mercredi 23 février 2011

[la revolution tunisienne - R+39 -] 5

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Détrabelsiser
Il y a de fortes chances pour que votre correcteur orthographique souligne le mot d’un trait ondulé rouge. Ne cherchez pas dans votre vieux Larousse, ne perdez pas votre temps à vous faire aider par votre ami le petit Robert. Ce mot c’est le peuple tunisien qui vient de l’inventer.
Vous avez compris qu’il s’agit de traquer toutes les pratiques mafieuses de l’ancien régime Ben Ali/Trabelsi dans les multiples rouages de la société et en particulier dans les milieux des affaires. 

Les travailleurs de Tunisie Telecom se révoltent et appellent au départ "des Trabelsi de Telecom"
Depuis deux semaines c’est chez l’opérateur téléphonique historique que la colère gronde. Depuis que les employés de TT ont découvert que des cadres supérieurs de la société continuaient à bénéficier de « largesses » de la société, en violation des règles en cours au sein de l’entreprise publique, c’est la mobilisation. Grèves depuis le 14 février, plusieurs manifestations et depuis lundi 21/2, des sit-in quotidiens (devant le secrétariat d'État des TIC lundi, devant le ministère de l’Industrie et de la Technologie ce mardi).
En 2006, Tunisie Telecom a fait l’objet d’une privatisation partielle avec l’entrée dans son capital à hauteur de 35% du consortium formé par DIG (Dubai Investment Group) et TECOM, filiale de Dubai Holding, consortium aujourd’hui dénommé EIT (Emirates International Telecommunications (Tunisia) FZ – LLC).
«Il y a des personnes qui ont été recrutées par EIT et qui ont des salaires élevés», raconte une employée de la direction générale.
Ce régime de «contractuel» instauré dans l’entreprise était tellement juteux que plusieurs titulaires ont fini par migrer vers ce régime. Selon de bonnes sources, les salaires des permanents (on parle de 10.000 dinars par an) sont bien loin des 80.000 à 500.000 dinars par an pour les contractuels (salaire annuel + prime). «On nous les a présentées comme étant des compétences manquantes à l’entreprise. Et pourtant, ce n’est pas les têtes qui manquent chez Tunisie Telecom. Pis encore : ces mêmes ‘’compétences’’ font ponctuellement, pour ne pas dire tout le temps, appel à des cabinets de conseil payés au prix fort pour appliquer leurs préconisations. On finit par se demander s’ils ne sont pas là uniquement pour pomper encore plus l’argent de cette entreprise publique».
«A l’échelle nationale, il y a un code du travail qui s’applique», rappelle Haissem Weslati, cadre chez TT. «Tunisie Telecom ne peut recruter que par voie de concours. Qu’elles soient titulaires ou contractuelles, les nouvelles recrues doivent avoir un contrat répondant au règlement interne de l’entreprise. Or, ces contractuels n’ont pas été recrutés par voie de concours national. Pire encore, ils ont des salaires et des primes qui ne répondent pas à la grille salariale de l’entreprise».
Le syndicat était parvenu à un accord le 9 février pour éliminer ces contrats
Mais cette affaire semble bien plus profonde encore. Le 13 février le site THD répercutait une information plus grave : «Le problème dépasse le montant élevé des salaires de plusieurs contractuels au sein de la direction. C’est la raison de leur présence dans la société qu’on tente de dénoncer au grand public. Beaucoup d’entre eux sont là juste pour être les serviteurs de Belhassen Trabelsi. D’autres sont des agents du ministère de l’Intérieur. Ces sbires de Ben Ali étaient chargés des tâches de basse besogne comme les écoutes téléphoniques, la surveillance des activistes et la censure». Dans une note interne, dont nous avons reçu une copie, le syndicat PTT urge ses troupes à interdire l’accès à ces ‘directeurs contractuels’ soupçonnés d’être impliqués dans des affaires de vols et de détournements d’argent des caisses de Tunisie Telecom pour le compte de la famille du président déchu. «Pour qu’il n’y ait pas destruction de documents suspects, nous vous demandons de vous organiser en comités de garde dès lundi 14 février», lit-on sur cette note interne.
Et bien entendu il y a en toile de fond cette lutte acharnée des opérateurs de télécoms pour la mainmise sur un marché en plein développement (actuellement la Tunisie compte 12 millions de portables pour 10 millions d’habitants). Compétition dans laquelle la famille de l’ex-dictateur jouait un rôle crucial, car en plus de la privatisation annoncée de Tunisie Telecom (dans laquelle ils comptaient bien jouer) pilotée par ses ministres, les Ben Ali/Trabelsi étaient présents aux postes clés de Tunisiana et de Orange aux côtés de grands groupes étrangers.

La lutte paie
Ce mardi 22/2, lors du sit-in du personnel, les syndicalistes de TT ont adressé une lettre ouverte au ministre de tutelle, au ministre de l’Intérieur, au secrétaire d’Etat chargé des TIC, au ministre des Affaires sociales ainsi qu’au Président de la République par intérim, M. Foued Lembazaa.
Dans cette lettre, les salariés de Tunisie Telecom appellent à l’application immédiate de l’article 10 du PV du 9 février dernier, qui stipule le licenciement des contractuels aux salaires mirobolants.
...un gouvernement provisoire "6 mois gratuits"
«On vous tient responsable de la dégradation de la situation sociale et financière de cette entreprise nationale», interpelle le syndicat PTT dans sa lettre. «De ce fait, on vous invite à mettre un terme à ces agissements. Et au cas où la situation actuelle ne changerait pas, ce qui prouverait l’absence d’une volonté politique pour combattre la corruption financière et administrative nous vous annonçons que nous allons entrer dans des formes de résistances comme les grèves et les sit-in ouverts et sans délais», lisait-on en conclusion de la lettre.
Ce mercredi 23/2 en début d’après midi, le ministre et son secrétaire d’Etat ont répondu favorablement à plusieurs demandes du syndicat. Dans une dépêche de la l'agence Tunis Afrique Presse (TAP), Sami Zaoui, secrétaire d’Etat chargé des technologies de la communication auprès du ministère de l’industrie et de la technologie, a appelé la direction de Tunisie Telecom à «l’application immédiate de l’article 10 du PV du 9 février dernier».
On voit donc se profiler une première victoire.
Mais ce mouvement met une nouvelle fois en lumière les limites du gouvernement Ghannouchi qui ressemble plus que jamais à un gouvernement de pacotille, incapable d’agir dans l’intérêt de la nation. Chaque conflit débouche sur une confrontation avec ce "gouvernement provisoire" auquel les travailleurs doivent sans cesse rappeler les objectifs de la révolution.
Grâce au développement, parmi les travailleurs (et pas seulement à Tunisie Telecom), d’une conscience politique aigue, d’un sens de l’intérêt collectif, d’une volonté d’aller jusqu’au bout de la révolution, les choses se décantent.
fRED

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