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samedi 19 mars 2011

[Journalistes (mal)embarqués à l’AFP]


Cette photo qui a été reprise par de nombreux sites de journaux, accompagne aussi les annonces des premières frappes françaises cet après-midi (exemple la DH), en quelque sorte une pré-justification de ces frappes…
Voici ce qu’en disait le communiqué de l’AFP tôt ce matin : « Sa chute a été accueillie par des tirs de joie dans Benghazi. Un avion militaire, vraisemblablement un Mig-23, a été abattu samedi matin au-dessus de Benghazi, bastion de la rébellion dans l'est de la Libye, ont constaté des journalistes de l'AFP ».
Voici donc des journalistes qui reconnaissent à l’œil nu des « tirs de joie » (à ne pas confondre avec de tristes tirs qui bien entendu –si j’ose dire- n’ont pas le même aspect). Ça c’est de l’info, du direct, c’est « made in France ».

Le problème pour l’AFP, c’est qu’elle est amenée à publier une autre version vers 13h : « Libye: l'avion abattu à Benghazi était un appareil des insurgés
LE CAIRE - L'avion abattu samedi matin à Benghazi, bastion rebelle dans l'est de la Libye, était un appareil des insurgés, a affirmé à l'AFP une source rebelle jointe par téléphone.
"On me dit que le pilote a été tué mais je ne peux confirmer", a ajouté cette source selon laquelle il s'agissait d'un Mirage français. »
Bon, là, c’est toujours de l’info, c’est encore « made in France » (je parle de l’avion abattu) et ça a permis de mettre la pression dans l’opinion pour faire accepter l’idée de leur président, un peu abattu lui aussi pour le moment, d’aller sauver des vies en Libye. «Très critiqué au moment des révoltes tunisiennes et égyptiennes, Nicolas Sarkozy s'offre un succès diplomatique avec le dossier libyen» commente Le Parisien.
"je ne chanterai pas..."
La presse française n’est pas la seule à user de raccourcis et pseudo-vérités pour faire passer la « ligne officielle » : le site belge 7sur7 reproduit un communiqué de Belga sous le titre « La Chambre approuve à l'unanimité l'engagement en Libye ». Ce ne sont pourtant que deux commissions qui se sont réunies… "Il est clair que la France assure le leadership de l'action militaire dans l'espace aérien libyen", a déclaré le Premier ministre belge Yves Leterme, qui connait la chanson, ce n’est pas lui qui confondrait Mig-23 et Mirage Français… La Belgique n’interviendra que dans une deuxième phase. « Lundi on sera prêts ».
Dans cette contrée du monde, la Belgique a d’ailleurs pris l’habitude d’arriver après les autres. Quand il s’est agit d’évacuer les dizaines de milliers de travailleurs immigrés qui fuyaient la Libye, il a fallu attendre le 7 mars, soit plus de trois semaines après les premières vagues de réfugiés qui arrivaient en Tunisie par Ben Guerdane   pour que L'appareil belge, l'unique A330-300 utilisé par le 15e wing de transport de l'armée, décolle de Djerba vers l'Égypte…
L’humanitaire peut attendre, le pétrole moins visiblement…

mardi 8 mars 2011

[la révolution tunisienne - R+53 -] 17

[Pour voir la série cliquez sur]

Pour la deuxième fois en une semaine, dès le matin, je dois prendre l'avion à l'aéroport de Djerba. Même odeur, même amoncellement de réfugiés en provenance de Libye. La couleur des peaux a changé : quelques chinois et vietnamiens, un peu plus de bengalis, et beaucoup  de ghanéens.
Un touriste belge se plaint de l'état des toilettes. Un autre s'étonne que le personnel de l'aérogare porte gants et masque... alors « qu’on ne nous a rien donné » ! L'hôtesse d'un tour opérateur négocie -sans nous consulter- que ses clients (nous) puissent passer sans encombre "au milieu de tout ça"... Personne ici n'a donc compris que c'est nous qui sommes, bien involontairement certes, des intrus dans ce qui est devenu une annexe de camp de réfugiés? Que nous sommes des privilégiés car nous voyageons librement et volontairement?
Heureusement au milieu de ce torrent d’égoïsme, un employé de l'aéroport tient des propos "humains". A propos des toilettes, il explique que le hall d'embarquement a été vidé et nettoyé complètement vers trois heures du matin. Mais dit-il, "on n'est pas équipé pour abriter 7 à 8000 personnes par jour, ça dure depuis le 20 février".
Dans cette débâcle il note néanmoins des souvenirs positifs : une nuit de la semaine dernière, une égyptienne a accouché à l'infirmerie. "Quand le bébé est arrivé le hall est devenu une grande famille en fête! On chantait dans toutes les langues". Tout le personnel a apporté quelque chose, des couches, de la nourriture, des vêtements.
"Et depuis le début, il y a eu une solidarité formidable" poursuit-il, "des gens se sont mobilisés de partout pour apporter de la nourriture, des couvertures, des cartes et des chargeurs pour les GSM". Il explique que certains sont venus après leur boulot, la nuit, pour aider à distribuer, pour nettoyer. "Maintenant les étrangers sont enfin arrivés avec du matériel et des équipes... et des caméras ! Un peu tard..."
Un ghanéen m’explique son parcours. « Je viens d’Al Djoufrah, une région du centre de la Libye. Je travaillais dans le  bâtiment. On est restés chez nous parce qu’on avait peur,  ils sont racistes, ils faisaient la chasse aux noirs. La police est venue m’arrêter et m’ont pris mes papiers. Ils ont exigé que je leur donne tout ce que j’avais, ils m’ont tout volé : une tv, un fer à repasser et un GSM et l’argent. Ils pensaient que j’en avais caché, alors ils m’ont frappé pour que je leur dise où. C’était la même chose avec mes autres collègues. Quand ils ont tout eu ils nous ont donné nos passeports et on est partis ».

mardi 1 mars 2011

[la révolution tunisienne - R+46 -] 10

[Pour voir la série cliquez sur]
01.03
Départ pour Tunis
7h30 - Aéroport de Djerba Mellita.
Le hall des vols domestiques ressemble à une église occupée. Il y a là plusieurs centaines d'hommes qui sont allongés sur des couvertures placées sur le sol en marbre. Un grand carré a été délimité avec une corde blanche tendue autour des grands piliers de l'immense hall, laissant libre un couloir par lequel les voyageurs "ordinaires" peuvent accéder au check-in. C'est propre et bien organisé. Mais une odeur flotte, on sent que plusieurs centaines de chaussures se sont libérées toute la nuit. Dans le hall voisin, un autre groupe, une centaine. Ils sont debout et l'atmosphère est plus tendue : deux employés de l'aéroport un paquet de passeports à la main, appellent un à un, du haut d'un escalator à l'arrêt, les candidats au départ. Des grappes de caddies chargés de bagages et de couvertures, s'échappent de la masse impatiente. "Avec les Égyptiens, c'est le folklore à Djerba" me lance celui qui semble être l'ordonnateur du transit aéroportuaire, plus habitué sans doute à voir débarquer de vieilles (vraies) blondes ou embarquer de (vrais) européens enbermudés.
Mais là, il ne s'agit pas de tourisme. Mais d'une fuite, d'un exil, un de plus. Il s'agit de travailleurs jetés du travail, broyés par des forces qui les dépassent, expulsés par une guerre de classes aux contours incertains.
Hier on parlait de 43.000 de leurs semblables ayant fuit la Libye par Ben Guerdane en 7 jours. Aujourd'hui on cite le chiffre de 75.000. Avant d’échouer sur le marbre de l’aéroport ils ont passés plusieurs journées à marcher et plusieurs nuits à attendre au poste-frontière. D’autres sont parqués dans des halls sportifs. Les autorités tunisiennes préfèrent cette solution que de les voir congestionner l’aéroport.
Je tente d'interroger un jeune homme. Il a les yeux bouffis, comme s'il avait pleuré, ou simplement mal dormi. Ou les deux. Nous ne trouvons pas de langage commun pour nous parler. Mais ses yeux en disent long sur son parcours. Ils ont la couleur terne de l'épuisement, teintée par l'éclair noir de la terreur.

11h02 Tunis, Avenue Habib Bourguiba
Le  ministère de l'intérieur est retranché derrière plusieurs rangées de rouleaux de fils barbelés. Au centre du carré plusieurs blindés, mitrailleuses lourdes pointées vers le ciel. L’autopompe est bleue, ils doivent tous avoir le même fournisseur… Les militaires sont lourdement armés et visiblement agacés par les regards des passants assez nombreux sur cette avenue stratégique. La place forte est jouxtée par la terrasse du Baba Club. Une vue imprenable sur les dégâts des derniers jours.
En venant de l’aéroport, Atem m’a montré le siège du RCD sur l’avenue Mohamed V. Un immense building, lui aussi gardé par des blindés. Je me demande ce qu’a du coûter pareille construction.  Le RCD, le parti-État, section tunisienne de l’Internationale Socialiste, sera bientôt fixé sur son sort. Sa dissolution et la confiscation de tous ses biens « à l’intérieur et à l’étranger qui ont été acquis par voie de pillage de l’argent du peuple » sont évoquées devant le Tribunal de Première instance de Tunis. L’avocat du Ministère de l’Intérieur a d’ailleurs indiqué dans sa plaidoirie que le RCD était, notamment, en infraction puisqu’il devait présenter des états financiers annuels à la Cour des Comptes, ce qu’il n’a pas fait depuis 1988 !
Toute cette partie de la ville est estampillée RCD, chaque institution de Ben Ali rivalisant, comme à San Gimignano pour construire la plus haute tour. Quand le bâtiment va, tout (le clan) va !
Après un tour rapide de la ville, Atem me dépose à la Kasbah. Quelle ambiance ! Il fait frais et pluvieux mais il y a, dans ces mille regards, une intensité remarquable. Que de couleurs, les tentes et les bâches forment un immense patchwork au pied des bâtiments ancestraux. Quel contraste surtout avec la froideur des quartiers RCDistes…
Partout des petits groupes se rassemblent, par affinité, par origine, par curiosité. Tout est mis en discussion et chacun peut s’exprimer sur tout. A sa manière, avec ses mots, avec ses dessins, ses tags. Avec ses silences aussi et ses sourires. On disait du peuple tunisien et de sa jeunesse, qu’ils sortaient de la dictature sans conscience politique. La kasbah est en train de devenir une « université populaire » ouverte sur le monde. On y apprend par le débat et par le combat. Car ce n’est pas seulement le lieu fermé où une minorité éclairée ferait « sa » révolution c’est aussi un lien organique et permanent avec un peuple aux multiples luttes. Toutes les régions du pays, toutes les générations, et les différentes couches sociologiques sont d’ailleurs représentées ici. Ces gens se parlent, se respectent et se motivent. Pensée et action s’enrichissent à une vitesse vertigineuse. Les nuits glaciales sont effacées par la chaleur des relations humaines qui se tissent dans tout ce débat permanent.
Je comprends encore mieux les mots d’Alma Allende dans ses « Chroniques de la révolution tunisienne ». Il y a dans cette effervescence un côté aussi rassurant que captivant dans lequel je me laisse couler.
fRED