiques : conservateurs religieux, politiciens de droite, sociaux-libéraux, etc.
Face aux partis voulant en finir avec la légitimité révolutionnaire au profit d’une prétendue légitimité institutionnelle, il est important d’affirmer la primauté de la légitimité révolutionnaire et de la lutte.
La LGO avait appelé pour cette raison à la formation d’un front antilibéral et anti-impérialiste. Elle s’est adressée essentiellement aux composantes de la gauche ayant participé au Front du 14 Janvier, ainsi qu’à des forces plus petites. Mais le sectarisme et le narcicisme des uns, ainsi que la tentation d’alliances avec le centre gauche des autres ont fait échouer ce projet. La LGO sera donc seule dans cette campagne avec le double handicap d’être une organisation de petite taille et de ne pas avoir obtenu son visa. Elle participera néanmoins à ces élections dans trois circonscriptions sur 24 par le biais de la liste indépendante « Continuons la révolution ! »


Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 116 (22/09/11)

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