samedi 19 février 2011

[la révolution tunisienne - R+35 -] 1

J’ai quitté la Tunisie trois jours avant la fuite de Ben Ali. M’y voici de nouveau. A quelques jours près (ah, ces reports de vols !) j’aurais pu fêter le premier mois de la chute du dictateur. Mais dans un processus révolutionnaire qui risque d’être long, il faut parfois prendre un peu de recul avec le temps pour mieux discerner le chemin qui se trace.
Dans cette série, que j'espère quotidienne, je vais me mettre dans les pas de cette effervescence. Des images perçues de 650km de Tunis, autre recul...
fRED

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19.2 : Les souris dansent.
Il y avait longtemps que je n'avais pas voyagé avec Tunisair. A l'aéroport j'ai eu droit à la télé, ils voulaient mon "état d'esprit pour ce départ". Je suppose que je devais répondre, l'air un peu craintif, que j'avais une certaine angoisse de me rendre dans un pays où "il s'est passé des choses terribles"...
On me demande mon avis, je le donne : "je suis content, le peuple tunisien a fait la moitié de la révolution et j'espère bien qu'il va la terminer".
Le journaliste insiste : "vous allez les aider grâce au tourisme?"
- vous savez le tourisme c'est une autre forme du pillage économique contre lequel ils se sont soulevés...
Dans la file mes voisins sont inquiets : devant ils se demandent s'ils vont payer un supplément pour le chien -qui a pris du poids. Derrière c'est le chat (dans sa cage Tupperware) qui pose question. « C'est combien au kilo? » ose demander le père du chat, maigrichon au poil ras (la barbe). Sa tigresse de femme se balance sur ses hauts talons hésitant à changer de file pour gagner l'une ou l'autre place. La fille serre langoureusement le récipient félin et tripote la queue qui en jaillit.
Ici il n'y pas l’ombre d'une trace de soupçon de révolution. Les souris dansent.

le vide à l'aéroport d'arrivée...
La révolution? On n'en sait rien non plus dans l'avion qui transporte humains, canins et félins. "La Gazelle" c'est le titre du magazine de la compagnie ; restons dans le domaine animal. J'y apprends que la Tunisie est une république, présidée depuis 1987 par Mr Ben Ali, que le taux de croissance est de 3,1%, le revenu annuel par habitant de 5.140 dinars et le PIB de 54 milliards de dinars.
Quelques pages plus loin un titre attire mon attention : "De jeunes éminences à l'honneur". On doit y parler de jeunes tunisiens qui font honneur à leur pays en développant leurs compétences à l’étranger. L'article cite une longue liste de noms... de ministres qui ont assisté à une après-midi festive dans un hôtel chic de Hammamet. Parmi eux je repère quelques "illustres" bandits que le peuple a chassé, coups de pied au cul. C'était début janvier. Fin février ils ont toujours les honneurs des sièges de l'Airbus Tunisair. Il y a des recoins où visiblement le nettoyage n'a pas été fait...

« La Presse » était jusqu’il y a peu un journal (!) bien rangé. Dire qu’il était aligné sur le gouvernement ne serait pas mentir. Mais là, je me sens obligé de le consulter, c’est le seul journal en français qui est distribué dans l’avion. Aujourd’hui il est de nouveau aligné sur la droite ligne du « tout le monde a fait la révolution » On y trouve de tout : des articles très détaillés sur les corruptions passées (?), sur les faits plus ou moins divers, et même des témoignages, des prises de positions…
Je tombe sur une chronique au jour le jour de la révolution… On y parle de manière très précise des charges des brigades de police (les Bop) contre les occupants de la place de la Kasbah… le 27 janvier !
Voilà une manière bien singulière, pour un quotidien, de traiter l’actualité ! Comment fait donc « La Presse » pour garder la droite ligne en faisant autant de détours ?
Vous me direz, la vérité même un mois plus tard, c’est toujours la vérité…

fRED

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