Plan d’action syndical : apprendre le grec!
Ce 15 novembre, au Heysel, les organisations
syndicales ont donné le coup d’envoi de la mobilisation contre les plans concoctés
par les partis qui négocient la formation d’un gouvernement. Six à sept mille
participants: le Front Commun se félicite de ce succès mais, s’agissant en
majorité de délégués et du cadre permanent des trois organisations, il est bien
difficile d’en tirer déjà des indications de la mobilisation réelle que les
dirigeants sont prêts à poursuivre. Anne Demelenne a annoncé une grande
manifestation le 2 décembre et "n’a pas exclu" une grève générale fin
décembre (le 19?).
A plusieurs reprises, la question grecque
est venue sur le tapis. Il est vrai que nous avons quelques similitudes avec la
Grèce: 10 millions d’habitants, un parti social-démocrate (le PASOK) au pouvoir
menant une offensive contre les classes populaires et appelant la droite à
terminer le boulot avec lui (en Grèce c’est même l’extrême-droite, qui a voté
tous les plans d’austérité au parlement!)… Il n’est sans doute pas inutile pour
nous d’essayer de tirer des leçons de ce qui s’est passé là-bas.
Mobilisation sans précédent
Ce jeudi 1er décembre devant le parlement |
Depuis les manifestations et les émeutes
de décembre 2008 – qui faisaient suite à la mort d'un adolescent de 15 ans tué
par balle par la police, mais étaient surtout révélatrices du désenchantement de
toute une jeunesse, la "génération 600 €," la Grèce a connu de grands
mouvements: pratiquement un arrêt de travail généralisé tous les deux mois, des
manifestations de plus en plus nombreuses (15 en 18 mois, dans plus de 70
villes), une radicalisation de la jeunesse et de pans entiers de la société.
Les 19 et 20 octobre, il s’agissait du cinquième arrêt de travail généralisé
depuis le début de l’année, et du deuxième arrêt de 48 heures depuis la fin
juin. Poussées par cette dynamique, les directions syndicales, malgré leurs lourdeurs
et leurs liens avec le PASOK, ont contribué à ces mobilisations, tout en espérant
s’en servir pour "négocier" avec le pouvoir quelques
"aménagements" des mesures d’austérité.
Cette mobilisation croissante n’a pourtant pas suffi (pour le moment) à contrecarrer l’offensive coordonnée de l’UE, du FMI et de la BCE. Pour quelles raisons?
Cette mobilisation croissante n’a pourtant pas suffi (pour le moment) à contrecarrer l’offensive coordonnée de l’UE, du FMI et de la BCE. Pour quelles raisons?
Rythme et coordination des mouvements
La régression sociale est profonde,
les mesures d’austérité par vagues successives ont frappé fort et en
profondeur. "Ce qu’il faut
comprendre c’est que 80 % des Grecs
ne savent pas comment ils vont
boucler leur
budget de novembre. Les taxes ont
été multipliées par 10! Les
élèves n’ont toujours
pas de manuels scolaires depuis
la rentrée. Cela n’est pas
arrivé depuis la
Libération. Dans les hôpitaux, on
demande aux patients d’aller
chercher eux-mêmes
les pansements et les aspirines
dans les pharmacies" indique
Stathis Kouvelakis1.
"Je ne paie pas!" action du 2/12 |
En réponse, il y a eu des vagues de
luttes: la jeunesse en 2008; les grandes entreprises privatisées et les
fonctionnaires au printemps 2010; les transports publics à l’hiver 2010; le
combat héroïque et victorieux de la population de Keratea contre des plans de
l’Etat grec qui veut faire d’une partie de la région (Omvriokastro) une
décharge publique, désastreuse pour l’environnement; le mouvement "Den
Plirono" – "Je ne paie pas" – pour la gratuité des autoroutes, des
transports et des hôpitaux… Mais ces luttes sont restées disparates, peu coordonnées,
parfois isolées.
De nouvelles couches de la jeunesse
et des classes moyennes sont aussi entrées en lutte autour de l’occupation de
la place Syntagma par les indigné-e-s. Mais, jusqu’ici, ces mouvements ne sont
pas parvenus à établir les jonctions nécessaires, en particulier la jonction entre
les travailleurs organisés dans les syndicats et la jeunesse en révolte. De
plus, le tempo des mobilisations syndicales est souvent à contretemps de la
dynamique des luttes: trop tôt ou trop tard.
La leçon que nous pouvons tirer de cette
longue onde de luttes en Grèce, c’est l’importance de l’auto-organisation des
travailleurs.
C’est à eux de fixer les modalités,
le tempo et les revendications de leurs mobilisations.
Les grèves de 24h, sans lendemains,
sont totalement inefficaces et épuisent travailleurs et travailleuses, car le
pouvoir fait le gros dos jusqu’à la 25ème heure…
Relations entre partis et syndicats
Peu à peu la question du pouvoir politique
s’est posée, ne laissant au PASOK d’autres choix que d’essayer une ultime manœuvre,
l’annonce du referendum. Ce faisant, le parti au pouvoir tentait de canaliser le
mécontentement quitte à prendre le risque d’un non. Il voulait désamorcer l’aspect
le plus explosif et le plus incontrôlable des manifestations de rue.
Le 28 octobre, "Jour du
Non" (la fête nationale), plusieurs défilés militaires ont dû être annulés
en raison des mobilisations "anti-austérité." Ce fut notamment le cas
à Thessalonique où le président, Carolos Papoulias, a dû fuir devant les manifestants.
L’évènement était hautement symbolique: c’est la première fois en 71 ans que
les parades militaires du "Jour du Non" sont annulées.
Stahis Kouvelakis explique: "Les mesures successives d’austérité ont miné le
niveau de vie de base; la montée du chômage, spécialement du chômage jeune, s’y
ajoute; l’annonce d’un pillage complet des biens publics au travers d’un
programme de privatisations massif est un nouveau choc; à cela s’ajoute
l’appréhension qu’il n’y a pas de voie de sortie du cercle vicieux de la dette,
de l’austérité et d’une récession plus profonde; tout cela a séparé la vaste majorité
de la population du PASOK et du système politique en général." 2
Ses liens avec les partis
politiques (PASOK, ND, KKE) créent la confusion dans le mouvement syndical,
l’empêchant de défendre une ligne indépendante, claire, conforme aux intérêts
de classe de ses membres. Avant qu’elle n’entre dans le gouvernement d’Union
Nationale, la droite de ND (Nouvelle Démocratie) avait tout intérêt à pousser
les syndicats contre le PASOK. Quant au PASOK, il avait beau jeu de prétendre n’avoir fait qu’hériter de la gestion
désastreuse de la ND. Autre exemple: le 20 octobre, au deuxième jour d’une
grève de 48h, pour empêcher la "prise du parlement" prônée par le
syndicat ADEDY afin d’empêcher le vote d’un train de mesures, les militants du KKE
et leur fraction syndicale du PAME se sont interposés… car ils souhaitaient que
le vote ait lieu, pour démontrer que seul le KKE s’oppose aux mesures.
En Belgique aussi nous devons poser
le problème de l’inféodation des directions syndicales à des partis politiques
qui ne défendent plus nos intérêts de classe. Il faut choisir son camp si l’on
veut gagner les combats que nous allons entreprendre…
La question de l’unité
Bien qu’elle se pose différemment qu’en
Belgique, la question de l’unité s’est aussi posée en Grèce. Notamment autour
de l’attitude sectaire du KKE qui veut apparaître comme ayant le monopole de la
combativité. Le KKE a mis systématiquement des obstacles au rapprochement et à
l’unification des différents mouvements: en organisant des cortèges séparés,
dans des lieux et sur des parcours différents, en traitant "de haut"
le mouvement des indignés, en tenant un langage insultant contre les autres
courants de gauche,… On peut d’ailleurs s’étonner du soutien qu’il reçoit en
Belgique du PTB, dont la courbe rentrante est tellement "coulante"
avec les bureaucraties syndicales.
Chez nous, ce seront bientôt les
élections sociales et le risque est grand qu’en plus de la question politique
décrite ci-dessus, la concurrence idiote et les divergences d’appareils
n’empoisonnent la nécessaire unité des travailleurs.
Il semble donc urgent que les
travailleurs apprennent le grec! ■
Freddy Mathieu
1. Stathis Kouvelakis est
professeur de philosophie politique au King’s College de Londres, spécialiste de
la Grèce. Dans un entretien a été réalisé le 4 novembre 2011 par Sarah Diffalah
pour le "Nouvel Observateur" en ligne.
2. Stathis Kouvelakis – ibidem
Le mouvement syndical grec
Héritage
de la période des dictatures et de ses syndicats "verticaux," la
Grèce d’aujourd’hui compte deux grands syndicats:
la
GSEE (Confédération Générale du Travail de Grèce) qui regroupe les travailleurs
du secteur privé ainsi que ceux des entreprises et des secteurs sous contrôle public
(comme les banques, les transports ou les services tels que la distribution d’électricité
et d’eau) et l’ADEDY (Confédération des syndicats des fonctionnaires publics)
qui représente uniquement les fonctionnaires (enseignants, employés des ministères
ou des administrations locales).
Ces
deux confédérations ont convenu de travailler dans la perspective d’une éventuelle
fusion. Un certain nombre d'organismes sont d’ores et déjà dirigés conjointement
par les deux confédérations, par exemple l'institut de recherche INE.
Le
syndicalisme grec est traditionnellement très politisé, les principaux partis politiques
étant représentés directement dans les organisations par le biais de fractions
organisées. Les 45 membres du conseil exécutif de la GSEE sont élus lors du
congrès sur la base des blocs politiques.
Le
conseil exécutif élu lors du congrès de mars 2007 compte 21 membres apparentés aux
sociaux-démocrates du PASOK, 12 membres de la fraction proche du parti conservateur
de la Nouvelle Démocratie (Droite), 9 membres liés au parti communiste et 3
membres d’une fraction autonome. Ces blocs sont représentés dans la direction
de la GSEE: son président est issu de la fraction liée au PASOK et son secrétaire
de la fraction proche du parti de la Nouvelle Démocratie
Le
Front militant de tous les travailleurs, ou PAME est la fraction syndicale du
Parti communiste grec (KKE), fondée le 3 avril 1999, et affiliée depuis 2000 à
la Fédération syndicale mondiale.■
Paru dans La Gauche n°55
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire