dimanche 26 janvier 2014

[Au Qatar avec Edgard]

Je n’en peux plus. Voilà qu’encore une fois on s’attaque à nous, les amateurs de foot. Sous prétexte qu’il y aurait eu quelques accidents sur les  chantiers de la Coupe du monde de football qui doit se dérouler au Qatar en 2022, voilà qu’Amnesty International et une myriade d’ONG se mettent en branle et crient au scandale. Même si on admet le chiffre publié dans les gazettes[1], ce n’est quand même qu’une infime partie des 2 millions d’ouvriers, étrangers bien évidemment, qui sont engagés pour construire nos stades, nos buvettes, les routes et tout le tralala dont on aura besoin pour ce magnifique spectacle en 2022.
Moi ce que je dis c’est que si tous ces ouvriers étaient plus attentifs il y aurait moins d’accidents. Et on n’y peut rien, nous, si certains ont une santé fragile. Qu’ils fassent du sport et ils se porteront mieux. Quand, comme eux, c’est le sport qui vous fait vivre on se dépense un peu pour rester en forme.
C’est parce que je ne suis pas en bonne santé sinon j’aurais déjà acheté mes billets.
Le Qatar est bien bon de sauver nos clubs[2], de payer dignement nos joueurs, avec toutes les retombées pour l’économie (à côté de ça Mons 2015, c’est du pipi de chat !), quand on voit qu’en retour on traite ce petit pays audacieux comme de la crotte de chameau.
Évidemment après les ONG, c’est les syndicats qui mettent leur nez dans tout ça[3]. Et eux pour foutre le bordel, y a pas mieux. Ils sont capables d’exiger des choses totalement irréalistes, des bottines de sécurité par-ci, des heures de pause, des casques par-là, et pourquoi pas des primes de risque et un logement à l’hôtel gratos? Et à votre avis qui va payer tout ça ? Nous, les supporters ! Sans compter les retards sur les chantiers et les amendes qui vont tomber… Déjà que nos entreprises sont sur la paille, maintenant elles sont prises en otage. Vous allez voir qu’ils vont créer des Comités de Soutien Machin et déposer des motions à tire larigot comme ils sont en train de le faire sur les pseudo-réfugiés afghans, les soi-disant exclusions du chômage ou leur fameux Index ! Vous avez vu ce qui s’est passé à Mons il y a quelques semaines quand ils ont envahi la ville pour détruire le marché de Noël ?  Le bourgmestre libéral a bien eu raison de rester ferme : « Si nous avions donné suite aux revendications des sans-papiers afghans, nous aurions ouvert la boîte de Pandore et pris le risque que pour toute une série d’autres sujets qui font l’objet de contestations quant à la politique du gouvernement fédéral, que la ville de Mons soit prise en otage par rapport à toutes ces personnes qui contestent la ligne politique adoptée par le gouvernement fédéral ».
— Edgard


paru sur www.lcr-lagauche.org/au-qatar-avec-edgard/

[1] En 2013, 185 Népalais auraient trouvé la mort sur les chantiers de la Coupe du monde de football qui doit se dérouler au Qatar en 2022. Selon un bilan établi par le Guardian, cela porte le total de travailleurs népalais ayant péri sur les chantiers des infrastructures à 382 en deux ans.
[2] « Globalement, on sent bien que quelque chose a changé dans le football européen ces deux dernières années. Si les années 2000 ont vu l’arrivée des « simples » milliardaires dans le football européen (à Chelsea, à Manchester City, etc.), les années 2010 ont vu l’arrivée d’une institution avec une puissance financière extrêmement plus élevée  (…) On sent bien là l’importance du contrat avec Qatar Tourism Authority et le fait que les propriétaires du PSG ont quelque chose de spécial. En effet, c’est le seul club de football professionnel détenu par un État. » in  http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1134631-le-psg-5e-club-le-plus-riche-du-monde-paris-a-les-moyens-de-devenir-le-numero-1.html
[3] Mercredi 9 septembre, une délégation syndicale internationale a été refoulée d’un chantier de l’entreprise QDVC, une joint-venture entre Qatari Diar, la division BTP du fonds souverain qatari, et la société française Vinci Construction. (http://www.lemonde.fr/international/article/2013/10/10/au-qatar-les-chantiers-de-vinci-sont-interdits-aux-curieux_3493501_3210.html)

lundi 20 janvier 2014

[Féli-Citation]


http://www.lcr-lagauche.org/wp-content/uploads/2014/01/edgard-bonnet.jpg
Je déteste les gens qui s’appuient sur une citation quelconque pour mettre en relief leur article. Comme si ça avait un sens… Vous me voyez mettre ici, pour appuyer mon propos, un truc comme «On [La France] ne peut pas accueillir toute la misère du monde » ? Il ne faudrait pas une minute pour qu’un gauchiste vienne y mettre son grain de sel, du style « vous avez oublié la 2ème partie de cette phrase de Michel Rocard « mais elle doit en prendre sa part ». Il pousserait sans doute le vice jusqu’à rappeler la date et les circonstances de cette déclaration « en février 1989 lors du 50ème anniversaire de la Cimade ». Et pour fignoler un peu et finir par m’énerver, ajouterait le commentaire postérieur de Rocard lui-même : « Prononcée par moi en 1990 [en réalité en 1989]  la première partie de cette phrase a eu un destin imprévisible [...]. Au point qu’aujourd’hui cette phrase [...] est séparée de son contexte et sert de caution tous azimuts pour légitimer l’application, sans aucune considération des droits de la personne humaine, des impitoyables lois Pasqua de 1993 ».
Je ne veux pas de ce genre de commentaire, donc je m’abstiens de répéter ce que d’autres ont dit à tort et à travers avant moi.
D’ailleurs il ne faut jamais citer des socialistes, ils ne sont pas fiables. Vous imaginez la honte, après avoir cité Elio Di Rupo: « À force de dire des choses excessives, vous conduisez les citoyens vers l’abîme. Le PS a réussi à former un gouvernement et nous travaillons dans un pays qui est encore debout » (à la réception de nouvel an donnée à Mons par Elio Di Rupo le dimanche 15 janvier 2012), de voir un Jean-Pascal Labille, ministre socialiste de Di Rupo qui fâche les patrons flamands, « à force de dire des choses excessives ». Même le très vénérable Karel Vinck (75 ans, certes un repris de justice – il est condamné à trois ans de prison avec sursis pour homicide involontaire quand il était à la tête d’Eternit Italie – mais néanmoins ex patron de Bekaert, l’Union Minière, la SNCB et Umicore, bref un type pondéré qui « parle de Jean-Pascal Labille comme d’un « homme dangereux », qui ne sait pas ce qu’est une entreprise. « Dans la vie d’une entreprise s’appliquent d’autres règles de base que celles, idéologiques, auxquelles certains politiciens et partis prêtent serment » [1]
Je reste donc prudent avec les citations. Des citations, j’ai les miennes, et un fameux stock. Je les garde. J’ai dit.
—Edgard

[1] Le Soir – 24/12/2013

mardi 14 janvier 2014

[Du foot, de la démocratie, des pintes]


un entretien avec Edgard 

Je vous ai déjà dit comment j’ai rencontré Edgard ? Je l’ai « trouvé » à la « buvette des jeunes » lors du dernier match de l’année. Il y avait beaucoup de monde et il jouait des coudes pour accéder au comptoir (visiblement trop haut, peu adapté pour accueillir « les jeunes »…). Ce sont d’abord mes côtes qui ont fait connaissance avec son coude droit. J’ai regardé le type qui s’agitait ainsi à mes côtés. A première vue, sympa mais bavard. Il avait l’air content. « Quel but le noir là ! » me lance-t-il. Il n’y en n’avait eu qu’un seul (de but) juste avant la fin du match. Je ne pouvais pas me tromper sur l’identité du joueur à féliciter. « Richard Soumah, il avait pourtant l’air au bout du rouleau et puis subitement il retrouve l’énergie d’aller marquer… ».
Voilà, ça c’est le début. Et quelques verres de bière plus tard on discutait encore de foot, de stades, d’équipes, de coups de sifflet, de pelouse et… de démocratie ! Edgard m’expliquait sa « vision du monde »… « Moi, je vois ça comme ça » me dit-il. « Comme un très grand stade. Il y a de très bonnes équipes qui jouent sur le terrain : la nôtre et « les autres ». On doit gagner. Et à chaque but, on gueule comme des fous dans les gradins. La mi-temps c’est comme le Doudou, on boit des pintes. Et la troisième mi-temps c’est le 21 juillet, on boit des pintes. Pour mettre de l’ordre sur le terrain, il y a un type en noir avec un gros sifflet. C’est le premier ministre quoi. Il distribue des cartons jaunes et des cartons rouges. Tu vois le symbole? Rouge, Jaune, Noir. Et pour que notre terrain ne soit pas envahi, les « visiteurs », on les parque dans un coin des tribunes derrière des grilles. On peut en accepter 200 à chaque match, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde... Après le match on ne traîne pas trop, le lendemain on boulote.»
Là, je commençais à avoir du mal à avaler… Dans ma tête, chaque fois qu’il disait « stade », je pensais « Santiago du Chili ». Et les « visiteurs parqués derrière des  grilles » sonnaient du côté de Vottem… Bon je n’allais pas le prendre de front. Je me suis mis à parler de ma conception à moi de « vivre ensemble ».  « Pour moi ce sera une très grande fête. Il y aura du soleil, tous les habitants seront contents de se rencontrer et de parler de choses et d’autres. Toutes les familles vont apporter à boire et à manger (tout ça confectionné avec les fruits et les légumes de leur jardin). On chantera, on dansera. Des gens  venus de très loin nous feront écouter leur musique et nous on essaiera de danser comme eux. Ça va faire rire tout le monde, mais c’est cela le but. Les enfants vont inventer des jeux avec ce qu’ils trouveront sur place. J’en vois déjà courir derrière un pneu qu’ils guident avec un bâton. Cerise sur le gâteau, il n’y aura pas d’entrée à payer, pas d’ « invités VIP » ni des « joueurs-vedettes », sur la pelouse, tous égaux dans notre diversité ».
J’allais lui préciser tout cela, lui parler d’autogestion, du droit de contrôler et de révoquer les élus, de la mise au pas de la finance qui a provoqué tant de crises, de la mise hors d’état de nuire des groupes de l’énergie fossile qui conduisent notre planète à la catastrophe, j’avais encore tant de choses à lui dire... Mais je me suis rendu compte qu’Edgard avait posé sa tête sur ses bras repliés sur la table et dormait. J’étais au moins content de ne pas l’avoir énervé avec mes délires abracadabranstesques.

fRED

chaque lundi, retrouvez Edgard dans mon blog sur www.lcr-lagauche.org/

lundi 13 janvier 2014

[Oubliée la révolution ?]

Demain...
Le 14 janvier 2014, demain, une partie de moi-même va s’envoler sur l’autre rive de la méditerranée.
La Tunisie sent encore les secousses des journées de décembre 2010/janvier 2011 qui ont conduit le dictateur à prendre la fuite.
Oubliée la révolution ? me demandez-vous. N’allez pas trop vite. En janvier 2012 et 2013, vous avez aussi tenu le même langage, estimant que le peuple tunisien (et les autres peuples du nord de l’Afrique qui l’ont suivi sur le chemin de la révolte) « s’était mobilisé pour rien » et que c’en était fini du printemps des peuples. Et pourtant c’est en 2013 que se sont tenues les plus vastes mobilisations de rue, 6 à 8 fois plus nombreuses que les désormais légendaires rassemblements sur l’avenue Bourguiba les 13 et 14 janvier 2011. Depuis l’acte de désespoir et de révolte du jeune Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010, rien ou presque n’a été changé dans la situation dramatique que lui et ses pareils vivent. Le chômage est toujours à la hausse, en particulier pour les jeunes diplômés. Le coût de la vie n’a cessé d’augmenter et cela va continuer, notamment à cause des mesures imposées par le FMI. La censure, la répression, la torture, sont toujours présentes. Militants, avocats, journalistes et artistes n’en finissent pas d’en faire les frais. Il faut y ajouter les assassinats politiques et les groupes terroristes qui sont venus « bien à point » au fur et à mesure que le nouveau pouvoir se fragilisait. Voilà pourquoi la mobilisation populaire, et particulièrement syndicale, est restée vive pendant toute cette période.
« La révolution tunisienne est belle » avons-nous écrit en janvier 2011[1]. Elle gardera sa beauté tant que ses objectifs resteront à concrétiser.

13 janvier 2014 - fRED
photo : Tebourbi Photography

[1] http://fredditcela.blogspot.be/2011/01/la-revolution-tunisienne-est-belle.html

[Privés de Public ?]

La semaine dernière, les journaux Het Belang van Limburg et Gazet van Antwerpen répercutaient les déclarations du tour-opérateur Thomas Cook qui propose un étalement des périodes de vacances scolaires entre la Flandre et la Wallonie. « Tout le monde y gagnerait, aussi bien le secteur du voyage que les consommateurs » argumente le voyagiste... Quelques jours plus tard la RTBF mettait en ligne une émission/débat sur l’intérêt d’équiper tous les véhicules de « dashcams » suite au buzz qu’a fait la vidéo d’un chauffeur de camionnette avec caméra embarquée. Les fabricants (et distributeurs) de dashcams et les compagnies d’assurances sont pour l’obligation d’équiper les véhicules car elles espèrent les « rentabiliser » et limiter leurs interventions financières dans certains sinistres.
la voiture du manager...
On assiste là à une forme insidieuse de « privatisation » de l’espace public : voilà les compagnies privées (tour-opérateurs et assurances) qui dictent les lignes de conduite en matière d’Enseignement ou de Sécurité Routière... Ce ne sont que deux exemples récents de ce vent du « tout au privé » qui souffle  autour de nous. Mais on pourrait en voir d’autres manifestations dans l’étalage de la vie privée des deux derniers Présidents de la République française. L’un se vautrant dans le bling-bling ou se prélassant sur le yacht d’un grand patron... l’autre, surpris dans ses petites escapades. Ou encore, en Belgique, le Premier utilisant la « TV de service public » pour amorcer sa campagne électorale en assénant des fadaises en attendant d’aller faire sa popote sur la chaîne privée RTL.
Il va bon train le phénomène de la « privatisation du monde », comme disait Daniel Bensaïd[1], qui citait de multiples exemples de cette soumission de la vie au marché : privatisation de l’enseignement universitaire, des politiques de santé, mais aussi des politiques monétaires (qui échappent au contrôle politique des Etats car relevant des banques centrales autonomes), privatisation du « vivant » (des plantes, des molécules...) à travers le dépôt de brevets pour « geler » les découvertes que d’autres pourraient exploiter, privatisation du savoir et même privatisation de la guerre (corps armés privés agissant pendant la guerre en Irak).
Bien évidemment cette « dépossession » du collectif s’accompagne d’une « contre-révolution » dans le langage. Ce qui est tendance aujourd’hui c’est d’être un « manager » et « d’exceller » dans la « gouvernance » pour réussir sa success-story.
fRED


[1] Voir la vidéo de la Conférence de Daniel Bensaïd ici : http://www.youtube.com/watch?v=uxBvxfRI2CE