par Alma Allende
Venezuela à la Kasbah
Tunis, le 25 février 2011
Tandis que nous écrivons ces lignes, vers 23 heures, l'hélicoptère militaire – « notre irritant ami vert », comme l'appelle Ainara – revient survoler le toit de notre maison. Il y a deux heures, une amie nous a appelés depuis le centre ville pour nous dire que la police était en train de tirer à balles réelles sur les manifestants dans l'Avenue Bourguiba; nous avons clairement entendu une rafale au travers de l'appareil. L'hôpital Charles Nicole nous a en effet confirmé, par téléphone, qu'il y a 15 blessés, dont quatre par balles (*). À Kasserine également la journée s'est terminée par de violents affrontements, des incendies et des blessés par balles. Dans la Kasbah occupée, par contre, en ce moment c'est le calme qui règne.
Ce fut une journée intense, émouvante, très froide et aveuglément ensoleillée. Dans le nouveau monde arabe insurgé, conscient de son unité, la Libye, l'Égypte, le Yémen, le Bahreïn, la Tunisie et l'Irak ont continué leurs batailles, avec des différences d'intensité et de résultats. Pendant ce temps, celui qui bombarde le Pakistan, alors même qu'il bombarde ce pays, parle de démocratie. Et les défenseurs des droits humains au Venezuela, pendant qu'ils défendent l'être humain au Venezuela, font l'éloge du tyran libyen.
— C'est le monde à l'envers – dit Rami, militant de gauche, très triste. Les criminels qui envahissent les pays se prononcent en faveur du peuple libyen et les exportateurs de médecins et de solidarité se prononcent en faveur de son bourreau.
C'est une phrase qui démontre une certaine ingénuité, mais c'est avec cette ingénuité que l'Amérique latine qui invoque le « Libertador » (Simon Bolivar, héros de la lutte d'indépendance, NdT) aurait pu faire de grandes choses dans le monde arabe. Ici, à la Kasbah, les choses sont très claires et tout le monde doit le savoir. Elles sont nombreuses, très nombreuses, les pancartes qui proclament le rejet de quelque forme que ce soit d'ingérence extérieure: « Non à un gouvernement soumis à l'étranger »; « Non à l'intervention française et états-unienne »; « Non à la liberté et à la démocratie d'importation »; « Tunisie libre de tout complot extérieur ».
Mais elles sont également très claires les références dans la Kasbah à cette impulsion qui, au delà des différences sociales, tissent une nouvelle conscience panarabe et anticoloniale autour de l'idée de démocratie. De nombreuses pancartes montrent un montage photographique où se succèdent les portraits de Ben Ali, Moubarak et Kadhafi rayés par des croix et suivis d'un espace vide avec un point d'interrogation: « Qui sera le suivant? ».
Quiconque en ce moment ose soutenir n'importe quel dictateur de la région, que ce soit depuis l'Europe, les États-Unis ou l'Amérique latine, obtiendra la réprobation la plus absolue et définitive de tous les arabes, de la Mauritanie au Golfe Persique. Telle est l'impulsion très « vénézuélienne » qui a réveillé ces gens et dont il faut tenir compte, comme facteur global, placé au dessus de n'importe quelle analyse nationale. De fait, un jeune, qui n'est pas encore au courant, passe en portant un t-shirt à l'effigie d’Hugo Chávez avec le slogan: « Révolution et démocratie ».
Au Venezuela, 9 années ont passé entre les morts du « Caracazo » (le soulèvement populaire à Caracas en 1989 contre la vie chère, NdT) et la révolution démocratique qui a rendu leur dignité aux Vénézuéliens. Espérons qu'ici ce sera moins, mais nous sommes parfois surpris par la ressemblance. Dans la Kasbah, toutes les revendications se réduisent pratiquement à une seule, qui inclut toutes les autres: « Assemblée constituante ».
Aujourd'hui, pas moins de 100.000 personnes l'ont exigée, serrées entre le Ministère des finances et le siège du Premier ministre, déployées comme de la mousse sur toute l'esplanade, jusqu'aux escaliers du Palais municipal. Jamais, lors de la première occupation de la Kasbah, il n'y eu autant de monde: seul le 14 janvier avait peut-être rassemblé une telle multitude. Il y a des personnes de tous les âges, de toutes les conditions, des femmes voilées, des femmes aux cheveux libres, des étudiantes, des intellectuels, des barbus, des villageois, des enfants. C'est surprenant, une fois de plus, la manière dont ils se sont approprié des concepts très compliqués et le raffinement avec lequel ils les abordent dans leurs conversations. J'écoute, par exemple, une discussion entre une jeune femme grande et un peu pédante, un jeune étudiant, un juriste et une petite femme voilée, très vivace, à la voix rauque à force de crier.
La pédante défend un point de vue qui prévaut de manière relativement générale au sein des partis du gouvernement provisoire et d'un secteur du syndicat UGTT: l'idée selon laquelle il n'y a pas assez de conscience politique parmi le peuple que pour l'exposer au danger d'une assemblée constituante.
— Nous courrons le risque de nous retrouver avec une majorité réactionnaire et une constitution pire que celle d'aujourd'hui.
La femme voilée vivace s'exalte, proteste, dit qu'il existe beaucoup plus de conscience qu'on ne le croit et que, de plus, elle s'acquiert en marchant, dans la lutte quotidienne.
Le jeune étudiant n'apprécie visiblement pas cette femme un peu criarde, mais il n'a pas d'autre choix que de lui donner raison. Il dit que cette hiérarchie dans les niveaux de conscience n'a traditionnellement servi que pour que, de la même manière que dans l'échelle sociale il y a les capitalistes et les basses classes, dans les systèmes politiques il y a des dirigeants établis et des pauvres diables ignorants qu'il faut orienter et diriger.
— Il y a un déficit de conscience qui rend inviable la révolution – insiste la pédante.
L'étudiant se tourne alors vers la personne qui est la plus proche de lui et lui demande:
— Savez-vous ce qu'est une assemblée constituante?
— L'acte fondateur d'une nouvelle légitimité – répond l'inconnu. Une réunion de personnes élues par le peuple et chargée de rédiger une nouvelle constitution.
— Tu vois? – réplique le jeune à la pédante. Il y a conscience ou pas?
À la suite intervient le juriste pour expliquer la différence entre un régime présidentiel et un régime parlementaire. De nombreuses voix citent des exemples particulièrement abominables du premier, comme la France ou les États-Unis et discutent ensuite sur les priorités, processus de réforme et la nouvelle loi électorale. Je les laisse tandis qu'ils invectivent tous – y compris la femme voilée vivace – un homme grand et aux tempes grises, très sérieux, qui insiste sur le fait que la seule forme politique spécifiquement arabe fut le « califat ».
La place redevient l'une des plus belles places du monde. Il est bon qu'il y ait des écrans, mais il est bon également qu'il y ait des murs sur lesquels laisser une trace. Combien de temps cela durera-t-il cette fois-ci? Ils ne peuvent pas rester ici éternellement et on ne peut pas les expulser. Ils ne peuvent pas partir et ne peuvent pas gagner. Ils sont nombreux, ils seront plus nombreux encore, mais ils se heurtent à la limite de leur propre spontanéité, qu'ils défendent contre n'importe quelle intromission institutionnelle.
De son côté, la direction de l'UGTT, l'unique force qui pourrait faire pencher la balance, ne veut rien savoir de la protestation dans la Kasbah et opte pour la consolidation des acquis, accepter le gouvernement de transition et travailler à long terme. Ils invoquent pour cela le réalisme. Mais ce sont eux qui tracent les limites de ce réalisme alors qu'ils ont le pouvoir d'en déterminer les contours.
Demain est organisée une manifestation devant le siège central du syndicat afin d'exiger la démission de son secrétaire général. On parle déjà d'un Congrès extraordinaire afin d'élire une nouvelle direction. Le véritable réalisme c'est de s'ajuster à la réalité, mais la réalité elle-même peut être changée.
C'est sans doute cela qu'indiquent les tirs de la police et ce qu'ils veulent éviter. La tension revient.
« L'excès de peur tue la peur », déclarait aujourd'hui une pancarte à la Kasbah. La lutte continue un jour de plus.
* Ce samedi matin, on confirme une victime mortelle: Mohamed Al-Hannashi, 17 ans.
Tirs autour de la Kasbah. L'asile et l'intempérie
Tunis, le 26 février 2011
Les espaces comptent; ils se redéfinissent et se chargent de sens en opposition, dans un cadre changeant de tensions et de conflits. D'une certaine manière, la situation s'est inversée. Lors de la première occupation, la Kasbah était un lieu sauvage rempli de barbares d'Ibn Khaldoun et de villageois lumineux, exposés à l'extérieur, vulnérables, confus, tandis que l'avenue Bourguiba réunissait ceux qui avaient tout gagné et qui se sentaient sûrs d'eux dans les conversations de café. Les 100.000 personnes qui se sont rassemblées samedi ont sanctifié la Kasbah, l'ont transformée en une enceinte sacrée, comme les églises médiévales, asiles des rebelles et des persécutés qu'aucune violence ne peut profaner.
Là-bas, maintenant, tout est ordre, discipline, calme organisé. Mais autour de ce foyer quasi religieux, tout est incertain; les gens vont et viennent, c'est vrai, mais en changeant de statut en croisant les frontières. Dans la Kasbah, on est sain et sauf; dans l'Avenue Bourguiba, on se précipite dans la pénombre, une ébullition sans loi où la police, les milices, les provocateurs, les manifestants se battent dans une confusion mortelle. Sans qu'elle la touche, la violence a frôlé la Kasbah, toujours à ses portes, de haut en bas, pendant toute la journée. Tirs d'armes à feu sur la Bourguiba, à Bab Yidid, sur l'avenue de Paris, des tirs incessants qui ont tué au moins deux jeunes, des tirs qui semblaient vouloir toujours nous atteindre et qui – et c'est sans doute l'objectif – allument une braise d'obscurité dans le cœur des mobilisations.
Nous avons eu la sensation aujourd'hui de revenir aux premiers jours, après le 14 janvier. L'hélicoptère survole sans cesse nos têtes, des rumeurs sur un nouveau couvre-feu et les magasins qui ferment précipitamment leurs persiennes métalliques. Pourquoi tire-t-on? Pourquoi tue-t-on? Qui donne les ordres? Est-ce les milices réfugiées en Libye qui reviennent pour imiter Kadhafi? Est-ce seulement un signe que le gouvernement a accepté la Kasbah comme interlocuteur et veut étroitement définir les limites des négociations? Une réponse mécanique à l'augmentation des pressions populaires? La stratégie d'une armée qui, pour la première fois dans l'histoire de la Tunisie, aspire à jouer un rôle politique en s'appuyant sur le prestige qu'elle a gagné lors des journées de janvier?
C'est en tout les cas une journée d'acier pur: le plus froid de l'année, gris, effilé, avec des pluies torrentielles. Et cependant, Reda Redawi, l'avocat de Gafsa, est plus optimiste que jamais. Nous le retrouvons à la Kasbah vers 16 heures de l'après midi, tandis que la place garde le silence, ouvrant le pas au cortège funèbre du jeune de 17 ans, voisin du quartier, assassiné hier par une balle dans le cou. Il y a beaucoup de monde; beaucoup d'émotion et de douleur irritée. Mais aussi disciplinée. Reda nous confirme les déclarations de Sihem Ben Sedrine, porte-parole du Conseil national pour les Libertés et rédacteur en chef de Radio Kalima, données au journal « La Presse »: le gouvernement Ghannouchi va accepter la convocation d'une assemblée constituante. Au centre d'un groupe auquel s'assemble sans cesse plus de personnes – la Kasbah est un agora et une académie ces derniers jours –, Redawi explique l'imbroglio juridique dans lequel se trouve le pays:
— La légitimité révolutionnaire n'a pas d'institution et les institutions n'ont pas de légitimité, y compris par rapport à leurs propres lois. Selon la Constitution, le 15 mars prochain Fouad Mebaza, président intérimaire, achève son mandat sans avoir accompli l'engagement d'organiser des élections présidentielles. Le vide de pouvoir est un fait. La solution, que le gouvernement est sur le point d'accepter, c'est de préparer des élections pour une assemblée constituante et de négocier une loi électorale avec le Conseil de Défense de la Révolution qui doit se former dans les prochains jours et qui sera composé par les représentants des partis et des organisations de la société civile.
À 17 heures, après le passage du corps de Mohamed Al Hanachi au milieu de la foule, nous décidons de prendre un thé à deux pas de la Kasbah, dans la rue Sidi Ben Arus. Pendant que nous parlons avec Redawi, des nouvelles lui arrivent selon lesquelles les milices et la police attaquent la Kasbah. Et maintenant, alors que nous cherchons un recoin pour nous protéger du froid, nous entendons les premiers tirs. Et tout de suite d'autres rafales, chaque fois plus proches, depuis la Bourguiba et Bab Yidid. Nous sursautons, mais nous continuons à siroter le thé chaud. Soudain, depuis la rue Zeitoun, nous voyons se précipiter un groupe de jeunes qui portent un corps inanimé; il est complètement dégingandé sur la civière improvisée de bras, bien qu'aucune blessure sanglante ne soit visible. Tandis que nous les suivons vers la Kasbah, on nous dit qu'il s'agit d'une asphyxie consécutive aux gaz et on nous parle d'étranges projectiles qui s'ouvrent dans l'air en multiples nuées vénéneuses. Sur la place, les membres de l'équipe médicale reçoivent le corps dans la fourgonnette de la protection civile, où nous voyons comment, après l'avoir examiné, ils le couvrent d'un drap.
Un des membres du poste sanitaire nous avertit, alarmé:
— Partez immédiatement d'ici.
Nous parcourons la ville en voiture jusqu'au Passage, en essayant de nous rapprocher de l'avenue Bourguiba. C'est impossible. Il y a une atmosphère très tendue. Les magasins sont fermés et des groupes de jeunes marchent à toute allure dans la direction opposée à la nôtre. Au loin, sur l'avenue de Paris, nous voyons s'élever des nuages de gaz et à nouveau le son de rafales nourries parvient à nos oreilles. Quelques minutes plus tard, nous devons faire demi-tour et chercher refuge dans la voiture.
Qu'es-ce qui se passe? Nous faisons quelques appels téléphoniques et on nous informe confusément qu'il y a deux, trois et jusqu'à cinq morts. Des images enregistrées avec un téléphone portable nous confirment au moins deux victimes mortelles. La police – ou qui que ce soit – est en train de tirer pour tuer sur l'avenue Bourguiba, qui, à partir de demain, sera fermée – couvre-feu local – au trafic et aux piétons. De Kasserine et de Gafsa nous parviennent également des nouvelles sur des manifestations, des affrontements et des tirs.
Dans la Kasbah, cependant, tout est toujours tranquille. Elle s'est soudain transformée en un lieu légitime, sanctifié, sacré. C'est un lieu hautement politique. Là, c'est la révolution; dans le reste de la ville nous sommes toujours dans le vieux Tunis.
Ghannouchi tombe, la Kasbah reste debout
Tunis, le 27 février 2011
Ghannouchi avec Parisot à l'université d'été du Medef |
La pression populaire a obtenu une nouvelle victoire en Tunisie: à 15h30 de l'après-midi, Mohamed Ghannouchi, premier ministre de Ben Ali pendant quinze ans, premier ministre du gouvernement provisoire depuis le 15 janvier, a annoncé sa démission à la télévision d'État. La « sanctification » de la Kasbah, ensemble avec la tension qui frappait les rues, anticipait depuis vendredi déjà un changement que l'UGTT a immédiatement rejeté: le nouveau premier ministre, Beji Caïd Essebsi, 85 ans, avocat et ancien ministre de Bourguiba, a été nommé – selon la direction du syndicat – de manière précipitée, sans consultation préalable et pour cela il doit démissionner, ainsi que tout le gouvernement, pour laisser place à une assemblée constituante.
C'est le très contesté Abdelssalem Jrad, secrétaire général de l'UGTT qui parle, mais c'est la Kasbah qui commande. Les six morts de ces derniers jours, les assauts des milices, la fermeture de l'avenue Bourguiba, ont été la réponse à l'augmentation de la pression populaire; et sa victoire partielle, à son tour, a donné lieu à de nouvelles tentatives de déstabilisation. Vendredi, ils ont tué Mohamed Al Hanashi; hier Aymen Laakidi, Chahid el Mabrouk et Anis Jellafi; aujourd'hui Hamdi el Bahri et Abdelbasset el Ghéchaoui. Il y a des dizaines de blessés et également des prisonniers dont on ne sait plus rien. L'un d'eux, Haythez Hamzaoui, 17 ans, est désespérément recherché par son père. Venant de Keliba, c'est lui-même – nous dit-il – qui l'a encouragé à rejoindre les protestations dans la capitale et il a été arrêté avec d'autres jeunes tandis qu'il marchait dans la rue. Vendredi soir, sa présence était confirmée dans un commissariat, mais le lendemain matin, quand le père s'y présenta pour le chercher, il n'était plus là et personne n'a su ou n'a voulu lui dire où il avait été transféré.
En route vers la Kasbah, nous devons abandonner l'avenue de la Liberté parce que depuis Le Passage s'élèvent à nouveau des nuages de gaz au-dessus des lumières rouges des voitures de la police. On nous racontera ensuite que des civils armés ont semé la terreur à Lafayette. On nous montre également des projectiles monstrueux que les forces de l'ordre utilisent pour disperser les manifestants: made in USA, en 1984… Ils contiennent du chlorobenzilidène malonotrile, une substance lacrymogène qui, en grande quantité, peut provoquer un œdème pulmonaire, une pneumonie chimique et une crise cardiaque.
Lorsque nous atteignons la Kasbah, vers 16h30, une heure après l'annonce de la démission de Ghannouchi, nous sommes reçus par un mouvement fébrile de la foule; certains fuient dans la direction opposés à la nôtre; un dense attroupement se déplace rapidement vers le Ministère de la Défense, surveillé par des soldats. Il y a des gens qui courent, des remous, des bousculades. Pendant un moment, cela nous rappelle le 28 janvier, la violente évacuation de la première Kasbah. Mais ce n'est pas cela. On a surpris trois provocateurs armés, l'un d'entre eux a été maîtrisé et remis à l'armée. Il s'agit, semble-t-il, d'un membre de la police politique qui a été reconnu par un ancien détenu. Tout au long de l'après-midi, le service d'ordre auto-organisé démontrera son efficacité en désactivant les provocations et en arrêtant des provocateurs.
L'accès à l'enceinte boisée elle-même, entre le Ministère des Finances et le siège du Premier Ministre, est parfaitement contrôlé par des jeunes qui fouillent ceux qui veulent entrer. Ils avertissent régulièrement par haut-parleur du danger de sortir par les petites rues de la Médina, en direction de l'avenue Bourguiba, où des éléments armés sèment la terreur.
Mais la Kasbah, elle, est puissante et calme; plus belle que jamais, propre et bouillante, colonisée par les tentes irrégulières, les matelas, les drapeaux, les pancartes bruyantes. Elle n'est pas contente; elle continue à lutter. Elle continue à exiger la démission du gouvernement, la dissolution du parlement et l'élection d'une assemblée constituante; « Ghannouchi est parti, mais le gouvernement de la honte est toujours là ». Lorsque nous arrivons, après les premiers instants de tension, une chaîne humaine descend par l'esplanade du Palais Municipal, étendant son étreinte pour déclarer symboliquement sa volonté de fermer et de protéger la place. L'organisation s'est raffinée chaque jour. Dans la « jaima » où est installé le Comité d'information, également récepteur et distributeur de tabac et d'aliments, une pancarte déclare: « Les dons en argent sont interdits ». Les mégaphones diffusent les consignes de lutte, mais aussi les appels à la discipline et à la propreté. Une caméra transmet en temps réel les images de l'enceinte à travers Internet. Il faut désormais compter avec elle, avec la Kasbah: c'est l'agora, l'académie et maintenant aussi – avec une conscience énorme de son pouvoir – un centre de gouvernement. C'est, dans le meilleur sens du terme, une institution.
Des jours difficiles viendront encore, mais aujourd'hui – et ce n'est pas un slogan sur un mur – il y a bel et bien un Ministère du peuple. Et il a beaucoup de travail devant lui.
Alma Allende
Traduction française: Ataulfo Riera pour le site www.lcr-lagauche.be
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