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lundi 17 février 2014

[Dimanche matin au marché avec Edgard]




- Edgard, tu ne sais pas quoi ? Les socialistes descendent dans la rue !
- Quoi ? Ils sont dans l’opposition ?
- Non ! Ils essaient de ne pas y aller. Faut dire qu’ils ne savent plus ce que c’est, la plupart des élus actuels n’étaient pas nés quand ils sont « montés » au pouvoir.
- Ouais, ça fait un sacré bail qu’ils sont au pouvoir... Je ne me souviens plus si c’est 25 ou 30 ans. Bon, et ils réclament quoi dans la rue, les socialistes ?
- Rien, ils distribuent des gadgets, une fois c’est des capotes, et une autre fois des pralines.
- Ils ne pourraient pas distribuer du boulot ? Des bons salaires ? Des pensions dignes ? Ça serait plus « socialiste », tu ne crois pas ?
- Tu n’y penses pas, c’es la crise, ils essayent de préserver l’essentiel.
- Et du boulot pour les jeunes, des salaires décents et une bonne pension, tu ne crois pas  que c’est essentiel ?
- Bien sûr, mais pour cela il faut des moyens et l’Etat est déjà bourré de dettes... L’Etat c’est comme un ménage, il ne peut pas vivre au-dessus de ses moyens. Tout le monde doit faire un effort, travailler un peu plus longtemps, faire des économies.
- Tu crois que distribuer des pralines ça aide à faire des économies ? Et les cadeaux qu’on fait aux entreprises en réduisant les cotisations sociales, tu ne crois que c’est à cause de cela qu’on ne sait plus payer le chômage et les pensions ? Tu trouves normal que les entreprises ne paient pratiquement pas d’impôts, qu’elles reçoivent des aides publiques et qu’au bout du compte elles se barrent en laissant leurs travailleurs à charge de la collectivité. Et leurs sites pollués aussi d’ailleurs !
- Edgard, je pense que tu ne comprends rien à la politique. Depuis que Fred t’as emmené à Charleroi pour écouter une conférence de gauchiste, tu parles comme eux : des slogans vides...
- T’aurais mieux fait de garder ta capote pour te protéger l’esprit et de ne pas bouffer cette saloperie de praline avec laquelle ils essaient de t’endormir. Ouvre les yeux, l’essentiel pour eux c’est de garder leur place !

[Corps de rêve]


mercredi 1 janvier 2014

[Je hais le nouvel an]

Je hais le nouvel an

par Antonio Gramsci.

Chaque matin, à me réveiller encore sous la voûte céleste, je sens que c’est pour moi la nouvelle année. C’est pourquoi je hais ces nouvel an à échéance fixe qui font de la vie et de l’esprit humain une entreprise commerciale avec ses entrées et sorties en bonne et due forme, son bilan et son budget pour l’exercice à venir. Ils font perdre le sens de la continuité de la vie et de l’esprit. On finit par croire sérieusement que d’une année à l’autre existe une solution de continuité et que commence une nouvelle histoire, on fait des résolutions et l’on regrette ses erreurs etc. etc. C’est un travers des dates en général. On dit que la chronologie est l’ossature de l’Histoire; on peut l’admettre. Mais il faut admettre aussi qu’il y a quatre ou cinq dates fondamentales que toute personne bien élevée conserve fichée dans un coin de son cerveau et qui ont joué de vilains tours à l’Histoire. Elles aussi sont des nouvel an. Le nouvel an de l’Histoire romaine, ou du Moyen Âge, ou de l’Époque moderne. Et elles sont devenues tellement envahissantes et fossilisantes que nous nous surprenons nous-mêmes à penser quelquefois que la vie en Italie a commencé en 752, et que 1490 ou 1492 sont comme des montagnes que l’humanité a franchies d’un seul coup en se retrouvant dans un nouveau monde, en entrant dans une nouvelle vie. Ainsi la  date devient un obstacle, un parapet qui empêche de voir que l’histoire continue de se dérouler avec la même ligne fondamentale et inchangée, sans arrêts brusques, comme lorsque au cinéma la pellicule se déchire et laisse place à un intervalle de lumière éblouissante.Voilà pourquoi je déteste le nouvel an. Je veux que chaque matin soit pour moi une année nouvelle. Chaque jour je veux faire les comptes avec moi-même, et me renouveler chaque jour. Aucun jour prévu pour le repos. Les pauses je les choisis moi-même, quand je me sens ivre de vie intense et que je veux faire un plongeon dans l’animalité pour en retirer une vigueur nouvelle. Pas de ronds-de-cuir spirituels. Chaque heure de ma vie je la voudrais neuve, fût-ce en la rattachant à celles déjà parcourues. Pas de jour de jubilation aux rimes obligées collectives, à partager avec des étrangers qui ne m’intéressent pas. Parce qu’ont jubilé les grands-parents de nos grands parents etc., nous devrions nous aussi ressentir le besoin de la jubilation. Tout cela est écœurant. 
  • Antonio Gramsci, 1er janvier 1916 sur l’Avanti!, édition de Turin, rubrique « Sotto la Mole »        
  • Traduit par Olivier Favier - touvé sur http://dormirajamais.org/

[2014]