samedi 14 janvier 2012

[Tunisie, un 14 janvier...]

14/01/2011 : grève générale, rassemblement Avenue Bourguiba
Il y a un an, le 14 janvier 2011, Ben Ali prenait la fuite après un mois de révolte populaire. Le mot d’ordre de grève générale lancé par l’UGTT pour cette journée du 14 janvier fut déterminant dans le processus révolutionnaire initié par l’acte de désespoir de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid.
L’UGTT vient de tenir son 22ème congrès. Nous livrons ici deux analyses sur les résultats de ce congrès : celle de notre camarade Nizar Amami, syndicaliste dans les PTT et militant de la Ligue de la Gauche Ouvrière,  ainsi qu’un compte-rendu du syndicat Union syndicale Solidaires (France). Nous y reviendrons.

Tunisie : 22ème congrès de l’UGTT
Par Nizar Amami

14/01/2011 : devant le siège de l'UGTT
Le 22e congrès de l’UGTT s’est réuni du 25 au 28 décembre 2011. Une grande partie de celui-ci a été consacrée à l’élection de la nouvelle direction nationale.
Le nouveau Bureau exécutif (BE) est nettement mieux que l’ancien. Il repose sur de véritables militants impliqués dans les luttes, et qui ne sont pas corrompus.
Une liste concurrente avait été constituée autour de proches de l’ancien numéro 2 de la centrale. Elle comportait des soi-disant indépendants, dont certains étaient en réalité proches des islamistes actuellement au pouvoir.

La majorité écrasante des membres du nouveau BE appartiennent historiquement à la gauche syndicale, et c’est une victoire pour celle-ci. La moitié des élus ne sont pas, ou plus, membres d’un parti. C’est par exemple le cas du nouveau secrétaire général. Il faisait partie de la minorité de l’ancien BE et appartient à la mouvance démocratique et de gauche. Il était membre du Parti communiste il y a une vingtaine d’années.
Ce qui a facilité l’élection de la liste arrivée en tête est le fait que les sensibilités politiques n’y étaient pas représentées par des dirigeants de partis. Sami Tahri de l’enseignement secondaire et Mohamed Msalmi de l’Union régionale de Benarous, par exemple, sont respectivement au MPD et au PTPD. Mais ils sont élus au BE en tant que syndicalistes, et n’appartiennent pas à la direction de ces partis.
Le PCOT n’a pas eu le même comportement. Un de leurs militants, Hfayed Hfayed, était sur la liste qui l’a emporté en tant que représentant du syndicat de l’enseignement primaire. Mais le PCOT voulait qu’un de ses militants, Jilani Hammami, soit également au bureau. La majorité des membres de la liste qui a gagné considéraient qu’il n’était pas possible qu’il y ait un deuxième membre du PCOT au bureau.
L’important, maintenant, est de voir ce que va faire cette nouvelle direction dans une situation où de nombreuses revendications s’expriment au niveau démocratique et social. Pour l’instant, il n’est pas possible de lui donner carte blanche. Le passé des élus est connu, mais cela ne permet pas de prédire ce qu’ils vont faire.
Il y a eu, en effet, très peu de discussions politiques dans ce congrès. L’orientation qui en résulte n’est pas bien définie, mais je pense que cela va venir. Le Bureau élu va chercher à transformer l’UGTT. Un grand chantier est ouvert, il est notamment prévu de modifier les statuts.
La liste qui l’a emporté a été constituée, non pas sur la base d’idées, mais de façon à gagner les élections. C’est une des raisons pour laquelle il n’y a pas eu de femmes sur cette liste : ceux qui l’ont constituée pensaient que cela ne permettrait pas de rapporter suffisamment de voix pour que la liste passe1.
Pour moi, il aurait fallu que la liste qui est venue en tête comprenne néanmoins une femme. Le fait qu’il n’y ait pas de femme au BE est la chose la plus inadmissible de ce congrès. Ce n’est pas démocratique, et cela a choqué beaucoup de militantEs.
Il a été décidé d’ouvrir un débat sur une modification du règlement intérieur, afin d’inclure dans les directions des quotas pour les femmes, à commencer par les unions régionales et les syndicats de branche2. Il faudra normalement attendre le prochain congrès pour que des femmes participent enfin au BE.

Nizar Amami, syndicaliste tunisien des PTT et membre de la Ligue de la gauche ouvrière (LGO)

1. 97 % des congressistes étaient des hommes, alors que 47 % des membres de l’UGTT sont des femmes.
2. Les femmes sont un peu moins de 50 % à la poste, majoritaires dans des secteurs comme l’enseignement, la santé ou le tourisme, et sont plus de 60 % dans le textile. Elles ont participé aux luttes ayant fait tomber Ben Ali au même titre que les hommes.

Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! n°131 (12/01/12)

Tunisie : quelques commentaires sur le 22e congrès de l’UGTT
Union syndicale Solidaires

Une partie de l’avenir du processus ouvert il y a un an en Tunisie repose sur le rôle que joueront les luttes sociales, et donc le mouvement syndical. Une des particularités de ce pays est, en effet, la place centrale de l’UGTT, la centrale syndicale historique. Après avoir été la matrice du mouvement national pour l’indépendance, elle a ensuite oscillé périodiquement entre domestication par le pouvoir et rébellion contre celui-ci. D’où l’importance du congrès qui vient de se tenir entre le 25 décembre et le 28 décembre 2011.
Celui-ci s’étant tenu à huis clos, il est difficile de donner une appréciation très précise sur l’orientation future de la centrale avant d’avoir eu connaissance des textes adoptés.
Une chose est sûre, une grande partie de ce congrès a été consacrée à l’élection des 13 membres du nouveau Bureau exécutif (BE), parmi plus de 80 candidats.
La nécessité d’un grand coup de balai
Il est de notoriété publique qu’une partie de l’appareil de l’UGTT entretenait des rapports pour le moins courtois avec l’ancien régime, et en tirait un certain nombre d’avantages sonnants et trébuchants.
Si, en 2008, les syndicalistes de Redeyef qui avaient accompagné la révolte du bassin minier ont connu la prison et la torture, c’est parce que leurs mandats syndicaux leur avaient été retirés par la bureaucratie régionale et nationale. En désavouant dans la presse le rassemblement du 27 décembre 2010 devant le siège de la centrale, le secrétaire général Jrad exposait au même sort ses participants, à commencer le secrétaire général du syndicat de l’enseignement secondaire qu’il avait dénoncé nominalement. Aucun syndicaliste tunisien n’a oublié que, le 13 janvier, des conciliabules avaient lieu entre Jrad et Ben Ali.
Plutôt que de faire le ménage dans la foulée du 14 janvier, le choix avait été fait d’attendre la fin de l’année 2011. La bataille de la gauche de l’UGTT était de contraindre le Bureau exécutif à respecter l’article 10 des statuts limitant à deux le nombre de mandats. Agir ainsi suffisait à faire « dégager » la quasi-totalité des corrompus. La gauche de l’UGTT expliquait qu’en attendant le congrès, ceux-ci seraient « sous camisole ».
Une réélection limitée de membres de l’ancien Bureau exécutif
Suite au strict respect de l’article 10, seuls 4 des anciens membres du BE pouvaient se présenter. L’un d’entre eux, considéré par beaucoup comme ayant un comportement bureaucratique ne l’a pas fait. Le Bureau est donc renouvelé à 70 %.
Les trois membres de l’ancien BE qui se représentaient ont été réélus, respectivement à la première, la sixième et la neuvième place. Ils sont considérés comme des anciens minoritaires du BE sortant, plus ou moins proches de la gauche de l’UGTT.
La représentation des secteurs
En ce qui concerne les neuf nouveaux membres du BE, il était couru d’avance que les syndicats de l’enseignement secondaire et de l’enseignement primaire seraient tous deux représentés. Ils avaient, en effet, joué un rôle clé dans la solidarité avec la lutte de la population de Redeyef-Gafsa. Faisant partie des structures simultanément les plus importantes et les plus à gauche de la centrale, ces deux syndicats avaient joué un rôle clé dans les grèves ayant amené à la chute de Ben Ali, puis des gouvernements Ghanoucchi qui lui ont succédé.
La représentation des régions
Parmi les Unions régionales représentées au Bureau figurent celles dont les appels à la grève générale ont fait basculer la situation en janvier 2011 : Tunis, Benarous (banlieue industrielle de Tunis et fief de la gauche de l’UGTT), et Sfax (capitale industrielle de la Tunisie). La présence d’un deuxième représentant pour Sfax s’explique en partie par des raisons historiques : cette région, qui comprend l’ile de Kerkennah, est le berceau historique de l’UGTT.
L’invisibilité des femmes
Aucune des femmes qui étaient candidates n’a été élue, alors que 47 % des membres de l’UGTT sont des femmes.
Pour remédier à cela, il devrait être décidé ultérieurement d’instituer un système de quotas permettant enfin à des femmes d’être présentes au sein de la direction nationale de la centrale.
Un pas décisif a été franchi
Les militants ayant participé aux luttes ayant fait tomber la dictature de Ben Ali sont désormais hégémoniques au sein de la nouvelle direction nationale. Il s’agit là d’un point d’appui pour transformer l’UGTT en l’outil dont les travailleurs et la population ont besoin pour la poursuite du processus ouvert il y a un an.
Paris, le 3 janvier 2011
Union syndicale Solidaires

Aucun commentaire: