un entretien avec Edgard
Je vous ai déjà dit comment j’ai rencontré Edgard ?
Je l’ai « trouvé » à la « buvette des jeunes » lors du
dernier match de l’année. Il y avait beaucoup de monde et il jouait des coudes
pour accéder au comptoir (visiblement trop haut, peu adapté pour accueillir
« les jeunes »…). Ce sont d’abord mes côtes qui ont fait connaissance
avec son coude droit. J’ai regardé le type qui s’agitait ainsi à mes côtés. A
première vue, sympa mais bavard. Il avait l’air content. « Quel but le
noir là ! » me lance-t-il. Il n’y en n’avait eu qu’un seul (de but) juste
avant la fin du match. Je ne pouvais pas me tromper sur l’identité du joueur à
féliciter. « Richard Soumah, il avait pourtant l’air au bout du rouleau et
puis subitement il retrouve l’énergie d’aller marquer… ».
Voilà, ça c’est le début. Et quelques verres de bière
plus tard on discutait encore de foot, de stades, d’équipes, de coups de
sifflet, de pelouse et… de démocratie ! Edgard m’expliquait sa « vision
du monde »… « Moi, je vois ça comme ça » me dit-il. « Comme
un très grand stade. Il y a de très bonnes équipes qui jouent sur le
terrain : la nôtre et « les autres ». On doit gagner. Et à
chaque but, on gueule comme des fous dans les gradins. La mi-temps c’est comme
le Doudou, on boit des pintes. Et la troisième mi-temps c’est le 21 juillet, on
boit des pintes. Pour mettre de l’ordre sur le terrain, il y a un type en noir
avec un gros sifflet. C’est le premier ministre quoi. Il distribue des cartons jaunes
et des cartons rouges. Tu vois le symbole? Rouge, Jaune, Noir. Et pour que
notre terrain ne soit pas envahi, les « visiteurs », on les parque
dans un coin des tribunes derrière des grilles. On peut en accepter 200 à
chaque match, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde... Après le
match on ne traîne pas trop, le lendemain on boulote.»
Là, je commençais à avoir du mal à avaler… Dans ma tête,
chaque fois qu’il disait « stade », je pensais « Santiago du
Chili ». Et les « visiteurs parqués derrière des grilles » sonnaient du côté de Vottem…
Bon je n’allais pas le prendre de front. Je me suis mis à parler de ma
conception à moi de « vivre ensemble ». « Pour moi ce sera une très grande fête.
Il y aura du soleil, tous les habitants seront contents de se rencontrer et de
parler de choses et d’autres. Toutes les familles vont apporter à boire et à
manger (tout ça confectionné avec les fruits et les légumes de leur jardin). On
chantera, on dansera. Des gens venus de
très loin nous feront écouter leur musique et nous on essaiera de danser comme
eux. Ça va faire rire tout le monde, mais c’est cela le but. Les enfants vont
inventer des jeux avec ce qu’ils trouveront sur place. J’en vois déjà courir
derrière un pneu qu’ils guident avec un bâton. Cerise sur le gâteau, il n’y
aura pas d’entrée à payer, pas d’ « invités VIP » ni des
« joueurs-vedettes », sur la pelouse, tous égaux dans notre
diversité ».
J’allais lui préciser tout cela, lui parler
d’autogestion, du droit de contrôler et de révoquer les élus, de la mise au pas
de la finance qui a provoqué tant de crises, de la mise hors d’état de nuire
des groupes de l’énergie fossile qui conduisent notre planète à la catastrophe,
j’avais encore tant de choses à lui dire... Mais je me suis rendu compte qu’Edgard
avait posé sa tête sur ses bras repliés sur la table et dormait. J’étais au
moins content de ne pas l’avoir énervé avec mes délires abracadabranstesques.
fRED
chaque lundi, retrouvez Edgard dans mon blog sur www.lcr-lagauche.org/
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