mercredi 9 février 2011

[Tunisie : un processus révolutionnaire ?]


Par Chawqui Lotfi - mardi 8 février 2011

[La Tunisie n’a connu de « miracle économique » que pour la maffia régnante,] la grande bourgeoisie et les multinationales. Comme de nombreux pays voisins, l’intégration à la mondialisation capitaliste a aboutit à une concentration sans précédent des richesses, une croissance économique peu productrice d’emploi, un développement inégal des territoires et une dégradation générale des conditions de vie et de travail. Comme dans le reste des pays du Maghreb et du monde arabe, la libéralisation, a aboutit à une dérégulation et une hausse des prix des denrées de base. Derrière les chiffres de la croissance se profilait en réalité, un appauvrissement de secteurs de la population y compris des classes moyennes. Mais dans ce mouvement général, le clan Ben Ali/Trabelsi s’est érigé comme une fraction monopoliste, accaparant d’une manière frauduleuse les entreprises rentables dans tous les secteurs de l’économie, en alliance ou non, avec le capital étranger et local. La concentration du pouvoir économique et politique a atteint des niveaux tels que même des secteurs de l’impérialisme ont exprimé leur hostilité par rapport aux pratiques « maffieuses ». C’est y compris des secteurs du patronat qui voyaient leurs intérêts menacés. Le revers de ce processus est que les classes populaires, à la différence des années post indépendance ne voyaient aucune possibilité de promotion sociale, d’amélioration même partielle de leurs conditions de vie et que la jeunesse majoritaire dans ce pays, relativement plus qualifiée et diplômée, était condamnée à un chômage de masse et une précarité structurelle. Le pacte clientéliste et de « paternalisme social » mis en œuvre sous l’ère de Bourguiba, s’est largement effrité. La dictature s’est elle même aveuglée en pensant qu’un Etat policier suffit par l’usage ou la menace de l’usage de la force, à maintenir un consentement du coté des opprimés. C’est à la veille du soulèvement, une société précarisée ou s’expose d’un coté l’arrogance des riches et de l’autre des formes diverses de d’exaspération sociale qui se présente derrière le miracle tunisien.
L’autre élément tient à l’épuisement de la légitimité de la dictature, bien avant le soulèvement. L’étouffement radical des libertés et des droits démocratiques s’appuyant sur un Etat policier qui imposait un contrôle social généralisé a produit deux effets majeurs. L’absence de contre pouvoirs, médiations politiques, associatifs et dans une certaine mesure, syndicaux qui aurait pu canaliser même partiellement, les aspirations sociales et démocratiques. Entre la dictature et la population, il n’y avait que la figure du leader autocratique et un appareil répressif dévoué. Le haut degré de corruption, l’extension des pratiques de racket à tous les échelons de l’administration, la généralisation de l’arbitraire des corps répressifs et des symboles de l’autorité qui ne se contentaient pas d’instaurer un climat de peur, mais exigeaient une obéissance caricaturale, aussi bien individuelle que collective, témoignaient du fait que la façade démocratique n’était qu’une vitrine destinée à l’extérieur. Elle n’a pu, à aucun moment, laisser entrevoir, même timidement, la possibilité d’une évolution institutionnelle ou d’une auto reforme du régime.
Bien avant le soulèvement actuel, des signes avant coureurs, pointait un changement du climat social et politique. Les luttes à Gafsa et ben Gardanne qui se sont prolongées durant des mois ont mis en avant le peuple d’en bas et donné lieu à des confrontations de masses qui ont, par certains aspects, déstabilisé la dictature et fait la démonstration qu’il était possible de lutter et de résister malgré elle. Malgré la forte répression, l’appareil sécuritaire a été dans l’incapacité d’anticiper le mécontentement, ni de mesurer sa profondeur, ni même réellement de l’arrêter. Extrêmement efficace quand il s’agit de traquer les opposants organisés, les militants de droits de l’homme, les cybers dissidents, il s’est trouvé partiellement en difficulté face à une colère sociale qui a un soutien populaire. Ces luttes, malgré la censure imposée, ont frayé leur chemin dans la conscience collective. Il est légitime et possible de résister, de surmonter la peur et de faire face.
C’est à la fois l’épuisement de la dictature et les conséquences des politiques d’adaptation au libéralisme qui sont le creuset du soulèvement. Le mot d’ordre récurrent des manifestations « de travail, liberté, dignité » illustre à lui seul l’expression des aspirations. Mais cela n’explique pas les formes particulières, ni la dynamique actuelle du processus engagé.
La contestation à proprement dite traduit le rejet de la misère, de l’incapacité à vivre et la négation de la dignité. Mais ce qui est important est le mouvement même du soulèvement. Parti des régions marginalisées, il a connu une extension relativement rapide vers les grandes villes et notamment de leurs quartiers périphériques. La mondialisation capitaliste a redéfinit l’espace de la lutte en cristallisant les maillons faibles du système dans des territoires qui sont exclus de la modernité capitaliste ou plutôt constituant le revers de celle ci, là où la logique concrète de prédation et de profit détruit les conditions sociales de la reproduction de la force de travail, vide les services publics de toute mission publique, fait des administrations un lieu de corruption et d’arbitraire, relègue les droits les plus élémentaires au néant et impose pour la grande majorité une logique de survie. La connexion avec les quartiers populaires traduit cette identité de situation où se concentre d’une manière plus explosive, plus resserré les contradictions sociales. La révolution tunisienne n’est pas le fait des cyber dissidents ou des élites oppositionnelles appartenant aux classes moyennes mais des couches les plus pauvres et les plus opprimés du peuple et notamment des secteurs sociaux liés à l’économie informelle de survie. La base sociale immédiate, celle qui a pu déclencher la lutte et ouvert la porte à un embrasement général de différentes forces/ couches sociales, est dans ce qu’on pourrait qualifier de « prolétariat informel ».
Dans ce processus où le ras le bol est généralisé, les forces motrices qui ont donné une dynamique globale de la lutte, ont permis son extension et sa consolidation, sont portées par la jeunesse scolarisée ou « enchomagée », des corporations spécifiques confrontées aux rouages de la dictature (avocat, juges), des secteurs populaires et des travailleurs, non pas sur la base d’une identité de classe achevé mais comme peuple-citoyen (ce n’est pas un hasard que les manifestations étaient émaillées de drapeau tunisien et l’hymne national servent d’expression commune), à des secteurs de la classe moyenne, y compris supérieure. C’est ce large front social qui a tenu tête et isolé le régime provoquant sa défaite et la fuite du dictateur. Mais sans l’entrée en lutte des nouvelles générations liés au prolétariat informel qui sont aussi des secteurs non organisés par les forces politiques et syndicales traditionnelles, même si des militants ont pu jouer un rôle d’animation, le processus révolutionnaire n’aurait pas pris (ni gardé) cette profondeur et détermination.

Processus révolutionnaire

En Tunisie, le processus a connu plusieurs phases qui traduisent sa dynamique interne et l’évolution de la situation générale.
Le premier moment a été la constitution de fait, dans la rue, d’un front social, interclassiste où apparaissait une unité sociale et politique du peuple autour de la contestation du régime policier et du départ du dictateur. Ce processus a trouvé sa force dans le soulèvement spontané de larges couches de la population et dans la capacité de forces plus organisées et en premier lieu le mouvement syndical à soutenir, malgré des contradictions, la contestation populaire et de l’amplifier. S’il est incontestable que ce soulèvement manifeste une spontanéité radicale, se développe sans direction(s) politique(s) organique(s), il est tout aussi incontestable que l’ action des courants organisés, sous leurs diverses formes, avec un rôle particulier pour le mouvement syndical, a permis l’extension et la consolidation du mouvement. Mais il s’agit de processus partiellement autonomes se renforçant mutuellement. L’appel à la grève générale du 14 janvier a permis de souder les différentes forces sociales et de catalyser un rapport de force social et politique qui dévoilait la faiblesse du régime et a permis la radicalisation de l’exigence démocratique.
Une deuxième phase s’est ouverte, avec la constitution du gouvernement provisoire de Ghanouchi . Ce gouvernement qui a le soutien des puissances impérialistes vise à maintenir une continuité institutionnelle et à préserver l’appareil de la dictature…sans le dictateur. Son « ouverture », sur l’opposition légale largement inféodé pour une grande part et à des personnalités dites indépendantes, ses promesses de transition démocratique ne visent qu’à gagner du temps, rétablir l’ordre et mettre fin à toute contestation. Il s’agit de canaliser le soulèvement dans un cadre institutionnel et électoral qui renouvelle la façade démocratique en le nettoyant des aspects et des personnages les plus contestés de la dictature. Reste que quelles que soit les annonces et elles sont nombreuses, ce gouvernement n’a pas de légitimité ni d’appui dans l’opinion. Trop peu et trop tard. Si l’action des milices de ben Ali a entraîné un mouvement large de constitution de comités populaires de défense civique et donner une légitimité politique à l’exigence de la dissolution de l’appareil de la dictature, le soutien et l’appel implicite et parfois explicite de l’armée à la constitution de ces comités tend à accréditer la nécessité de l’ordre et à réduire les taches de ces comités à une simple fonction de « police » et « d’alerte ». Il est prématuré et excessif de voir dans ces comités les vecteurs d’une auto organisation de masse ou la base d’un contre/double pouvoir naissant même si existent des exemples ou des tentatives, d’élargissement de leurs prérogatives. Mais c’est essentiellement le cas dans des villes/régions de l’intérieur où la destitution de fait des représentants de l’ordre a créer un vide politique et administratif rempli par des comités de défense de la révolution (wilaya de siliana, , sidi bou ali, Kasserine…). Et ce n’est pas un hasard, c’est là où le mouvement de masse a ses racines populaires et révolutionnaires et où la déstabilisation de la dictature a fait sauté ses maillons faibles. Mais c’est un processus différent de la première vague de constitution des comités et qui ne touche pas les centres stratégiques du pouvoir.
On note ainsi une baisse relative, fluctuante, du caractère de masse des manifestations par rapport à la première phase du processus , mais avec le maintien d’une forte radicalité, sans qu’il soit possible de considérer cette baisse comme le signe certain d’un reflux ou d’une réserve/ expectative de secteurs populaires, devant la difficulté bien réelle de définir des objectifs politique de mobilisation qui poserait cette fois la question de la conquête du pouvoir et d’une rupture démocratique radicale. On ne peut non plus balayer d’un revers de main, le poids de toute une propagande menée bien au delà du pouvoir sur les risques du chaos, de la fuite des investisseurs étrangers, des risques de crise, de vide politique etc…ni, celui très réel, des problèmes concrets du quotidien qui n’ont pas disparu avec la chute de Ben ali. Reste qu’en même temps, la politisation réelle de la société tunisienne est loin de s’éteindre, mais ce qui se met en œuvre est bien un processus de différenciation sociale et politique sur la dynamique à donner au processus.
Ainsi une partie des forces libérales, social libérales, réformistes ont fait le choix politique d’accompagner de l’intérieur ou de l’extérieur les tentatives de replâtrage du régime, même si certaines d’entre elles, ont du suspendre ou retirer leurs participation, sous la pression populaire, de peur d’être à leur tour complètement discréditées. D’une manière plus indépendante, les alliances autour de l’appel du 14 janvier ont permis de dépasser l’état de fragmentation des courants démocratiques oppositionnels et de la gauche radicale, de courants nationalistes même si certains de ces courants le font par défaut, et de poser les objectifs de la lutte politique qui permettraient d’avancer vers une rupture démocratique. L’exigence de la démission du gouvernement, de la dissolution du RCD imbriqué organiquement aux institutions de l’état à tous les niveaux et du démantèlement des institutions répressives, l’exigence d’une assemblée constituante, sont autant de points d’appui pour relancer le mouvement de masse. La décision de l’UGTT ou de certains de ses secteurs de continuer la lutte autour d’objectifs partiels mais convergents s’est avérée essentielle durant cette phase. Il ya bien une logique antagoniste qui se développe entre les tenants de l’approfondissement du processus et ceux qui cherchent à la stabiliser.
Une troisième phase s’est ensuite ouverte : La caravane de solidarité n’est pas seulement une forme d’action populaire de plus dans un mouvement foisonnant. En bravant l’état de siège et s’installant devant les centres du pouvoir, elle marque la détermination de la révolution. Elle s’appuie sur la fraction la plus mobilisée du pays. « L’une des caractéristiques singulières de la révolution tunisienne est qu’elle ne s’est pas imposée à partir de la capitale à l’ensemble du pays, mais au contraire, qu’elle a commencé en dehors de la ville, dans le centre-ouest, dans les zones les plus reculées et abandonnées, pour atteindre seulement à la fin le noyau économique et administratif de la capitale ». Nous pourrions rajouter que cette singularité s’est emparée de la capitale pour porter le refus de la confiscation de la révolution. Mais elle témoigne aussi d’une des principales faiblesses du processus actuel : la caravane de la solidarité a certes un appui et existe un réel mouvement de sympathie, mais il s’agit au moins dans la capitale d’une forme de délégation à la poursuite de la lutte. Il n’y a pas d’extension dans la capitale même, de la lutte, sous des formes actives qui permettrait au-delà de la place de la casbah et des lieux du pouvoir, de dresser un « front de la rue ». Comme si il n’y avait pas de « continuité entre la capitale et les régions de l’intérieur », et que le camp populaire soudé autour du départ de Ben Ali, ne trouve pas les marques d’une homogénéité dans la lutte et où les fractures villes/ campagnes, salariat stable/ prolétariat informel, travailleurs/ petite bourgeoisie, restent des marqueurs invisibles de différenciation.
La réaction s’organise du coté des adversaires, de plus en plus fermement, aidé par le maintien d’un contrôle total des médias. Il serait faux de sous estimer les forces de la contre révolution, même si indéniablement le mouvement de masse est resté jusque là à l’offensive et a déjà engrangé des victoires politiques. La faiblesse du gouvernement actuel, en termes de légitimité, compense, pour un temps, mais pour un temps seulement, les faiblesses du processus révolutionnaire. D’une part, la chute du dictateur et l’affaiblissement réel du parti/Etat ne signifie pas que ce dernier, qui avant la révolution, disposait de plus de deux millions de membres, n’a plus de base sociale et d’appui. Les rouages de la dictature ont su installer un clientélisme qui traverse toutes les couches sociales, encore fonctionnel, ce sont des centaines de milliers de personnes qui profitaient à un degré ou un autre des passe droits et des arrangements concédés par le système, ce qui explique en partie d’ailleurs la longévité du système. Des secteurs de la société hostiles à ben Ali, la bourgeoisie certes mais aussi les commerçants du bazar, des couches de la petite bourgeoisie sont également hostiles à un processus de radicalisation et « s’impatientent ». Les tentatives de contre manif organisées par le RCD, balayées certes par les contre manifestants, témoignent de forces de réserves y compris dans des secteurs populaires. Les milices du RCD et l’appareil de police, affaiblies sont loin d’avoir été démantelées. Si il y a une crise réelle profonde du régime politique sous l’effet de l’irruption d’un mouvement populaire, et en raison de l’incapacité du gouvernement à stabiliser la situation, il n’y a pas encore une crise généralisée de l’Etat et nombre d’institutions résistent, quittent à se tailler de nouveaux habits. Le remaniement ministériel qui diminue le poids apparent des ministres liés au RCD est sans doute la dernière concession faite dans ce qui parait maintenant comme une guerre d’usure contre le mouvement populaire. Le gouvernement ghanouchi se prépare à reprendre l’offensive. Il a montré sa capacité à bloquer l’afflux de nouveaux manifestants de l’intérieur du pays et ses tentatives de démantèlement du camp populaire devant la Kasbah commencent à porter ses fruits, l’armée elle-même laisse faire quand elle n’intervient pas directement pour imposer par exemple l’interdiction de la marche appelée par l’Union Régionale de Travail du Kef. La nouvelle coalition gouvernementale appuyée par la bureaucratie syndicale encourage l’isolement et la répression des structures syndicales liées au mouvement populaire.
Une quatrième phase est largement amorcée et indique les limites atteintes par le mouvement de masse et les difficultés du processus à cette étape. Il y a une stabilisation relative des rapports de force. La grande vague de contestation se sectorialise et se régionalise avec des points de fixation et d’ancrage très inégaux. Le pouvoir a repris la main en impulsant un retour « à la normale » dans les grandes villes. Le centre est entrain d’encercler la périphérie devant l’éloignement d’une dynamique ascendante qui maintenait sous des formes diverses une pression globale. La guerre d’usure où le temps devient un facteur politique est mené habillement. La première vague révolutionnaire se heurte à l’absence d’une alternative/ direction(s) politique immédiate et à caractère de masse. Sans pour autant que le pouvoir soit en mesure d’imposer une défaite profonde et un recul généralisé.
La question de l’armée n’est pas secondaire dans ce contexte. Certes, l’armée en Tunisie est une petite armée de 35000 hommes. Historiquement le pouvoir politique l’a toujours marginalisé pour qu’elle n’ait pas de velléité politique. Elle n’est pas pour autant neutre comme en témoigne son rôle décisif dans la répression de masse, sanglante en 1978 et décembre 83. Dans le processus actuel, l’armée a acquis une légitimité populaire pour avoir refusé de réprimer le peuple et concouru au démantèlement partiel des milices et de la garde de Ben ali. Ce soutien populaire fait pression sur elle, y compris sur son état major, pour cultiver l’apparence d’une neutralité. D’autant plus qu’elle n’a pas la force équivalente des appareils répressifs traditionnels pour contrôler l’ensemble du pays. Mais en réalité, l’état major, lié à l’administration américaine, mise sur une transition qui respecte l’ordre constitutionnel de la dictature. Il a assuré que l’armée était garante de la révolution et donc « avec le peuple » mais il a demandé aux manifestants de lever le siège du gouvernement, et ce afin que ce dernier puisse travailler et réaffirmer que l’armée est le garant de l’ordre constitutionnel. Une situation qui verrait se concrétiser la chute du gouvernement actuel ou simplement un approfondissement de la polarisation sociale et politique la mettrait au devant de la scène, quelque soit le scenario, comme rempart possible pour préserver les intérêts des classes dominantes et de l’impérialisme. Les possibilités de fracture interne ne sont pas exclues mais ne sont pas certaines non plus, car le message d’ « un changement » dans l’ordre peut devenir crédible. Et dans tous les cas le mouvement de masse est désarmé dans tous les sens du terme pour faire face à une telle situation.
L’impérialisme encore présent : Il est par ailleurs incontestable, sans parler de la France et de l’Italie, que l’impérialisme américain a des intérêts spécifiques qui ne sont pas tant importants sur le plan économique mais qui ont une valeur stratégique dans le dispositif de la « lutte antiterroriste » et du contrôle sécuritaire de la méditerranée. Au cours de la dernière décennie, la dictature était une pièce maitresse du dispositif du « dialogue méditerranéen » et une base arrière de la « lutte contre le terrorisme ». L’utilisation des ports de Bizerte, sfax, Sousse, Tunis par l’OTAN , tout comme les formes de collaboration entre les forces spéciales de Ben ali et les militaires USA, témoigne de cette importance. Mais il y a évidemment d’autres raisons ; un processus démocratique radical ouvrirait la voie à moyen terme à une déstabilisation régionale y compris des régimes alliés dont la stabilité est essentielle pour les USA. Il parait également impossible que l’Etat d’Israël, soutien de Ben ali qui a su imposer une normalisation politique (officieuse) avancée, accepte un changement démocratique populaire sans réaction majeure, comme en témoigne diverses déclarations. Il est fort probable que la stratégie impérialiste ne prenne pas à cette étape la forme d’une intervention directe mais consiste d’une part à appuyer l’armée et des forces politiques modérés, y compris le courant islamiste comme solution de rechange et laisse carte blanche aux dictatures voisines ( Algérie, Lybie ) le soin d’intervenir dans le processus. Ces Etats sont dans l’incapacité absolue d’accepter à leurs portes, la moindre ouverture démocratique sous la pression populaire, sans parler de changements plus profonds.
Le soulèvement populaire s’est effectué contre un parti-Etat capitaliste dépendant dans le cadre d’une crise globale et structurelle du capitalisme mondial. A sa manière ce processus traduit l’approfondissement des contradictions sociales et politiques qui commencent à secouer plusieurs pays et régions du monde, indépendamment des particularités de leur situation nationale. Dans le sud de la méditerranée, des décennies de politiques d’ajustement structurel combinées à l’impact de la crise actuelle, nouent une situation d’instabilité sociale et politique généralisé, d’autant plus que, l’affaiblissement de l’impérialisme européen, déstabilise les formes traditionnelles de soutien aux régimes autoritaires. L’impérialisme français en particulier a été dans l’incapacité de réagir, si ce n’est d’une manière défensive et caricaturale, à la poussée du processus révolutionnaire. Replacé dans le cadre plus large de la région arabe/ Proche orient, la combinaison des crises sociales et des légitimités inexistantes ou restreintes des régimes autoritaires, légitimités qui connaissent un épuisement global, amplifié par la crise actuelle, et d’un environnement structuré par la permanence de la question palestinienne et de questions nationales non résolues, les possibilités que se cristallisent une série de maillons faibles à court et moyen terme ne sont pas exclues. Dans tous les cas, les marges de manœuvres des pouvoirs dominants se sont rétrécies et un vent de panique pas toujours maitrisé, s’empare des classes dominantes confrontées pour la première fois à la chute d’un dictateur en raison d’un soulèvement populaire, de la poursuite de la mobilisation et sans que les soutiens occidentaux soient en mesure, jusqu’à présent de s’y opposer.
La dynamique actuelle en Egypte, mais aussi dans une certaine mesure en Algérie, concentre les effets de la révolution tunisienne même si elles se développent sur la base de leurs propres contradictions internes et se confrontent à des obstacles différents. Sans qu’on puisse en définir les rythmes, un basculement est entrain de s’opérer dans la partie sud de la méditerranée, qui amènera à une redéfinition des politiques impérialistes, pour prévenir/ anticiper la fin de règne de nombreux dictateurs.
Limites et contradictions du processus : Le processus est traversé de contradictions mais l’élément principal est qu’aucune des questions soulevées par la contestation populaire n’est prête à être résolue aujourd’hui et que la crise du régime politique est loin d’être finie. Nous sommes bien dans un contexte où ceux d’en bas refusent le pouvoir ou maintiennent une défiance profonde et ceux d’en haut n’arrivent pas à imposer une légitimité de domination et de paix sociale. La véritable difficulté, non résolue des dominants, est l’inexistence, pour le moment, d’une alternative bourgeoise au RCD qui disposerait d’un soutien significatif. La bourgeoisie tunisienne n’a eu historiquement aucune autonomie et n’a gouverné que par la médiation de dictatures qui servaient objectivement ses intérêts mais sans lui permettre de se doter de partis organiques. C’est une des raisons du soutien au gouvernement par l’ensemble des forces politiques modérés (et de leur faiblesse). L’autre difficulté tient pour les dominants est qu’il est impossible de se débarrasser du RCD, ni même de le recycler sans que soit remis en cause les institutions de l’Etat. Séparer le parti de l’Etat est une mission quasi impossible sans une remise à plat des institutions et c’est qui donne à l’exigence d’un démantèlement du RCD un contenu radical. Reste que du coté du camp populaire, la détermination, le maintien d’un niveau important de mobilisation même couplé à des objectifs démocratiques radicaux ne suffiront pas à déplacer qualitativement le centre de gravité des rapports de force en sa faveur, si ne se construit pas un processus de convergence sociale et démocratique, ouvrier et populaire permettant d’élever le niveau de une confrontation. La révolution n’a pas encore gagné/soudé toutes les forces nécessaires à un changement radical. C’est une chose de se virer un dictateur et c’est déjà beaucoup mais c’en est une autre d’en finir avec l’appareil et le système de la dictature.
Le moment démocratique de la révolution tend aujourd’hui à polariser les forces sociales. Cela ne veut pas dire que la question sociale est absente. Elle a été au cœur du soulèvement d’une manière lié à la lutte contre la dictature mais l’aspect principal est bien la question démocratique. Pour une raison évidente : dans le niveau de conscience dominant c’est la dictature (et pas nécessairement le capitalisme dépendant et la bourgeoisie) qui est le responsable de la situation sociale. La corruption, la dilapidation des biens publics, le détournement et vol des deniers publics, le népotisme, l’absence de politiques sociales sont ramenés à la maffia de ben ali et son appareil qui considérait les richesses du pays et l’Etat comme sa propriété. Par ailleurs, en l’absence d’un mouvement ouvrier indépendant cristallisé ou même d’une opposition sociale sur des bases de classes et d’une activité propre des travailleurs, c’est la dimension interclassiste, populaire qui a donné sa marque au processus dans son ensemble. Le fait que le mouvement syndical ait été une des forces motrices et reste la colonne vertébrale de l’organisation de la résistance ne modifie pas cette coordonnée. La part des revendications sociales mises en avant reste timide et ce sont les exigences démocratiques qui focalisent l’orientation syndicale. Le slogan « nous pouvons vivre avec de l’eau et du pain mais pas avec le RCD » condense cette réalité. Pour autant la possibilité que la question sociale occupe le devant de la scène et permette au mouvement populaire d’affirmer un caractère de classe plus marqué est contenue dans la dynamique même de cette révolution démocratique. L’exigence de la restitution des avoirs du clan Trabelsi/Ben Ali, du contrôle des comptes, la mise à nu des complicités patronales, la transparence sur la corruption, pose d’une manière pratique la question de la répartition des richesses, (sans pour autant aborder frontalement la question décisive de la propriété, même si les courants radicaux défendent la revendication de nationalisation). La destitution des cellules professionnelles dans une série d’administrations économiques et d’entreprises pose en creux la question du contrôle. Les employés de la banque BNA, de l’assureur STAR ou de la compagnie aérienne Tunis air vidant leurs patrons en sont des exemples même s’il faut bien voir que cela est loin d’être un mouvement généralisé et n’aboutit pas pour autant à la formation, sous une forme ou une autre, d’un contrôle des salariés.
Il s’agit d’un processus surdéterminé par la lutte contre la dictature plus que par l’affirmation autonome des aspirations sociales. Si chaque pas en avant dans la confrontation politique ouvre des directions, des fenêtres vers la question sociale comme question globale et notamment autour de l’exigence de l’emploi, des salaires et de la répartition des richesses, , il faut bien noter, la faiblesse des critiques et d’objectifs revendicatifs concernant la dépendance de la dictature par rapport aux multinationales, l’impérialisme et les institutions internationales et la mise en œuvre d’un néolibéralisme sauvage, qui ont constitué le terreau de l’enrichissement maffieux d’un coté et de la misère de l’autre. . . Au-delà des aspirations sociales pour plus de justice sociale, de droits et de l’existence de revendications sociales partielles, le mouvement de contestation populaire n’est pas structuré par des revendications qui auraient une portée sociale globale et anti impérialiste. Du moins à cette phase du processus. L’élément marquant reste la faiblesse de la mobilisation, des revendications et des grèves dans les secteurs clefs de l’économie et point névralgique de sa connexion à l’économie mondiale : les ports, le textile, le bâtiment, les centre d’appel. En réalité, ce sont plutôt dans les secteurs populaires liés à la jeunesse enchomagée et au prolétariat informel, des quartiers périphériques et de la « Tunisie de l’intérieur » que le lien entre revendications sociales et démocratique est le plus fort.
Cette dissymétrie des rythmes sociaux et politiques renvoie à l’hétérogénéité du camp populaire, aux effets sur la durée que le soulèvement démocratique n’a pas complètement renversé , de l’absence d’un mouvement ouvrier indépendant qui aurait accumulé d’une manière significative des expériences de luttes autonomes sur le terrain social, du faible enracinement syndical dans les entreprises tourné vers le marché mondial. Mais aussi au poids spécifique de la petite bourgeoisie laborieuse aux intérêts contradictoires dans les grands centres.
Cette réalité renvoie aussi au caractère spécifique des forces organisées du processus révolutionnaire.
Le mouvement syndical à travers l’UGTT joue un rôle central. Cette centralité s’explique par la base de masse maintenue qui est assez exceptionnelle dans certains secteurs notamment dans la fonction publique. Elle tient aussi au fait que l’UGTT durant toute son histoire et dés sa fondation s’est retrouvée dans une logique de concurrence/cooptation politique avec les tenants du régime. L’UGTT s’est inscrite à des degrés divers comme un courant syndical-politique (hétérogène) au sens où la question de la participation au pouvoir ou de sa contestation traverse son histoire. Le processus populaire a permis à la gauche de se renforcer en s’appuyant sur la pression de la base mais c’est le basculement du « centre » qui a permis de changer le rapport de force interne et de neutraliser partiellement le courant bureaucratique et le plus inféodé au régime. Reste que l’unité de la gauche et du centre repose sur un consensus implicite : le maintien de l’unité de l’appareil, y compris avec l’aile bureaucratique et la quasi absence de revendications sociales centrales (unifiantes) qui pourraient mobiliser les travailleurs sur la base de leurs intérêts spécifiques. Que cette situation vienne d’appréciations tactiques ou de la réalité des rapports de forces réels bien plus contradictoires que l’on ne pense est relativement secondaire par rapport à son effet politique immédiat : une autolimitation politique partielle qui ne permet pas de mobiliser au delà des secteurs traditionnels où la gauche est influente, une politique de pression maintenue sur le régime mais qui ne développe pas une perspective de mobilisation générale des travailleurs. Même si évidemment, la mobilisation populaire continue de se nourrir de sa propre dynamique. Par ailleurs, y compris au sein de la gauche syndicale, ou de certaines de ses composantes, la perspective d’une confrontation de classe avec le patronat dans son ensemble n’est pas clairement posée ou reléguée à une étape ultérieure au profit d’une rhétorique de la construction d’une économie nationale et de la nécessité de préserver le tissu économique….Autre limite sensible, la force de masse du syndicat se concentre essentiellement dans le public plutôt que dans le privé et il existe encore moins de liens organiques avec le prolétariat informel et la jeunesse précarisée. Le soutien aux comités populaires est un soutien de principe, variable et aléatoire, mais ne se traduit pas par la recherche de convergences organiques, ni par l’aide à la construction de ces comités comme des instruments de défense organique des masses populaires, même si là encore existe, là où le processus est le plus avancé, un soutien réel des équipes syndicales. Mais ces limites doivent être relativisées car tout ne dépend pas des états major syndicaux, même les plus combatifs. Dans le contexte actuel, l’émergence explicite de revendications sociales même si elles sont relatives à tel ou tel secteur, pourrait servir de détonateur et d’encouragement pour de larges couches de travailleurs, les grèves mêmes sectorielles ou régionales peuvent accélérer les possibilités d’un mouvement d’ensemble. A plus forte raison lorsque qu’il s’agit de mouvements reconductibles, assorties de mobilisations de masses et articulés à l’objectif de la démission du gouvernement. Les milices du RCD qui cherchent à réoccuper par la force un certain nombre de locaux syndicaux pour briser cette dynamique revendicative montre bien qu’un des nœuds centraux de la confrontation se joue aussi là.
Le mot d’ordre d’un gouvernement de l’UGTT ou de l’UGTT et des courants sociaux et politiques lié au processus révolutionnaire a peut être l’avantage d’indiquer une voie possible. Mais elle suppose une défaite réelle des courants conciliateurs et bureaucratique, et l’affirmation d’une orientation de lutte qui permette d’aller au delà de la pression et confrontation partielle avec le gouvernement actuel pour donner corps à une mobilisation d’ensemble , ouvrière et populaire. Or l’orientation actuelle de l’UGTT est le fruit de compromis mouvants selon les lignes de force internes et externes aux syndicats, compromis qui implique à la fois la poursuite de la mobilisation et le maintien de l’exigence de la démission et qui en même temps, affirme la « nécessité de rassurer tout le monde pour se consacrer effectivement aux réformes annoncées « et appelle tous les travailleurs à se dresser contre les tentatives d’entraves au fonctionnement normal des institutions et leurs retour à la normal , et aussi à rester sur ses gardes pour la défense de nos acquis et éviter au pays tout vide ». La décision de la direction de l’UGTT suite aux propositions de remaniement ministériel d’accepter, sans y participer, la « nouvelle » composition gouvernementale, tout comme la proposition de mettre en place des commissions mixtes d’élaboration de reformes, si elle devait se confirmer, serait un net recul, pour la gauche et verrait le centre probablement se rallier à cette perspective. Il est difficile pour le moment d’apprécier si un tel positionnement aura, sur la durée, un impact sur les mobilisations, les rapports de forces internes et externes et de quelle manière.
La question de l’alternative politique est clairement posée par la crise du régime. . Le front du 14 janvier est le fruit de cette prise de conscience. Reste que ce front qui a établit une plateforme démocratique radicale répondant aux enjeux immédiats de la lutte contre la dictature constitue une alliance par défaut, éclectique, et dans lesquels un certain nombre de composantes n’ont pas ou plus de substance militante réelle. Dans ce front, la gauche radicale pèse comme force organisée mais est confrontée à des problèmes spécifiques. Les défaites sociales et politiques antérieures, la violence de la répression, les conditions d’une lutte clandestine, les crises idéologiques successives, la faiblesse des moyens ont affaiblie la plupart des courants contraints d’ailleurs pour beaucoup à se concentrer sur le terrain des droits de l’homme. Les directions actuelles de ces courants sont marquées par ce passif et ne se sont pas renouvelées. Certaines personnalités liés à ses courants sont connues et respectées mais les organisations en tant que telles sont et restent faiblement implantées. Elles sont confrontées à la nécessité immédiate de construire un pole démocratique radical, public, visible et crédible et de renforcer, en même temps, leurs propres forces dans le processus même qui fait émerger des avants gardes de luttes, une nouvelle génération militante. Le pourront-elles ? C’est une question qui reste ouverte et décisive…Notons que nombre de ses militants notamment sur le terrain syndical et social ont une légitimité réelle s’appuyant sur des solidarités sociales et militantes et une longue pratique de résistance. Et qu’ils sont l’aile marchante de la résistance, les plus en phase avec les aspirations sociales et démocratiques. C’est sans doute un point d’appui pour consolider la gauche radicale, tout comme son indépendance par rapport au régime. Mais les questions de l’articulation politique au mouvement en cours sont loin d’être réglés. La question des liens entre construction et alliance politique, mouvement syndical, comités populaires au cœur même du processus révolutionnaire reste entière, y compris dans la perspective d’une conquête du pouvoir. Le lien avec les forces réelles de la révolution n’est pas acquis. Tout comme la question du programme et des mots d’ordre dans la situation concrète d’aujourd’hui. La bataille pour l’assemblée constituante, des élections réellement libres, un gouvernement issu/ lié aux mobilisations, la dissolution des institutions répressives comme objectifs centraux sont partiellement déconnectés des batailles immédiates pour imposer ici et maintenant des droits démocratiques et sociaux sans attendre (et pour permettre) la victoire. La formulation d’une radicalité démocratique en terme d’objectifs et le soutien aux mobilisations, absolument vitaux, ne formulent pas par eux mêmes une voie pour la généralisation de l’affrontement et aider le mouvement de masse, à s’élargir, accumuler des forces, dépasser les difficultés actuelles. Sans doute, le processus lui même est entrain de faire émerger une large avant-garde de lutte, des directions politiques du mouvement qui se forgent au cœur de la lutte et qui se confrontent aux questions concrètes du processus sans attendre quiconque. Mais sans être attaché abstraitement à l’importance d’un programme clair, la faiblesse de notre camp tient en partie à l’indétermination d’une stratégie de conquête de pouvoir, à l’absence d’une représentation politique qui lui soit propre, et d’une force capable d’élargir et centraliser ses luttes concrètes. Face à une réaction qui cherche à reprendre l’offensive et sans chercher dans un quelconque modèle révolutionnaire des recettes, ce qui sera déterminant , sera le degré d’organisation, d’expériences et les capacités d’initiatives centralisées de chaque camp qui seront l’élément décisif, dénouant, dans un sens ou un autre , la situation politique. Les mots d’ordre démocratiques radicaux peuvent poser, la question du pouvoir mais ce qui tranchera, c’est le degré d’organisation indépendante et l’auto organisation du camp populaire, la confiance en ses propres forces et sa volonté de lutte pour le conquérir. La constitution d’un congrès national pour la défense de la révolution, appelé par les courants les plus avancés peut aider à avancer dans ce sens s’il arrive à s’appuyer sur les secteurs les plus mobilisés et si il incarne une perspective d’élargissement de la base sociale de la révolution combinant les revendications immédiates les plus larges, le maintien d’une défiance radicale par rapport aux institutions et la préparation patiente, sans ignorer l’hétérogénéité populaire, d’une nouveau cycle de rébellion populaire.
Il ne faut donc pas avoir la conception du processus révolutionnaire comme un processus linéaire mais comme une suite de moments et d’événements ou se redéfinissent les rapports de forces sociaux et politiques et ou chaque phase ouvre ( ou ferme ) temporairement des possibilités tant qu’un camp n’aura pas pris le dessus sur l’autre. Dans ce grand moment d’instabilité prolongé, il y a et il y aura des phases de flux et de reflux, des avancées et des reculs. C’est un temps long qui s’ouvre avec ses phases d’accélération où s’affirmera, à une échelle différente, de nouvelles directions de lutte, plus homogènes et une auto éducation des masses. Rien ne sera plus comme avant. C’est le point de départ quelque soit les résultats immédiats de la confrontation actuelle. Et le propre de ce processus est qu’il sera rapidement confronté aux contradictions de la crise du capitalisme mondial, à l’incurie d’un ou de gouvernements incapable de répondre aux exigences élémentaires de la population, dressant, en plus des secteurs mobilisés, de nouvelles couches sociales contre lui. Nous ne sommes qu’au début d’une révolution qui doit encore créer ses propres outils de lutte, son propre tempo, ses convergences internes, et briser les capacités d’initiatives de l’adversaire. Il n’y a pas de ligne droite après des décennies de dictatures vers la révolution sociale et démocratique. A plus forte raison dans un pays où n’a jamais pu se cristalliser à une échelle de masse un mouvement ouvrier et populaire indépendant. Mais en 40 jours, ce qu’a fait le peuple est déjà immense. Et, élément essentiel, le mouvement populaire, même s’il connait une phase de reflux, n’a pas été écrasé, ni défait. La question est de voir comment le mouvement populaire va concrètement imposer des acquis, des droits sur le terrain démocratique et social, améliorer significativement les conditions de lutte et d’organisation, et de quelle manière la radicalité exprimée va déboucher sur une recomposition globale des courants sociaux, politiques et syndicaux, qui permettront, de préparer , à un niveau supérieur, la perspective d’un affrontement généralisé qui aille jusqu’au bout.

Chawqui Lotfi
Publié sur le site npa.org

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