mardi 28 juin 2011

[Toute la Grèce à Syntagma (Athènes) ! ]

Appel du 26 juin de l’assemblée populaire de la place Syntagma
48 heures dans les rues – Toute la Grèce à Syntagma (Athènes) !
 
Les parcours de notre rassemblement des 28 et 29 Juin.
Nous sommes à quelques heures de la mobilisation que nous allons réaliser dans toute la Grèce les 28 et 29 juin. Tout indique que la grève générale de deux jours peut prendre la dimension d’un soulèvement à travers le pays, un soulèvement qui sera le tombeau du “paquet” de coupes sociales du gouvernement. Cette bataille n’est pas seulement importante pour notre avenir, elle est une lueur d’espoir pour tous les peuples du monde qui veulent prendre leurs vies entre leurs vos mains. C’est le point de départ dans une nouvelle direction.

Le 28 Juin, nous nous concentrerons dès 9 heures sur la Place Syntagma pour attendre l’arrivée de manifestations de travailleurs en grève et nous nous rejoindrons sur la place. À 18 heures, un grand concert populaire commencera et durera jusqu’à la nuit.
Le 29 Juin nous coordonnerons toutes nos forces pour mettre en œuvre l’encerclement total du Parlement. Les Assemblées de la banlieue nord d’Athènes se rassembleront à 8 h du matin au métro Evangelismos. Seront présentes les Assemblées populaires de Agia Paraskevi, Halandri Holargos Papagou Zoographos, Glyka Nera, Pallini, Galatsi, Maroussi, Héraklion, Nea Ionia, Patision, Nea Philadelphia, Gizi, Le Pirée, Ambelokipi-Hôpital de la Croix Rouge, Polygone. Les Assemblées populaires des quartiers Sud et Est se retrouverons à 8 h au stade de Kalimarmaro. Il y aura les assemblées de Nea Smirni, Bironas, Agios Dimitrios, Voula-Vari, Neos Kosmos, Petralona-Thissio-Koukaki, Heleniko. Les quartiers de l’ouest Petropoli. Egaleo, Peristeri, Haidari, Agio Anargyri-Kamateros se rassembleront sur la place Syntagma, (rues de Amalia et B. Sofia). Les syndicats et les assemblées du reste de la Grèce participeront également en différents points de rassemblement
Pour les personnes qui viendront d’autres régions de Grèce des lieux d’hébergement ont été préparés. Pour les personnes qui pour une raison quelconque ne peuvent pas participer à pied aux divers lieux de rassemblements, il est important qu’ils aident l’encerclement avec leurs voitures dès huit heures, et pourront participer à une “manifestation motorisée”. Si des centaines de voitures roulent à des vitesses entre 10 et 20 km/h sur les avenues Kifissia, Mesogeion et Michalakopoulos et reviennent par des itinéraires alternatifs lorsque les agents de la circulation les détourneront, elles pourront créer un énorme problème pour l’accès des députés au Parlement. Nous insistons sur le fait que nous continuons comme nous l’avons fait depuis le 25 mai jusqu’à aujourd’hui, avec notre caractère massif et notre détermination comme principales armes de lutte. Nous demandons instamment à tout le monde de respecter et de conserver cette option.
Au Gouvernement et aux commissaires de la Troïka nous les prévenons : qu’ils ne pensent pas une seconde qu’ils vont réussir à briser notre mobilisation par la répression.
A ce qu’a dit T. Pangalos [vice-premier ministre] qu’il faut choisir entre “le paquet de mesures ou les tanks”, nous lui répondons que “la pomme tombe de l’arbre”, et qu’il se souvienne de son grand-père ! [Le grand-père du vice-premier ministre actuel a été le général responsable du coup d’Etat de 1925 et fut ensuite nommé premier ministre pendant la “dictature de Pangalos” de 1925-1926].
Nous ne partirons pas tant qu’ils ne partent pas, eux et leur “paquet de mesures” Les places sont à nous. La raison est de notre côté.
Nous exigeons l’évidence : LIBERTÉ - JUSTICE - DIGNITÉ
Ayons confiance en notre force. C’est ou nous, ou eux.
Nous sommes condamnés à vaincre. Le paquet des mesures ne passera pas!
Démocratie directe maintenant !
L’assemblée populaire de la place Syntagma, le 26 juin, 2011

vendredi 24 juin 2011

[Grèce : 28 et 29 juin : « Ou nous, ou eux ! »]


Résolution de l’Assemblée de la Place Syntagma (Athènes) du 22 juin
48 heures dans les rues !
Tout le pays à la Place Syntagma. Le Mémorandum ne passera pas !

Appel à toute la Grèce à rejoindre la Place Syntagma pour empêcher le programme d’austérité

Pendant un mois, nous avons inondé les places du pays en luttant pour prendre nos vies entre nos mains. À la fin du mois de juin, notre combat arrive à un tournant. Le gouvernement qui a zéro soutien social tente de faire passer le “Mémorandum” [Ensemble des mesures d’austérité en échange du versement d’un nouveau prêt]. Ce plan ne doit pas passer. Nous ne pouvons pas permettre le pillage de la richesse sociale, nous ne sommes pas prêts de tolérer la misère des plus nombreux pour garantir les profits de quelques-uns. Les manœuvres des médias, les remaniements bidons et les chantages du gouvernement, du FMI, et de l’UE, ne nous trompent pas. Maintenant, nous savons que le dilemme n’est pas entre le “Mémorandum” et la “faillite” parce que le “Mémorandum” mène avec une précision mathématique à la dévastation de la société.
Les syndicats ont appelé à une Grève Générale de 48 heures pendant les deux jours du processus de débats et de vote du Mémorandum au Parlement. Pendant ces deux jours, personne ne doit travailler, consommer ou soutenir la moindre tentative de briser la grève. Dans la matinée du premier jour de la grève, nous nous rassemblerons sur la Place de la Constitution (Syntagma), avec les assemblées populaires de toutes les régions du pays et de tous les quartiers d’Athènes.
Le jour du vote du Mémorandum, nous encerclerons le Parlement et nous enverrons le message qu’il est rejeté par le peuple !
Pendant un mois nous avons montré qu’il n’y a pas d’“impasse” et que nous avons le pouvoir de tracer une voie nouvelle pour la société. Il est maintenant temps de passer à la prochaine grande étape. Maintenant notre heure est venue, maintenant nous parlons !
Ou nous, ou eux - Démocratie directe maintenant !

L’assemblée populaire de la Place de la Constitution (Syntagma),
Athènes, 22 juin 2011

mercredi 22 juin 2011

[Le chaudron grec]

Le chaudron grec par Stathis Kouvélakis
 

[La Grèce] de nouveau à la une de l’actualité internationale : le fait n’a désormais plus rien d’inhabituel. Cette fois-ci il ne s’agit pas simplement de la dette ou des versements de la dite « aide » de l’Union européenne et du FMI, mais des réactions que ces réalités économiques suscitent parmi une population traumatisée par un an de « thérapie de choc » néolibérale.
Place Syntagma Athènes
Là encore, rien d’étonnant : la Grèce a une riche tradition de protestation sociale et d’insurrections. Résistance massive contre l’occupation nazie, luttes contre le féroce Etat policier qui a succédé à la guerre civile de 1944-1949, soulèvement des étudiants et des travailleurs contre le régime militaire en novembre 1973, autant de jalons qui façonnent la mémoire populaire. En décembre 2008, annonçant les mouvements en cours, la jeunesse d’Athènes et des centres urbains se révolte suite au meurtre d’un lycéen par la police, révélant l’étendue du malaise social avant même que n’éclate la crise de la dette.
Les événements de la semaine dernière, et plus particulièrement l’action de rue du 15 juin 2011, qui a fait vaciller le gouvernement, s’expliquent par la conjonction de deux phénomènes. D’une part, une mobilisation syndicale classique, culminant dans une journée de grève générale des secteurs du privé et du public à l’appel des confédérations syndicales bureaucratisées mais encore assez puissantes [1]. Certes, depuis le vote par le Parlement, le 6 mai 2010, du fameux « mémorandum » conclu entre le gouvernement grec, l’UE et le FMI, le pays n’a compté pas moins de 11 journées similaires, avec une participation souvent importante, mais des résultats à peu près nuls. Si cette dernière journée du 15 juin fut un succès impressionnant (de source syndicale, la participation aurait oscillé selon les secteurs de 80 à 100%), et les cortèges imposants, la raison est à chercher du côté d’un nouvel acteur, entré en scène le 25 mai dernier.
Ce jour-là, suite à un appel lancé sur facebook, s’inspirant des « indignés » d’Espagne, des dizaines de milliers de personnes affluent dans les principales places du pays et y restent jusqu’au petit matin. Une foule hétérogène, majoritairement constituée d’électeurs déçus des deux grands partis (conservateur et socialiste) qui alternent au pouvoir depuis plus de trois décennies, descend pour la première fois dans la rue pour clamer sa colère contre le gouvernement et le système politique.
Les mots d’ordre visent avant tout le « mémorandum » mentionné ci-dessus, la « troïka » (UE, BCE, FMI) et les mesures d’austérité qu’elle pilote et qui, en moins d’un an, ont réduit d’un quart les salaires et les retraites (traditionnellement les plus bas d’Europe occidentale après le Portugal), fait monter le taux de chômage officiel à 16,2% et conduit à la faillite hôpitaux, universités et services publics de base.
Peu remarqué jusqu’à récemment par les médias internationaux, alors qu’il est d’une ampleur et d’un enracinement social autrement plus significatifs que son « cousin » espagnol, ce « mouvement des places » comme il se nomme lui-même est assurément différent des formes antérieures de l’action collective.
De là sans doute certains malentendus : ce mouvement ne saurait tout d’abord en aucune façon être réduit à une protestation morale. Il est au contraire révélateur d’une profonde crise de légitimité non seulement du parti au pouvoir, mais du système politique et de l’Etat en tant que tels. Brandissant des drapeaux grecs, parfois accompagnés de drapeaux tunisiens, espagnols ou argentins, le « peuple des places » fait sécession et laisse éclater son ras-le-bol face à la révocation du « contrat social » fondamental entre l’Etat et les citoyens. Comme le proclame la banderole centrale qui barre depuis plusieurs semaines la place centrale d’Athènes, Syntagma, la « place de la Constitution » : « Nous ne sommes pas indignés, nous sommes déterminés ».
C’est en effet une exigence de démocratie réelle, combinée à la prise de conscience que celle-ci est incompatible avec des politiques de démolition sociale, qui constitue le moteur du mouvement en cours. Tous les soirs, sur les places de plusieurs dizaines de villes du pays se tiennent des assemblées populaires massivement suivies d’un type inédit d’activités : circulation de la parole, discussion des propositions préparées par les commissions de travail, décisions sur les modalités et les objectifs des futures actions.
L’espace urbain reconquis devient ainsi le lieu de la contestation et le symbole de cette réappropriation populaire de la politique. Malgré la mise à l’écart des affiliations partidaires, par crainte de manipulations et de divisions stériles, les militants des formations de la gauche radicale affluent rapidement. Les rassemblements du week-end, notamment ceux du 5 juin, rassemblent plusieurs centaines de milliers de manifestants dans tout le pays, dont près de 300.000 à Athènes. Une décantation politique s’opère : dans une ambiance qui rappelle celle des Forums Sociaux Européens de la grande époque, les assemblées appellent à la jonction avec les syndicats et à l’encerclement du parlement (à Athènes) et d’autres bâtiments publics (en province) dans la perspective du vote, prévu pour la fin du mois, du nouveau paquet d’austérité négocié avec l’UE. C’est exactement ce qui se passe lors de cette journée charnière du 15 juin, lorsque la rencontre des cortèges syndicaux et du « peuple des places » prend des allures insurrectionnelles et se heurte à la répression policière, notamment autour du parlement et de la place Syntagma.
Pendant de longues heures, la plus grande confusion s’installe au sommet de l’Etat. Dans une capitale en proie au chaos, le premier ministre Georges Papandréou négocie longuement avec l’opposition de droite la formation d’un gouvernement d’« union nationale » dont lui-même ne ferait pas partie. En fin de soirée, devant une opinion et des médias médusés, il annonce l’échec de ces tentatives et un simple remaniement ministériel [le ministre de la Défense prend la place du ministre de l’Economie].
Mais il est trop tard : ayant lui-même admis l’illégitimité de son pouvoir, affecté par de nouvelles défections de députés de son parti, Papandréou joue la montre, essentiellement préoccupé par le passage en force de l’accord conclu avec l’UE.
Un accord auquel une rue revigorée est plus que jamais déterminée à faire – physiquement – barrage. La crise sociale et économique s’est désormais doublée d’une crise politique généralisée, qui ne saurait être résolue par la convocation d’élections anticipées. Le chaudron grec en ébullition s’approcherait-il du moment de l’explosion ? Les semaines à venir seront décisives. Une chose est sûre : l’onde de choc qui est partie de ce pays ébranle d’ores et déjà en profondeur l’actuel édifice européen.
* Stathis Kouvélakis 
est l’auteur, entre autres, de La France en révolte
(Textuel, 2007). Il enseigne au King’s College (Londres).

Notes
[1] Elles regroupent environ un salarié sur quatre, soit près du triple de la France.

* Paru sur le site de A l’encontre.

[Pour comprendre la dette grecque...]

DEBTOCRACY


Debtocracy International Version par BitsnBytes

Constantin Lapavitsas : « Même si il était démontré que l’intégralité des 350 milliards d’Euros de la dette souveraine grecque étaient légitimes, ce qui ne sera pas le cas, la Grèce ne pourrait de toute façons pas l’honorer. Il faudra donc l’effacer. Si le poids de la dette impose le démantèlement des hôpitaux, de l’éducation, des routes, dans ce cas c’est le cout social qui deviendra insupportable. En substance, le gouvernement dit qu’il va se mettre en défaut de payement vis-à-vis des citoyens grecs. Je ne comprends pas comment un gouvernement socialiste, élu démocratiquement, peut décider de faire défaut à ses citoyens plutôt qu’aux institutions financières. Il n’y a pas d’autre choix, dans les décennies qui viennent, que de ne pas honorer la dette car elle est basée sur le néolibéralisme. Et le comportement néolibéral était un crime contre l’humanité. Personne n’a l’obligation de payer cette dette, parce que cette dette a été accumulée à travers un fonctionnement vicieux du marché. »

dimanche 19 juin 2011

[Un jeune homme brun]

Par Uri Avnery – 10 juin 2011

Le franchissement de la frontière par les réfugiés près de Majdal Shams a provoqué une certaine panique en Israël.

[MON HEROS] de l’année (pour le moment) est un jeune réfugié palestinien brun vivant en Syrie qui s’appelle Hassan Hijazi.
Il était l’un des centaines de réfugiés qui ont manifesté du côté syrien de la frontière du Golan, pour commémorer la Naqba – “catastrophe” – l’exode de plus de la moitié du peuple palestinien du territoire conquis par Israël dans la guerre de 1948. Des manifestants ont franchi la barrière, traversant un champ de mines. Heureusement, aucune mine n’a explosé, peut-être tout simplement étaient-elles trop vieilles.
Ils sont entrés dans le village druze de Majdal Shams, occupé par Israël depuis 1967, où ils se sont déployés. Les soldats israéliens ont tiré, tué et blessé plusieurs d’entre eux. Les autres furent attrapés et immédiatement refoulés vers la Syrie.
Tel Aviv vue depuis Jaffa - printemps 2010
Sauf Hassan. Celui-ci trouva un bus transportant des militants pacifistes israéliens et internationaux qui le prirent avec eux – peut-être se doutaient-ils d’où il venait, peut-être pas. Il n’avait bien sûr pas le type arabe.
Ils le déposèrent près de Tel-Aviv. Il poursuivit son voyage en auto-stop et finalement arriva à Jaffa, la ville où ses grands-parents avaient vécu.
Là, sans argent et sans connaître personne, il essaya de localiser la maison de sa famille. Il n’y arriva pas – l’endroit avait beaucoup trop changé.
Finalement, il parvint à contacter un correspondant de la télévision israélienne, qui l’aida à se rendre à la police. Il fut arrêté et refoulé en Syrie.
Vraiment un remarquable exploit.
[LE FRANCHISSEMENT] de la frontière par les réfugiés près de Majdal Shams a provoqué une certaine panique en Israël.
D’abord il y eut les récriminations habituelles. Pourquoi notre armée n’était-elle pas préparée pour un tel événement ? A qui la faute – au commandement de la zone nord ou au renseignement militaire ?
Derrière toute cette excitation il y avait le cauchemar qui hante les Israéliens depuis 1948 : que les 750.000 réfugiés et leurs descendants, quelque cinq millions de personnes aujourd’hui, se réveillent un jour et marchent sur les frontières d’Israël en provenance du nord, de l’Est et du sud, brisent les barrières et se déversent dans le pays. Ce cauchemar est l’image en miroir du rêve des réfugiés.
Durant les premières années d’Israël, ce fut un cauchemar éveillé. Au moment où Israël a été fondé, il y avait quelque 650.000 habitants juifs. Le retour des réfugiés aurait vraiment balayé le jeune État d’Israël. Plus tard, avec plus de 6 millions de citoyens juifs, cette peur a été refoulée à l’arrière plan – mais elle est toujours là. Des psychologues pourraient dire que cela représente les sentiments refoulés de culpabilité dans le subconscient national.
[CETTE SEMAINE], il y eut une répétition. Les Palestiniens tout autour d’Israël ont déclaré le 5 juin, Jour de la “Naksa”, pour commémorer le “revers” de 1967, quand Israël infligea une spectaculaire défaite aux armées d’Egypte, de Syrie et de Jordanie, renforcées par des éléments des armées irakienne et saoudienne.
Cette fois-ci, l’armée israélienne était prête. La clôture avait été renforcée et un fossé anti-char creusé devant elle. Quand les manifestant ont essayé de franchir la barrière – aux abords de Majdal Shams – ils furent visés par des tireurs d’élite. Quelque 22 personnes furent tuées, de nombreuses dizaines furent blessés. Les Palestiniens racontent que des gens essayant de porter secours aux blessés et de récupérer les morts furent aussi ciblés et tués.
Aucun doute, ce fut une tactique délibérée décidée à l’avance par le commandement militaire après le fiasco du jour de la Naqba, et approuvée par Benjamin Nétanyahou et Ehoud Barak. Comme il fut dit presque ouvertement, les Palestiniens devaient recevoir une leçon qu’ils ne devaient pas oublier, pour leur enlever de la tête toute idée d’action de masse non armée.
C’est l’effroyable rappel d’événements d’il y a dix ans. Après la Première intifada, au cours de laquelle de jeunes lanceurs de pierre et des enfants ont gagné une victoire morale ayant abouti aux accords d’Oslo, notre armée a conduit des exercices pour anticiper la seconde intifada. Celle-ci éclata après le désastre politique de Camp David, et l’armée était prête.
Naplouse - avril 2010
La nouvelle intifada démarra avec des manifestations de masse de Palestiniens non armés. Ils se sont trouvés face à des tireurs d’élite spécialement entraînés. A côté de chaque tireur se tenait un officier qui montrait du doigt les individus qui devaient être visés parce qu’ils ressemblaient à des meneurs. “Le type à la chemise rouge... Maintenant le garçon au pantalon bleu...”
Le soulèvement non armé s’effondra et fut remplacé par des attentats suicides, des bombes au bord de la route et autres actes “terroristes”. Avec eux notre armée était en terrain familier.
Je crains fort que nous soyons en train d’assister encore une fois à la même chose. De nouveau, des tireurs d’élite spécialement entraînés sont au travail, dirigés par des officiers.
Il y a pourtant une différence. En 2001 on nous disait que nos soldats tiraient en l’air. Aujourd’hui on nous dit qu’ils visent les jambes des Arabes. En 2001 les Palestiniens devaient sauter en l’air pour être tués, aujourd’hui, semble-t-il, ils doivent se baisser.
[TOUT CELA] n’est pas seulement meurtrier, mais aussi incroyablement stupide.
Depuis des décennies maintenant, pratiquement toute discussion sur la paix tourne autour des territoires occupés lors de la guerre de 1967. Le Président Mahmoud Abbas, le Président Barack Obama et le mouvement pacifiste israélien parlent tous des “frontières de 1967”. Quand mes amis et moi avons commencé (en 1949) à parler de la solution de deux-Etats, nous aussi, voulions parler de ces frontières. (Les “frontières de 1967” sont, en effet, simplement les lignes d’armistice acceptées après la guerre de 1948).
La plupart des gens, même dans le mouvement de paix israélien, ignoraient totalement le problème des réfugiés. Ils s’imaginaient qu’il avait disparu, ou voulaient le traiter après que la paix entre Israël et l’Autorité palestinienne sera obtenue. J’ai toujours alerté mes amis que ça ne pourrait pas marcher – cinq millions d’êtres humains ne peuvent pas simplement être laissés à la porte. Il ne sert à rien de faire la paix avec la moitié du peuple palestinien et d’ignorer l’autre moitié. Cela ne signifiera pas “la fin du conflit”, quoi qu’il soit établi dans un accord de paix.
Mais à travers des années de discussions, la plupart derrière des portes closes, on est parvenu à un consensus. Presque tous les dirigeants palestiniens ont accepté, soit explicitement, soit implicitement, la formule “une solution juste et acceptée du problème des réfugiés” de sorte que toute solution doit être soumise à l’approbation israélienne. J’ai souvent parlé de cela avec Yasser Arafat, Fayçal al-Husseini et d’autres.
En pratique, ceci signifie qu’un nombre symbolique de réfugiés seront autorisés à retourner en Israël (le nombre exact devant être fixé dans des négociations), les autres devant être réinstallés dans l’Etat de Palestine (qui doit être assez grand et viable pour que ceci soit possible) ou recevront une généreuse indemnité qui leur permettra une nouvelle vie là où ils sont ou ailleurs.
[POUR] rendre cette solution compliquée et pénible plus facile, chacun a été d’accord pour dire qu’il vaudrait mieux traiter la question vers la fin des négociations de paix, après qu’une confiance mutuelle et une atmosphère plus détendue auront été établies.
Et voilà que notre gouvernement arrive et essaie de résoudre le problème avec des tireurs d’élite – non pas comme un dernier recours, mais d’emblée. Au lieu de contrer les protestataires avec les méthodes non létales efficaces, il tue des gens. Ce qui, évidemment intensifiera les manifestations, mobilisera les masses de réfugiés et mettra carrément le “problème des réfugiés” sur la table, au centre de la table, avant même que les négociations aient commencé.
En d’autres termes : le conflit recule de 1967 à 1948. Pour Hassan Hijazi, le petit-fils d’un réfugié de Jaffa, c’est un résultat énorme.
Rien ne pourrait être plus stupide que cette ligne de conduite de Nétanyahou et Cie.
A moins que, bien sûr, ils soient en train de faire ceci consciemment afin de rendre toute négociation de paix impossible.

Article écrit en hébreu et en anglais le 10 juin 2011, publié le mardi 14 juin 2011 sur le site de Gush Shalom – Traduit de l’anglais “A Brown-Haired Young Man” pour l’AFPS : SW

mardi 31 mai 2011

Democracia real YA ! – [Le crédit, le temps, l’espace et la révolution]

Par Daniel Tanuro - 31 mai 2011

En visite au camp des indignéEs de la Place de Catalogne, à Barcelone, Eduardo Galeano a accordé un entretien au cours duquel il a dit notamment ceci : « La vie vaut d’être vécue (…). Il y a un autre monde possible dans le ventre de ce monde-ci. (…) Je ne sais pas ce qui va se passer. Et ça ne m’importe pas tellement de savoir ce qui va se passer. Ce qui m’importe c’est ce qui est en train de se passer. Ce qui m’importe, c’est le temps qui est, et ce temps qui est s’ouvre sur d’autres possibles qui seront, mais on ne sait pas ce qu’ils seront » [1].
Crise du crédit, crise du temps, crise de civilisation
Ces paroles du célèbre écrivain latino-américain incitent à creuser la signification du petit mot « ya » dans ce slogan du mouvement social en cours dans l’Etat espagnol : « Democracia real ya » (démocratie réelle maintenant). Lorsqu’on se livre à cet exercice, on arrive à la conclusion que ce « Ya », en fait, concentre tout le potentiel révolutionnaire de cette magnifique mobilisation : on veut que ça change maintenant, n’essayez pas de nous endormir avec vos promesses d’un avenir meilleur ; on commence à imposer ce changement maintenant, par la lutte ici ; cette lutte est dure mais source d’intelligence, de joie, de dignité ici et maintenant ; elle entrouvre la porte vers un autre monde possible maintenant du fait que oui, il existe déjà, en creux, à l’envers du monde actuel.
« Toute économie se résout en dernière analyse à une économie du temps » (Marx). L’importance du « Ya » renvoie en fait à la crise de la temporalité capitaliste et indique qu’il s’agit d’un aspect majeur de la très profonde crise de civilisation qui ronge cette société de l’intérieur. Système en constant déséquilibre, système pressé qui ne peut que courir de plus en plus vite en grossissant sans cesse, le capitalisme écrase constamment le présent sous le futur, repoussant devant lui problèmes et solutions. Les premiers grossissent, les secondes deviennent de plus en plus improbables ou inacceptables ? Le capitalisme n’en a cure : il continue de courir. Il ne peut tout simplement pas faire autrement, car chacun des capitaux qui le composent doit choisir : courir ou mourir.
Courir, c’est-à-dire investir, remplacer les travailleurEUSEs par des machines plus productives. Courir, c’est-à-dire vendre à tout prix, réaliser la plus-value sans tarder afin de la réinvestir. Courir, c’est-à-dire créer sans cesse de nouveaux besoins pour que la surconsommation (des riches) et le surendettement (des pauvres) absorbent la surproduction par les machines. Courir, c’est-à-dire fabriquer des marchandises à l’obsolescence accélérée, afin que la demande ne soit jamais apaisée. Courir, c’est-à-dire investir à crédit, vendre à crédit, acheter à crédit, vivre à crédit, aimer à crédit, mourir à crédit…
La dite crise financière a fait jaillir l’absurdité de cette fuite en avant permanente. Crise du crédit, c’est-à-dire du centre nerveux censé coordonner les activités des capitaux concurrents et égaliser le taux de profit, cette crise de la finance est en réalité celle du capitalisme mondialisé en tant que mode de production de l’existence sociale. C’est la crise du « demain on rase gratis » ; la crise du « achetez aujourd’hui et payez plus tard » ; la crise du théorème de Schmidt (« les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ») ; la crise de la croyance en un deus ex machina technologique qui surgira à temps pour empêcher une catastrophe écologique ;… et la crise des autruches politiques corrompues, si serviles face au capital et si arrogantes face aux peuples, à qui le portefeuille tient lieu de cerveau et le néolibéralisme de pensée.
Non à la relance destructrice, oui à l’alternative. Maintenant
Le capitalisme ne résout rien, il détruit tout. Côté planète, l’Agence Internationale de l’Energie vient de le révéler : les émissions de CO2 ont augmenté de 1,6 Gt en 2010. Cette hausse sans précédent confirme que le plafond de 2°C d’augmentation de la température par rapport à la période pré-industrielle ne peut plus être respecté. Faute de mesure très radicales prises maintenant, le cap est mis d’ici la fin du siècle sur une augmentation d’au moins 4°C de la température de la Terre [2], entraînant une série de catastrophes irréversibles à l’échelle humaine des temps… Côté société, il suffit de jeter un œil sur les statistiques du chômage, en particulier le chômage des jeunes, pour prendre la mesure du carnage : plus de 40% en Espagne, plus de 30% en Grèce et en Irlande, plus de 20% en France et en Allemagne. Privés du droit de se rendre utile à la société, des millions de jeunes diplôméEs, qualifiéEs, sont condamnés à survivre avec 500 ou 600 Euros par mois… au milieu d’un océan de capitaux inemployés.
De plus en plus de personnes comprennent que relancer ce système pourri en espérant que demain tout ira mieux ne ferait qu’augmenter les destructions de toutes sortes. Sur le plan écologique, cela signifierait encore plus de marchandises produites, donc d’énergie consommée, donc de gaz à effet de serre envoyés dans l’atmosphère – sans compter l’appropriation capitaliste des terres, des forêts, de l’air, ainsi que les technologies d’apprentis-sorciers (OGM, nucléaire, agrocarburants, gaz de schiste, « charbon propre »… on en passe). Sur plan social, la relance de la production ne satisferait pas les besoins sociaux les plus criants, vu que ceux-ci sont généralement non solvables. Le capitalisme ne produisant que pour le profit, sa relance nécessiterait donc d’accepter les plans d’austérité du FMI et des gouvernements, qui visent tout simplement à détruire ce qui reste de l’Etat providence : allongement de la carrière, diminution de salaire, coupes sombres dans la fonction publique et la sécurité sociale, flexibilité et précarité accrues,...
-camp de réfugiés à Ras Jedir - frontière Libye/Tunisie-
Une alternative est nécessaire. Pas demain, maintenant. Une alternative immédiate, fondée sur l’utilisation intelligente de « ce qu’il y a de subversif dans le réel », selon la formule de Bernard Friot [3]. Pour l’élaborer, pour en identifier les points d’appui existants, il faut penser ; pour penser il faut s’arrêter et se rassembler en un lieu déterminé. Reconquérir le temps et l’espace pour reconstruire du lien social : c’est ce que font les indignéEs dans l’Etat espagnol. Les manifestes qu’ils/ elles adoptent, au terme de longs débats démocratiques en assemblées populaires, montrent que la méthode est féconde. Comme celle de la place Tahrir en Egypte ou de la Casbah en Tunisie, cette mobilisation atypique confirme ainsi une grande leçon de l’histoire du mouvement ouvrier : la lutte collective permet à la conscience de faire d’énormes bonds en avant ; cela peut changer complètement le rapport de forces car, comme le disait Marx, « quand les idées s’emparent des masses, elles deviennent des forces matérielles ».
« Try to begin to change the world »
Quelles idées ? Il n’en manque pas ! Toutefois, dans le foisonnement créatif de demandes formulées par les IndignéEs de Madrid, de Barcelone et d’ailleurs, deux revendications nous semblent particulièrement importantes : la nationalisation de la finance et celle de l’énergie. D’une part, elles s’appuient sur le fait qu’il existe déjà un secteur public – c’est « le subversif dans le réel », l’ouverture vers un autre possible. D’autre part, si nous en soulignons l’importance, ce n’est pas par attachement dogmatique aux recettes sacrées du Programme de Transition, mais pour des raisons stratégiques, basées sur une analyse précise : ces deux secteurs sont les principaux responsables de la casse sociale et de la casse environnementale, ils sont liés entre eux par les énormes crédits nécessaires aux investissements de long terme en capital fixe (plateformes pétrolières, raffineries, centrales électriques,…), ils dominent l’économie ainsi que la politique, et bloquent toute solution écosocialiste… de sorte que leur couple infernal est en train de mener l’humanité droit dans le mur.
Ensemble avec la réduction radicale du temps de travail (sans perte de salaire et avec embauche compensatoire) et avec des réformes démocratiques dans le champ politique, ces deux revendications nous semblent devoir être mises au cœur d’un programme anticapitaliste. Elles lui confèreront beaucoup de force et de crédibilité, parce qu’elles répondent indiscutablement à des nécessités objectives vitales, incontournables (notamment la nécessité de prendre d’urgence des mesures drastiques pour éviter une élévation du niveau des océans d’un mètre ou plus d’ici la fin du siècle !).
On entend déjà les sceptiques et les blasés : vous prenez vos rêves pour des réalités, les gens sont trop individualistes, les rapports de forces sont trop dégradés, l’emprise des bureaucraties syndicales est forte, la conscience de classe est en chute libre, le projet socialiste est discrédité… Certes, tous ces facteurs incitent à tempérer quelque peu l’enthousiasme. Mais il s’agit avant tout de saluer la magnifique leçon d’audace, de courage, d’intelligence et de volontarisme (dans le bon sens du terme) donnée par les IndignéEs de la Puerta del Sol et de la Place de Catalogne !
« Try to begin to change the world », disait Ernest Mandel, s’appuyant sur la dernière des onze thèses de Marx sur Feuerbach (« Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il est temps de le changer »). Quelques milliers de jeunes ont commencé, et ils ont prouvé en pratique que notre vieille amie la taupe, la révolution, creuse sous la surface aride de ce capitalisme faussement triomphant.

TANURO Daniel
paru sur www.europe-solidaire.org


Notes
[2] Voir Fiona Harvey, The Guardian, disponible sur ESSF (artile 21758): Worst ever carbon emissions leave climate on the brink.
[3] « Retraites : l’enjeu majeur est de voir le subversif dans le réel », Bernard Friot, Carré Rouge N°44, nov. 2010.