lundi 21 février 2011

[la révolution tunisienne - R+37 -] 3

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21.2 : La révolution a ramené la pluie…
Vers 15h la pluie s’est remise à tomber, au grand bonheur des djerbiens qui l’attendent de longs mois durant. Je me suis mis à l’abri dans le bistrot du coin pour lire « Tunis Hebdo » qui titre « Libye : le carnage… » et parle aussi des contacts de MAM le 27 décembre  avec le « tandem sanguinaire » qui conseillait Ben Ali en matière de répression…
Les télés crachent des sons stridents et les images de Benghazi, deuxième ville libyenne, tombée aux mains des manifestants, tournent en boucle sur Al Jazeera. L’atmosphère est pesante, tous les regards sont tendus vers ces images. Début janvier, le jour de l’enterrement de Mohamed Bouazizi, j’avais ressenti les mêmes regards, mêlant gravité, tristesse mais aussi révolte et détermination.
A travers les images de la Libye (qui est à moins de 120 km d’ici) tous ces jeunes regardent leur propre révolution. Celle qu’on tente de leur voler.

Hier ils étaient de nouveau plusieurs milliers sur la place de la Kasbah à Tunis pour réclamer le départ du gouvernement. Des jeunes majoritairement, ameutés par Facebook, sont descendus dans la rue en bravant une mise en garde lancée la veille par le ministère de l'intérieur. Le ministère a appelé au respect des dispositions de l'état d'urgence encore en vigueur depuis la chute du régime Ben Ali le 14 janvier. Eh oui, c’est toujours « l’état d’urgence », et « le gouvernement provisoire »…
"On devait être beaucoup plus nombreux aujourd'hui, mais les forces de l'ordre ont empêché des autobus et des voitures particulières de venir de plusieurs régions de l'intérieur", déplore Ahmed Salim, un étudiant.
"Non à la marginalisation de la révolution de la jeunesse", "L'obéissance aveugle est abolie", "Tous unis pour une Tunisie nouvelle", "La volonté du peuple ne sera brisée", "On t'aime armée", "Nous voulons un régime parlementaire", pouvait-on lire sur des pancartes brandies par les contestataires. Ils scandaient des slogans hostiles au gouvernement dirigé par Mohamed Ghannouchi "qui renferme des séquelles de l'ancien régime".
Personne ne croit en ce gouvernement qui communique beaucoup mais n’agit pas : plus de 400 morts en Libye, le pays voisin, et pas un mot du « gouvernement provisoire » pour condamner la violence contre le peuple libyen qui poursuit la révolution entamée en Tunisie. Même la Suisse, si complaisante avec les dictateurs a condamné la violence… sans compter le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi, pourtant grand ami de Kadhafi qui a condamné "un usage inacceptable de la violence sur la population civile".
Tellement habitué à se taire sous Ben Ali, Mohamed Ghannouchi se tait dans toutes les langues !
Même immobilisme dans la fameuse « affaire des 2,5 milliards de dinars » sous forme de crédits octroyés au clan du président déchu Ben Ali (156 personnes au total) pour le financement inconditionnel d'une série de projets.
Des montants astronomiques (5% du PIB annuel de la Tunisie !) qui ont permis des participations dans des grands dossiers ces dernières années. Le gouverneur de la Banque centrale a donné mercredi des chiffres sur le montant faramineux des crédits bancaires accordés aux familles Ben Ali et Trabelsi, à leurs alliés et partenaires. Ce montant se monte à 2,5 milliards, répartis entre 23 groupes comprenant 128 entreprises. Plus de la moitié de ce montant (1,3 milliards) a été accordée pour financer les projets  Carthage Cement, Tunisie Sucre, l’achat des 25% de Tunisiana et le financement de la participation de M. Mabrouk dans Orange Tunisie.
Tous ces montants dépassent toutes les normes ou encore les règles prudentielles de tout financement. Dans ce même contexte que les plus importantes  banques de la place sont impliquées dans ce processus de financement : la Société tunisienne de  banque est la plus touchée par cette hémorragie financière. Justement, selon les statistiques disponibles, l’engagement de la STB s’élève à 509,1 millions, soit le 1/5 de la somme globale."Pour l’acquisition de 25% de Tunisiana par Sakher el Materi, la banque a participé à hauteur de 80 millions de dinars", avoue son PDG. Mais il y a aussi Amen Bank (108 millions), Attijari Bank (319 millions), la Banque de Tunisie (258,838 millions).
Tous les journaux s’inquiètent de cette affaire, « La Presse » écrit ainsi « Un tel  montant, dépassant toutes les limites, ouvre la voie à toutes les appréhensions et met  totalement en cause la gestion douteuse de tout un secteur bancaire et surtout donne une idée précise sur la nature du pouvoir qu'exerce ce clan sur les institutions financières ».

Au royaume des aveugles…
Pourtant le (nouveau) Premier Ministre et le (nouveau) Gouverneur de la Banque Centrale ont eu tout loisir pour observer ces pratiques douteuses et ce pouvoir influant. Le premier, Mohamed Ghannouchi, (ancien) Premier Ministre de Ben Ali en plus d’être muet aujourd’hui, était-il sourd et aveugle autrefois ? Le second, Monsieur Kamel Nabli était jusque-là économiste en chef (Chief economist) à la Banque mondiale à Washington chargé de la région MENA (Moyen Orient et Afrique du Nord), formé aux États-Unis, universitaire réputé de sciences économiques et ancien président de la Bourse de Tunis, il a également été ministre du plan et des finances de 1990 à 1995 sous Ben Ali. Avec un tel pédigrée, pourrait-on suspecter qu’il soit atteint des mêmes maux que le Premier Ministre ?
Une telle situation devrait engendrer une réponse d’envergure pour mettre un coup d’arrêt aux pratiques mafieuses des milieux bancaires et de ceux qui en ont profité.
Il ne faudrait pas oublier que si le clan Ben Ali, était ainsi arrosé de crédits douteux, c’était pour monter aux affaires avec de « grands noms ».
Le cas de M. Marouane Mabrouk, gendre de Ben Ali et Président d’Orange Tunisie est à ce titre très symptomatique. Celui-ci dirige un groupe tentaculaire actif dans la Banque (BIAT), l’automobile (Mercedes, Fiat), la grande distribution (Géant, Monoprix), et les Telecoms dont la très juteuse licence du troisième opérateur téléphonique accordée Orange Tunisie où il détient 51% (grâce aux fonds mis à disposition comme indiqué ci-dessus). Qui pourrait croire qu’Orange (filiale de France Telecom), Géant, Mercedes… n’aient pas eu connaissance de ces pratiques ayant conduit M. Mabrouk à une ascension aussi douteuse que rapide ?
Sans doute se présenteront-ils comme Carrefour ou Nestlé en « victimes » du clan Ben Ali, eux qui font la pluie et le beau temps dans le monde capitaliste globalisé.
Si le « gouvernement provisoire » était au service du peuple tunisien, sans doute aurait-il pris depuis longtemps la seule mesure qu’impose cette situation : la (re)nationalisation des banques et autres entreprises scélérates.

T’as pas d’flouz ?
T., un ami, fait chauffeur de taxi. Il ne roule pas sur l’or. C’est le moins qu’on puisse dire. Trentenaire, deux petites filles, il en héberge une troisième, celle de sa sœur. Toute la famille loge dans la maison des parents au bout des pistes de l’aéroport. « En ce moment c’est calme ». Il parle du tourisme et de son taxi, mais je suppose que ça vaut aussi pour les nuits sans avions…
Il  est content : « depuis que Ben Ali est parti, les flics sont plus discrets, avant on se faisait coller des amandes de 20 dinars quand on n’était pas bien rasé ».
Mais il est aussi mécontent : il a vu à la télé qu’on avait trouvé une cache où les enfoirés cachaient leur butin (une partie). Lui il ne peut même pas s’acheter une calculette pour savoir combien d’années il devrait travailler pour gagner ce qu’il a vu retirer d’une armoire. Il est mécontent parce que ce n’est pas lui qui a trouvé le trésor en premier.

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